3.4.1.2 Les conflits sous-jacents liés à la
possession de l'information
Nous reprenons ici des théories qui renvoient à
la sociologie des organisations développées
précédemment (Cf. partie 1.2.3.1). Nous pouvons nous interroger
sur la façon dont les objectifs des individus peuvent s'articuler autour
d'un projet SIG collectif.
M. Bonami évoque cette dualité entre objectifs
d'acteurs et objectifs collectifs :
« Tout d'abord les agents de l'organisation
participent aux objectifs de l'organisation. Mais ils poursuivent en même
temps des buts et des besoins personnels. Ces derniers peuvent être
parfois tellement prégnants que la mission de l 'organisation, c
'est-à -dire ce que lui donne sa raison d'être devient une
préoccupation tout à fait secondaire pour les agents.
»106
La géomaticienne en charge de l'observatoire de
l'habitat explique :
« Il existe plusieurs bases Entreprises : une au
service économie, une au service communication, et une au service
fiscalité. On a trois chiffres diffé rents. D 'où l
'utilité du centre de ressources afin d'avoir une base Entreprise unique
qui centraliserait les informations avec des données fiables et mises
à jour. »
L'accès à l'information pour les
géomaticiens est difficile, il ne faut pas oublier que l'information
« c'est du pouvoir », et elle appartient aux agents qui la
produisent. Cela renvoie à des idées comme « la captation de
l'information » et le fait que les agents pensent être «
dépossédés de leur travail ». Cette situation
découle d'un problème de légitimité et de
reconnaissances des services SIG au sein de leur organisation.
3.4.2 Le problème de légitimité et de
reconnaissance
3.4.2.1 Reconnaissance et légitimité du
géomaticien
Il est en premier lieu nécessaire de définir la
notion de légitimité. Pour M. Bonetti, « la
légitimité des acteurs peut être lié à leur
fonction, à leur compétence, ou aux relations qu 'ils ont su
développer avec les partenaires impliqués » 107 . Il
est évident que le géomaticien tire sa légitimité
au sein de collectivité par sa compétence technique en
géomatique. Mais si les agents de l'organisation ne connaissent pas la
géomatique et ce que le service SIG et les TIG
106 BONAMI M. dir, 1993, Management des systèmes
complexes : pensées systémiques et intervention dans les
organisations, Université De Boeck, 272 p.
107 BONETTI M., 1991, Développement social urbain,
stratégie et méthodes, L'Harmattan, 269 p.
en général peuvent leur apporter, dès lors
il n'y aura pas de légitimité car pas de connaissance et de
reconnaissance.
Pour D. Delerba108 la condition essentielle pour
réussir la mise en oeuvre d'un SIG est :
« La légitimité et la reconnaissance de
la cellule SIG comme un service à part entière. Car, tôt ou
tard, il faudra lui donner davantage de moyens, de compétences et de
formations. Or, au contraire des services historiquement installés comme
la voirie, le service SIG est encore peu reconnu. »109
C'est essentiellement l'idée d'un service SIG à
part entière qui est importante, c'est-à-dire un service au
service des autres services, un service qui peut apporter de nouvelles
méthodes de travail, des appuis techniques en termes de TIG et de
nouvelles solutions informatiques. C'est pour cela que le service SIG doit
être connu et reconnu comme tel par tous les services et les agents de la
collectivité. Reprenons une citation de H. Pornon qui résume bien
ce que nous venons de décrire : « s'ils veulent contribuer à
la transformation des organisations, les géomaticiens devront être
de bons négociateurs, et se soucier de leur légitimité.
».110.
Au cours des entretiens auprès des acteurs du Sicoval,
un terme est ressorti plusieurs fois, celui de technostructure.
Dans sa typologie d'acteurs, H. Mintzberg la définit comme suit
: « dans la technostructure, on trouve les analystes qui servent l
'organisation en agissant sur le travail des autres [...] Ce sont eux qui sont
les moteurs de la standardisation »111. Dans le
cadre des EPCI, on peut penser à des services en charge de
l'informatique, des méthodes, des marchés et des SIG. Cette
perception du service SIG comme une technostructure est essentiellement
ressentie en commune par les élus et les techniciens.
A. Turlan explique cette situation :
« On voulu montrer tellement de choses avec le
Sicoval auprès des communes que du coup, on a utilisé des outils
de communication qui ne leur ont pas donné le vrai visage de
l'intercommunalité. C'est le risque pour nous en tant que SIG, du coup
on ne croit plus en ces données. »
108 Animateur national du groupe Topo SIG de l'Association des
ingénieurs Territoriaux de France (ATTER) et responsable de la direction
de l'information géographique de Nice.
109 D. DELARBA, 2006, in La Gazettes des Communes, N°
84/1854 du 25/09/2006, Dossier SIG p.26-31
110 PORNON H., 1998, Système d'information
géographique, pouvoir et organisations, Ed. L'Harmattan, 255 p.
111 MINTZBERG H., 1986, Le pouvoir dans les organisations,
Les éditions d'Organisation, 688 p.
Ce problème de confiance des données de la BDT du
Sicoval est bien illustré par cet échange entre une
conseillère municipale et le maire de Ramonville lors d'un conseil
municipal :
« M.RIVALS demande s 'il existe un lien
entre la base de données évoquée cidessus et celle du
SICOVAL.
M. Le Maire explique que les
bases de données de l'AUAT portent essentiellement sur l'emploi, le
logement etc. alors que la BDT du SICOVAL n 'est qu 'une cartographie du
territoire du SICO VAL. » 112
Ces problèmes de légitimité et de
reconnaissance sont également ressentis en interne, pour la
géomaticienne en charge de l'observatoire, «on n 'est pas
reconnu comme un service des autres services, pour les gens on est les
techniciens SIG de l'aménagement. On nous connaît, mais les gens
ne savent pas ce que l'on fait et ce que l'on peut faire pour eux
».
Pour une autre technicienne SIG « on n 'est vraiment
identifié que comme éditeur de cartes et de plans, beaucoup de
personnes ne savent pas ce que propose et peut faire la BDT pour eux, car ils
pensent que nous travaillons uniquement pour le service Aménagement du
territoire ».
De leur côté, les agents des différents
services qui sont amenés à utiliser les TIG ont des conceptions
qui peuvent diverger sur le problème de reconnaissance et
d'identification. Un des aménageurs des espace ruraux déclare
« le SIG est sous exploité, les autres services ne voient que
le côté photo, communication alors que c 'est l 'aval qui est
important ». De son côté, une urbaniste déclare,
« la BDT, ils sont très bien identifiés, tout le monde
les connaît ». Au regard de cette dernière citation, on
comprend bien que les perceptions des agents communautaire sur la situation de
la BDT sont très variables.
Pour C. Michel, la situation de la CAM est similaire :
« les services de la collectivité ont du mal à bien
identifier le rôle et les capacités de la cellule SIG. Par
conséquent ce sont des services qui utilisaient déjà ces
outils qui s 'investissent dans les projets comme le service Environnement et
Service à la famille ».
Ces difficultés de reconnaissance du service SIG sont
aussi liées au manque d'information des services SIG eux-mêmes sur
ce qu'ils font et ce qu'ils peuvent apporter aux autres services.
112 Cf. Annexe Compte rendu du Conseil municipal de
Ramonville du lundi 27 juin 2005 (p. 151).
Pour A. Turlan, « on perçoit le
problème de légitimité complètement, ceci est
dû a un manque d'information, on se remet aussi en cause. Les
responsabilités sont partagées mais le problème est
là ».
3.4.2.2 Une remise en cause des services SIG au niveau de la
communication interne
Pour les géomaticiens du Sicoval, ces problèmes
de légitimité, de reconnaissance sont en partie liés
à un manque de communication de leur part. Pour eux, il faut que la BDT
trouve sa place au sein de la collectivité et pour cela il est
nécessaire qu'ils communiquent plus largement au niveau de la
collectivité. Ils parlent tous d'aller sur le terrain pour expliquer et
montrer ce qu'ils font et ce qu'ils peuvent apporter.
A. Turlan déclare : « il faut communiquer mais
on ne le fait pas [...] il faut que l 'on recommunique sur notre rôle,
notre spécificités, nos moyens, nos missions ».
Une géomaticienne explique :
« Le SIG a été promu par le cadastre,
il traîne ça comme une casserole. Ca lui a permis d'exister, mais
ça l'a limité aussi dans son expansion, c'est à nous de
changer ça, en communiquant, en expliquant ce que nous, nous faisons et
ce que les autres peuvent lui apporter. Il faut l 'ouvrir, nous seuls on ne
fait rien. Il faut changer sa perception. »
De leur côté, les techniciens qui
s'intéressent au SIG font aussi la promotion du SIG auprès des
autres services et de leur collègues, l'un d'entre eux déclare
« à notre façon on essaye de montrer l
'intérêt de cet outil, ces capacités, ce qu 'il peut
apporter, on fait passer le message aux services avec lesquels on travaille
régulièrement », un autre rajoute « il est
vrai qu 'il y a un véritable manque de communication et d'information de
la part du service SIG ».
Pour A. Turlan, tout ceci renvoie à un problème
d'identification, de visibilité :
« C 'est un travail de terrain, il faut aller
expliquer, montrer des exemples. Mais c 'est aussi une visibilité, pour
que l'on puisse communiquer, faire voir ce que l'on fait, il faut aussi qu 'on
nous identifie. Il faut que dans un organigramme, un aspect fonctionnel on soit
identifié ce qui n 'est pas le cas. »
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