Les institutions juridictionnelles dans l'espace communautaire ouest africain( Télécharger le fichier original )par Sally Mamadou THIAM Université Cheikh Anta Diop de Dakar - DEA Droit de l'intégration et de l'OMC 2005 |
Paragraphe II: Devant le juge communautaire.Devant les juridictions communautaires, le conflit de normes paraît à priori, impensable (A) néanmoins possible (B) A: Un conflit à priori impossible Devant les juridictions communautaires, le conflit de normes paraît à priori impensable. Dans le cadre d'un recours préjudiciel ou d'un pourvoi en cassation, la cour de justice de l'UEMOA et la Cour commune de l'OHADA ont pour unique fonction d'interpréter respectivement le droit de l'Union et le droit uniforme quelles que soient par ailleurs les autres dispositions applicables au litige. En clair la cour de justice de l'UEMOA ne peut connaître que des litiges résultant de normes produites par ses organes. C'est également le même cas en ce qui concerne l'OHADA. Ce qui veut dire en d'autres termes qu'il est impossible qu'un conflit qui est né par rapport au droit UEMOA puisse être porté devant la CCJA. On vient de relever comment une telle situation pourrait d'ailleurs cristalliser le conflit de normes qui néanmoins dans le domaine du possible. B: Un conflit néanmoins envisageable Il n'est cependant pas exclu au moins dans le cadre d'un recours préjudiciel devant la Cour de l'UEMOA, que la question spécifique de l'incompatibilité soit expressément posée par la juridiction ayant sollicité le recours. Pour la Cour commune de l'OHADA, il n'est pas non plus exclu qu'un avis consultatif 53(*) soit sollicité sur une question spécifique d'incompatibilité. On voit mal dans ces hypothèses, comment ces juridictions pourraient refuser de traiter le conflit dont elles ont été saisies sauf à ignorer complètement tout autre ordre juridique que celui auquel elles appartiennent. La seule solution pour le juge communautaire, serait alors de traiter la question selon les normes applicables au droit des traités. Section II: Les possibilités de traitement des conflitsL'une des possibilités imaginables pour traiter les conflits dans l'espace communautaire ouest africain, sera nécessairement une harmonisation des normes produites par les différentes organisations d'intégrations. (Paragraphe I) mais on peut aussi envisager une harmonisation des juridictions communes elles mêmes (paragraphe II). Paragraphe I: Du point de vue normatifDu point de vue normatif, le traitement des conflits peut être aussi bien d'ordre curatif que préventif grâce à une harmonisation des différentes normes produites par les organisations évoluant dans le même espace intégré ce qui va permettre une simplification du droit des affaires. La simplification postule une unification des cadres institutionnels d'élaboration des règles ainsi qu'une amélioration du cadre de production lui-même. En dehors de l'OHADA, plusieurs organisations interviennent pour servir de cadre à l'harmonisation de certaines branches du droit des affaires. Le domaine du traité OHADA lui-même se caractérise par une certaine élasticité. En effet, l'article 2 du traité tout en énumérant les disciplines qui pour le besoin de son application entrent dans le domaine du droit des affaires, fait également allusion à « toute autre matière que le conseil des ministre déciderait d'y inclure ». on constate donc une conception assez extensive du droit des affaires, lequel semble couvrir des domaines aussi variés que le droit commercial général, droit des société et GIE, le droit des sûreté, les procédures de recouvrements et voies d'exécution, les procédures d'apurement du passif, le droit de l'arbitrage, le droit des transports de marchandises par route, le droit comptable et au même moment d'autres actes uniformes sont en cours d'élaboration ou d'adoption. Il en est ainsi des actes uniformes relatifs au droit du travail, au droit des contrats, et au droit de la consommation. Il semble que cette extension va à terme toucher aux autres disciplines existantes : le droit de la propriété industriel et commercial, le droit de la société civile, le droit des NTIC, le droit de la concurrence ainsi que certains aspects déjà annoncés du droit bancaire et du droit des assurances. Le résultat de la multiplication des pôles de production et d'intervention est l'apparition de ce que le professeur Tiger appelait « la mosaïque du droit des affaires », mosaïque qui comporte le risque d'une contrariété de normes émanant de différentes instances africaines d'harmonisation. Exemple : on a pu remarquer sous l'égide de l'UEMOA, ont été élaborées des règles portant SYSCOA entré en vigueur en janvier 1998 et plus tard l'adoption en 2001 d'un acte uniforme portant organisation et harmonisation de la comptabilité publique des entreprises d'où l'existence de deux textes couvrant la même matière. Cette tendance de complexification risque de se poursuivre avec la décision prise en mars 2001 par le conseil des ministres de l'OHADA d'inclure dans le périmètre de l'OHADA des matières qui ont déjà fait l'objet d'une harmonisation par d'autres instances ou organisation inter africaines. Il en est ainsi par exemple du droit de la concurrence déjà traité dans le cadre de l'UEMOA et CEMAC, du droit de la propriété intellectuelle régi par les dispositions de l'OAPI et du droit bancaire réglementé par les lois bancaires applicables dans le cadre des Banques Centrales de l'UEMOA et CEMAC. Ainsi, il apparaît que cette profusion de normes n'est pas à faciliter la taches aux investisseurs privés et demeures une source non négligeable de conflits ce qui justifie à plus d'un titre de procéder à une harmonisation voire coordination entre les différentes normes. Ainsi, cette coordination se développe suivant deux voies : Il y'a la coexistence pacifique entre les différentes organisations qui se manifeste par une tendance à prendre en compte l'existence des organisations les unes par les autres. Par exemple les instances de la CIMA citent officiellement l'OHADA parmi leurs partenaires extérieures alors que la CIPRES a été associée par le secrétariat permanent de l'OHADA aux travaux de l'élaboration de l'acte uniforme sur le droit du travail. Enfin on pourra aussi souligner que l'OHADA lui-même consacre cette tendance de coexistence pacifique dans son droit substantiel. Il suffit simplement de citer l'article 916 AUSCGIE, lequel stipule : « que le présent AU n'abroge pas les dispositions législatives auxquelles sont assujetties les sociétés soumises à un régime particulier ». Il s'agit là d'une certaine façon de prendre en compte les règles spécifiques de l'UEMOA applicables aux sociétés cotées en bourses et aux établissements de crédits ainsi que les règles de la CIMA relatives aux sociétés d'assurance. Il y'a aussi l'instauration d'un partenariat qui commence à être inauguré par certaines instances interafricaines. Partenariat allant dans le sens d'une certaine efficience dans la production des normes. C'est ainsi que par une décision du 13 Août 2001, le conseil des ministres de la CEMAC a donné mandat à son secrétaire exécutif de signer un accord de coopération avec le secrétariat permanent de l'OHADA, lequel accord stipulerait que les deux organisations s'engagent à coopérer dans la définition du domaine d'harmonisation du droit des affaires et dans la mise en oeuvre des politiques d'intégration juridique et judiciaire dans les Etats membres. Le même effort de partenariat et de collaboration existe également entre la commission de l'UEMOA et le secrétariat de l'OHADA. Le traitement le plus satisfaisant serait, sans nul doute, celui qui permettrait d'éviter le conflit de normes. Il s'agit dans ce cas d'un traitement préventif. On aura compris qu'il ne peut se situer qu'au plan normatif, c'est-à-dire au niveau des normes produites par chacune des organisations régionales. Chacune des organisations veillerait lorsqu'elle édicte des normes à ce que celles-ci ne portent pas sur les mêmes matières que celles qui ont déjà fait l'objet de règles prises par une autre organisation d'intégration et à fortiori à ce que les normes édictées ne puissent être incompatibles avec celles d'autres institutions régionales d'intégration. Certaines dispositions du Traité de l'UEMOA peuvent être interprétées dans le sens de la recherche d'une telle harmonie. Ainsi l'article 60 du Traité de Dakar du 10 janvier 1994 dispose en son alinéa 2 que «...la Conférence tient compte des progrès réalisés en matière de rapprochement des législations des Etats de la région dans le cadre d'organismes poursuivant les mêmes objectifs que l'Union »54(*). Ceci implique que l'UEMOA lorsqu'elle prend des règlements ou des directives, doit tenir compte « des progrès réalisés en matière de rapprochement des législations» des Etats membres. Or, tous les Etats de l'UEMOA sont membres de l'OHADA. Il en résulte qu'un règlement intervenant pour régler une question faisant l'objet d'un acte uniforme ou de dispositions d'acte uniforme de l'OHADA ne tiendrait pas compte de l'uniformité des législations des Etats membres sur cette question. La Cour de justice de l'UEMOA pourrait, lorsqu'elle est saisie pour avis sur un projet de règlement, attirer l'attention du Conseil sur le risque de double emploi ou d'incompatibilité qu'un tel règlement pourrait engendrer55(*). La situation est plus complexe au sein de l'OHADA dans la mesure où plusieurs Etats membres ne sont ni membres de l'UEMOA ou de la CEDEAO. Il se pourrait donc qu'un acte uniforme puisse intervenir dans une matière ou pour une question couverte par une norme de droit communautaire. On doit cependant observer qu'un tel acte ne serait pas de nature à favoriser la sécurité juridique et judiciaire qui constitue la raison d'être de cette organisation. Un tel acte ne serait donc pas judicieux et ne répondrait pas aux objectifs de l'Organisation. En outre, il n'est pas impossible que la Cour de justice de l'UEM0A puisse être saisie par un organe de l'Union pour recueillir son avis sur ce projet d'acte uniforme56(*). L'avis de la Cour pourrait servir de fondement à l'attitude des Etats membres de l'UEMOA lors de l'adoption de cet acte uniforme au sein du Conseil des ministres de l'OHADA. Ceci est important quand on sait que les actes uniformes doivent être adoptés à l'unanimité des représentants des Etats parties présents et votants57(*). La concertation n'est certes pas une obligation juridique pour l'OHADA, elle est cependant condamnée à cette concertation si elle veut se montrer efficace. A coté de l'aspect normatif, une solution aux conflits entre juridictions communautaires peut également être trouvée du point de vue juridictionnel. * 53 Art. 14, al.2 du Traité OHADA * 54 Voir aussi l'article 14 du Traité UEMOA qui oblige les Etats membres à prendre toutes mesures destinées à éliminer les incompatibilités ou les doubles emplois entre le droit et les compétences de l'Union d'une part, et les conventions conclues par un ou plusieurs Etats membres d'autre part, en particulier celles instituant des organisations économiques internationales spécialisées ». Pour une analyse des articles 60 al.2 et 14 du Traité de l'UEMOA, voir D. BA, op. cit., p.183-185 et 189-190. * 55 La Cour de justice de l'UEMOA a, dans l'avis rendu sur le projet de code communautaire des investissements, pris la mesure d'un tel risque. Elle relève en effet que « la coexistence, dans le présent texte, de lois uniformes de l'OHADA et du droit communautaire de l'UEMOA va poser des problèmes de contrariétés de décisions, voire de base juridique... » (Avis 001, dossier 6-99, 2 février 2000, Revue Burkinabé de droit 2000, p.127). Plus loin, la juridiction affirme « la nécessité d'une concertation entre les deux organisations en vue de la coordination de leur politique normative et de leur juridiction respective... » (Ibid. p.129). * 56 Art. 60 du Traité UEMOA et 27 al. 2 de l'Acte additionnel 10/96 portant statuts de la Cour de justice de l'UEMOA. * 57 Art. 8 du Traité OHADA |
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