Les institutions juridictionnelles dans l'espace communautaire ouest africain( Télécharger le fichier original )par Sally Mamadou THIAM Université Cheikh Anta Diop de Dakar - DEA Droit de l'intégration et de l'OMC 2005 |
Paragraphe I: La manifestation de la confusionIl n'est évidemment pas impossible d'imaginer qu'un pourvoi en cassation implique à la fois une ou plusieurs règles de droit uniforme et une ou plusieurs dispositions de droit national non harmonisé (droit civil ou droit processuel par exemple). Comment faut-il, dans ce cas régler le partage de compétences entre la juridiction commune et les juridictions nationales ? Faut-il attribuer compétence pour l'intégralité du litige à la Cour commune ? Au contraire, faut-il attribuer compétence intégrale à la juridiction nationale de contrôle de légalité ? Faut-il former deux pourvois en cassation contre la même décision, l'un devant la juridiction nationale de cassation et l'autre devant la juridiction commune ? Faut-il former un seul pourvoi avec deux moyens destinés à deux juridictions différentes de sorte que la juridiction nationale de cassation renvoie l'affaire devant la C.C.J.A. après s'être prononcée sur l'application des dispositions de droit interne non harmonisé? Ou l'inverse, c'est-à-dire d'abord saisir la C.C.J.A. qui, après s'être prononcée, renvoie devant la juridiction nationale de contrôle de légalité ? Cette situation de conjonction de moyens fondés sur des normes juridiques différentes est pourtant loin d'être exceptionnelle. Elle ne trouve dans les relations instituées entre les juridictions nationales et la juridiction commune de l'OHADA aucune solution satisfaisante. En effet, aucune des alternatives évoquées ci-dessus n'est satisfaisante. Certaines comme, celle qui consiste à former un seul pourvoi avec des moyens soumis à des juridictions différentes sont même impraticables. Toute situation incertaine qui suscite des solutions alternatives est source de conflits potentiels. Il n'est donc pas étonnant qu'un tel conflit de détermination de la juridiction compétente -Cour commune ou juridiction nationale de contrôle de légalité- se soit posé dans l'affaire Snar Leyma rendu par la Cour Suprême du Niger le 16 août 200138(*). Paragraphe II: L'exemple de la jurisprudence Snar LeymaLe litige portait sur l'ouverture du capital de la Société nigérienne d'assurance et de réassurance (Snar Leyma) au groupe Hima Souley lors d'une opération de recapitalisation de la société d'assurance. Le groupe Hima Souley avait obtenu, par ordonnance rendue sur requête en date du 20 avril 2001 du Président du tribunal de Niamey, la nomination d'un administrateur judiciaire chargé de convoquer une assemblée générale des actionnaires de la Snar Leyma qui serait chargée de constater la libération des actions souscrites par le groupe Hima Souley en sa qualité d'actionnaire. Cette ordonnance avait été confirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Niamey du 23 mai 2001. Insatisfaite de l'arrêt d'appel ayant confirmé l'ordonnance du 20 avril 2001, la société nigérienne d'assurance avait introduit un pourvoi en cassation invoquant la violation par l'arrêt soumis au pourvoi de dispositions du code de procédure civile, du code civil et du code CIMA. La défenderesse au pourvoi -le groupe Hima Souley- avait soulevé une exception d'incompétence et une fin de non recevoir. L'exception d'incompétence invoquait la compétence exclusive de la C.C.J.A. pour statuer sur l'application des actes uniformes de l'OHADA, en l'espèce l'acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique du 17 avril 1997, conformément à l'article 14 du traité OHADA. La fin de non-recevoir invoquait la non inscription en faux contre la décision notariée de souscription et de versement. Les moyens du pourvoi invoquaient d'abord la violation par l'arrêt d'appel du 23 mai 2001 de l'article 809 du code de procédure civile nigérien en ce que cette disposition prévoit que « les ordonnances sur référé ne feront aucun préjudice au principal » . Or, selon la demanderesse au pourvoi, en reconnaissant la qualité d'actionnaire au groupe Hima Souley, les pouvoirs conférés au juge statuant en référé avaient été outrepassés. Les autres moyens du pourvoi invoquaient la méconnaissance des dispositions du code civil nigérien et du code CIMA sans d'ailleurs relever précisément quelles dispositions précises de ces deux codes auraient été violées. Pour le Code civil, on peut penser que c'est l'article 1134 consacrant le principe de la force obligatoire des conventions qui était implicitement visé par le pourvoi et pour le code CIMA, les dispositions spécifiques aux sociétés d'assurance. Dans son examen du pourvoi, la cour suprême du Niger accueille le moyen pris de la violation de l'article 809 du code nigérien de procédure civile. La haute juridiction décide que, en raison de la contestation de la qualité d'actionnaire du groupe Hima Souley, le juge des référés n'était pas compétent pour lui reconnaître cette qualité. En lui reconnaissant cette qualité, le juge des référés avait d'après la Cour suprême nigérienne, pris une décision contraire à la nature provisoire du référé. L'accueil de ce moyen aurait à lui seul justifié la cassation. La Cour suprême relève cependant un moyen d'office tiré du non respect de la procédure du référé pour la désignation d'un mandataire judiciaire. Selon la cour, l'article 516 de l'acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique imposerait dans tous les cas que la nomination d'un mandataire judiciaire pour pallier l'inertie du Conseil d'administration soit effectuée par ordonnance de référé rendue au terme d'une procédure contradictoire. Or, dans le cas d'espèce, l'ordonnance de nomination du mandataire avait été rendue sur requête, sans procédure contradictoire. Ceci constituait, d'après la haute juridiction nigérienne, un second motif de cassation. Notre propos portera exclusivement sur le rejet de l'exception d'incompétence soulevée par la défenderesse au pourvoi. On se rappelle que cette exception invoquait la compétence exclusive de la C.C.J.A. pour statuer sur l'application des actes uniformes de l'OHADA. La Cour suprême réfute la compétence de la C.C.J.A. au motif que celle-ci ne serait compétente que pour l'application des actes uniformes. Ceci, dans la compréhension de la Cour du Niger, implique que la compétence de la C.C.J.A. serait limitée à des pourvois qui sont fondés exclusivement sur des dispositions d'actes uniformes. Or, dans le cas d'espèce, le pourvoi n'est pas exclusivement fondé sur des normes uniformes de l'OHADA. En effet, on a vu que le pourvoi invoquait, outre des dispositions uniformes, des dispositions de droit nigérien non harmonisé du code civil et du code de procédure civile. Certes, la juridiction suprême du Niger ne va pas jusqu'à affirmer sa compétence pour statuer sur les actes uniformes mais elle estime que dans un tel cas, « il appartient à la Cour suprême nationale de saisir la Cour commune des questions spécifiques aux actes uniformes ». Quoiqu'en pense la haute juridiction du Niger, une telle procédure, qui s'apparente au recours préjudiciel en interprétation n'est pas organisée dans le système institutionnel de l'OHADA. Le recours consultatif devant la C.C.J.A. n'est possible que pour les seules juridictions du fond. Ceci ressort explicitement de la combinaison des articles 13 et 14 alinéa 2 du Traité OHADA. En effet, l'article 13 vise l'application du droit uniforme par les juridictions du fond en première instance et en appel tandis que l'article 14 alinéa 2 vise la saisine de la C.C.J.A. pour avis consultatif « par les juridictions nationales saisies en vertu de l'article 13 ». Pour les juridictions nationales de contrôle de légalité, comme les cours de cassation, la seule voie, lorsqu'une question est posée devant elle relative à l'application des actes uniformes, est le dessaisissement. L'article 51 du Règlement de procédure de la C.C.J.A. apporte, sur ce point, une précision qui permet d'affirmer qu'une cour de cassation ne peut que se dessaisir si une question portant sur un acte uniforme est soulevée devant elle. Ainsi, ledit article dispose que « Lorsque la cour est saisie conformément aux articles 14 et 15 du traité par une juridiction nationale statuant en cassation qui lui renvoie le soin de juger une affaire soulevant des questions relatives à l'application des actes uniformes, cette juridiction est immédiatement dessaisie ». La procédure évoquée par la Cour suprême nigérienne ne peut donc être envisagée. Seule une procédure de dessaisissement est prévue par le droit OHADA. La Cour suprême du Niger soumet la procédure de consultation de la C.C.J.A. à une double condition : il faut que « l'application des actes uniformes ait été prépondérante pour la prise de la décision attaquée et que le pourvoi [soit] surtout basé sur ces actes ». Il faut donc que la décision attaquée soit principalement fondée sur une ou plusieurs dispositions uniformes et que le pourvoi invoque principalement la violation du droit uniforme. Si tel n'est pas le cas, la juridiction suprême nationale est compétente pour statuer sur le tout sans devoir saisir la C.C.J.A. Dans le système proposé par la juridiction du Niger, il revient évidemment à la juridiction saisie, c'est-à-dire la Cour suprême, d'apprécier la clé de répartition entre droit national et droit uniforme aussi bien dans l'arrêt attaqué que dans le pourvoi. En d'autres termes, c'est cette juridiction qui statuera sur la compétence ou l'incompétence de la C.C.J.A. On ne saurait imaginer un système plus éloigné des conceptions du Traité OHADA qui entend faire de la C.C.J.A. la juridiction exclusivement compétente pour toutes les questions relatives à l'application des actes uniformes. Quel que soit le jugement que l'on peut porter sur l'arrêt rendu dans l'affaire Snar Leyma évoqué ci-dessus, il témoigne d'une relation à tout le moins conflictuelle entre les juridictions nationales de cassation et la Cour commune de l'OHADA. C'est ainsi qu'il a pu être perçu comme une manifestation de la résistance des juges nationaux à l'application et l'interprétation du droit uniforme par la Cour commune39(*). Une telle situation conflictuelle nous paraît difficilement évitable dès lors que le système institutionnel repose sur un mécanisme de substitution de compétence, en l'espèce des juridictions de cassation vers la Cour commune tel qu'il a été conçu au sein de l'OHADA. Le conflit n'est cependant pas insoluble dans un système où l'une des juridictions peut finalement imposer sa compétence à l'autre. Tel est précisément le cas dans le système OHADA. En effet, aux termes de l'article 18 du Traité, « Toute partie qui, après avoir soulevé l'incompétence d'une juridiction nationale de cassation estime que cette juridiction a méconnu la compétence de la Cour commune de justice et d'arbitrage peut saisir cette dernière...». La Cour commune aura finalement le pouvoir d'imposer sa compétence puisque si elle « décide que cette juridiction [la juridiction nationale de cassation] s'est déclarée compétente à tort, la décision rendue par cette juridiction est réputée nulle et non avenue ». A cet égard, le conflit risque d'être beaucoup plus difficile à dénouer lorsqu'il est posé entre deux juridictions dont aucune ne peut imposer sa compétence à l'autre. Tel est précisément le cas lorsque le conflit est soulevé entre deux juridictions communautaires ou communes. * 38 D. Abarchi, « Cour Suprême du Niger, 16 août 2001 », Revue burkinabé de droit, 2OO2, p.121 et s. et obs.. A. Kante, « La détermination de la juridiction compétente pour statuer sur un pourvoi formé contre une décision rendue en dernier ressort en application des actes uniformes (observations sur l'arrêt de la Cour suprême du Niger du 16 août 2001) », OHADA. Corn, OHADA D-02-29 * 39 A Kante, op.cit p.7 et D. Abarchi, op.cit, p.125 et 130. J. Lohoues-Oble, « Traité et actes uniformes commentés et annotés », Juriscope, 2ème éd., 2002, p. 41-42. |
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