§2. Le rôle des instances judiciaires.
L'action législative s'achève à
l'élaboration des normes ; leur application permanente étant
assurée par les juridictions.
A. Le rôle du juge congolais dans la
répression de la concurrence déloyale à Bukavu.
Le juge congolais, dans les limites de l'Ordonnance
législative de 1950 examinée ci-contre, a pour fonction, de
confronter les faits relatifs à la concurrence déloyale aux
dispositions légales aux fins de dégager une conséquence
juridique. De ce fait, le dispositif de son jugement doit non seulement
protéger les intérêts des parties en cause, mais
également les consommateurs et l'ordre public économique en
général doivent y retrouver leur compte.
A Bukavu, l'efficacité des solutions
apportées par le juge n'est vraiment pas consistante. Ceci est
lié au fait que la lenteur de la justice ne permet pas aux
opérateurs économiques d'être restauré dans leurs
droits. C'est la raison d'ailleurs pour laquelle la jurisprudence en la
matière est presque inexistante à Bukavu. Pour raison
d'illustration, nous essayerons de voir comment le juge du TGI de Bukavu
s'était positionné face aux actes de concurrence déloyale
que la SONAS se prétendait en 2003. Il sied de rappeler que dans cette
affaire, il s'agissait non seulement de la concurrence déloyale mais
également, d'une atteinte au monopole étatique. Cette affaire
parte le R.C. 6042 au greffe civil du TGI/Bukavu.
B. Résumé de l'Affaire SONAS contre
SCAR.
La SONAS est une entreprise publique créée
par Ordonnance n° 66/22 bis du 23 novembre 1966. Elle a son siège
à Kinshasa et une succursale à Bukavu. En date du 02 octobre
2003, elle avait assigné à bref délai la SCAR sarl, ayant
son siège à Goma et une succursale à Bukavu, d'avoir
à comparaître par devant le TGI de Bukavu, siégeant en
matière civile et commerciale au premier degré au local ordinaire
de ses audiences le 27 octobre 2003 à 9h du matin.
La SONAS a soutenu qu'attendu que par Ordonnance-loi
n° 66/620 bis du 23 novembre 1966, elle fut créée ;
Que cette loi n'a jamais été
abrogée ;
Q'attendu que sous le couvert d'une décision n'ayant
pas force de loi du RCD n° 018/RCD/CUPSG/2003 du 28 mars 2003, une
société par action dénommée SCAR s'est
instituée d'abord en violation de la loi ensuite au mépris du
Décret du 27 février 1887 qui dispose que nulle sarl ne pourra se
fonder au Congo qu'après avoir été autorisée par
Décret ;
Que contre toute atteinte, la SONAS de nullité
absolue a ouvert ses portes à Bukavu et tente d'allécher la
clientèle par des prospectus fallacieux distribués dans la ville
et aux environs aux fins de lui extorquer des fonds en lui faisant miroiter des
services et autres interventions chimériques ;
Qu'aussi, cette société nulle au voeu de la
loi ne peut exercer des activités en RDC ;
Qu'attendu que bien plus, la décision du RCD portant
libéralisation des assurances n'a pas de valeur de texte
législatif et ne peut pas combler un vide s'il eut en matière des
assurances ;
Qu'il échet dès lors de dire nulle et
inexistante ladite société et qu'en conséquence d'ordonner
la destruction de tous documents nuls et frauduleux que détiendrait la
société fictive ainsi que ses points de vente ;
Que par ailleurs sur les ondes d'une radio locale, il
s'était fait allusion au discrédit de l'exposante au mois de
septembre 2003, par le fait de l'assignée ;
Que les agissements de la société nulle ont
porté ombrage à l'honorabilité de l'exposante, dès
lors la SCAR devra être condamnée à tous les tords
causés à la modique somme de l'équivalent en franc
congolais de 100.000 U$ ;
Qu'au vu de ce qui précède, plaise au
tribunal :
De dire recevable et fondée la présente
action et y faisant droit ;
Dire nulle et inexistante la Société
SCAR ;
S'entendre à indemniser pour tous les
préjudices confondus à l'équivalent en franc congolais de
100.000 U$ de dommages-intérets ;
S'entendre condamner la citée à la
publication à ses frais dans des organes de presse du Nord et Sud-Kivu,
ainsi qu'au Journal officiel de l'intégralité de la
décision à intervenir ;
Et ça sera justice.
Dans sa note de plaidoirie du 03 novembre 2003, la
défense est revenue sur les actes de concurrence déloyale
ci-après :
1. Attendu que du fait de la Société SCAR, la
SONAS a subi et continu à subir des préjudices allant même
à la discréditer et à raconter sur les ondes de la radio
qu'elle était la meilleure, plaine d'efficacité par rapport
à la concurrente ;
2. Que c'est ainsi que la Société SCAR a
commencé même à débaucher les clients de la SONAS,
une Société réellement congolaise ;
3. Que c'est ainsi qu'au pied de l'art. 258 du CCC LIII elle
sollicite la réparation par une modique somme de 100.000 U$ ou son
équivalent en franc congolais ;
4. Que la SONAS a le monopole des Assurances à lui
accordé par le Président de la République par son
Ordonnance-loi n° 240 du 02 juin 1967, et à ce jour cette
disposition n'a jamais été abrogée ;
5. Que cette Société ne peut se targuer de son
monopole mais encore, elle ne peut oser fonctionner car une sarl ne peut
s'installer au Congo qu'en vertu qu'en vertu d'un Décret
Présidentiel tel que dispose l'art. 6 du Décret du 27
février 1887 ;
6. Que de ce fait la SCAR n'est pas reconnue, d'où sa
nullité absolue, et son existence est de facto car, c'est une
société pirate qui est venue s'installer au Congo sous ce
couvert.
La défense quant à elle soutenait que
l'action mue par la SONAS doit être déclarée irrecevable
pour cinq raisons :
1. Que le tribunal saisi doit se déclarer
incompétent, étant donné que la SCAR estime que, c'est
après avoir statué sur le fait de savoir si la décision du
RCD créant la SCAR a force de loi qu'on peut alors statuer sur la
nullité ou l'existence de cette dernière. Il s'agit donc d'une
question préjudicielle que le tribunal devait vider d'abord avant de
statuer sur le fond ;
2. Que Monsieur AMSINI IYAO, Président du conseil
d'administration de la SONAS, n'a pas qualité pour agir à son
nom ;
3. Que la demande introduite par devant le tribunal n'a pas
d'objet et qu'elle se fonde plutôt sur l'art. 2 du code d'OCJ ;
4. Que la demanderesse n'est pas bien identifiée, ce
qui fait que la demande soit non fondée ;
5. Que le RCD était compétent pour
libéraliser les assurances sur le territoire sous son contrôle
compte tenu des accords de Lusaka à lui octroyant ces
prérogatives.
1. Décision du Tribunal.
En son audience publique du 06 avril 2005, le TGI de Bukavu
séant et siégeant en matière civile et commerciale au
premier degré a rendu le jugement dont la teneur suit :
Le Tribunal de Grande Instance de Bukavu statuant
contradictoirement à l'égard de la demanderesse et par
défaut à l'égard de la défenderesse ;
Le Ministère public entendu ;
Vu le Code d'OCJ ;
Vu le Code Civil Congolais Livre III ;
Vu la loi sur les sarl ;
Vu l'Ordonnance n° 66/622 du 23 novembre 1966
créant la SONAS ;
Vu la décision du Président du RCD n°
018/RCD/CUPSG/2003 ;
Reçoit l'action mue par la SONAS et la
déclare fondée ;
Y faisant droit ;
Dit nulle et inexistante la SCAR ;
Condamne celle-ci à la somme de franc congolais
équivalent à 80.000 U$ à titre de dommages
intérêts pour les préjudices qu'elles a causé
à la SONAS ;
La condamne en plus à la publication à ses
frais dans les organes de presse du Nord et du Sud-Kivu ainsi qu'au journal
officiel de l'intégralité de la présente
décision ;
Dit en outre que le présent jugement est
exécutoire nonobstant tout recours et sans caution en ce qui concerne la
fermeture de tous les bureaux de la SCAR ;
Met la masse des frais à charge de la SCAR.
2. Analyse de cette décision.
Nous allons, brièvement, partir des notions
générales du droit international public, du droit administratif,
de l'accord de Lusaka et de l'accord global et inclusif dont le Gouvernement de
la transition est débouché, pour démontrer notre point de
vue vis-à-vis dudit jugement.
En droit Administratif, la théorie du fonctionnaire
de fait est une dérogation à la règle de la
compétence. C'est donc un correctif des conséquences juridiques
normales. Le fonctionnaire de fait est un agent incompétent,
généralement un individu non investi ou
irrégulièrement investi de la fonction mais dont ses actes sont
déclarés valides.
En période normale, le fonctionnaire de fait peut
intervenir sur base de l'idée d'apparence. En période des
circonstances exceptionnelles par contre, la théorie du fonctionnaire de
fait est basé sur l'idée de nécessité. Nul n'ignore
que pendant la rébellion du RCD nous étions sous ce régime
et la décision du RCD libéralisant les assurances était
prise dans ce sens ci-contre expliqué.
En droit international public, certaines entités
n'ayant pas la qualité d'Etat sont reconnues comme sujet mineur dudit
droit, dès lors qu'elles sont sujets des droits et obligations. C'est le
cas d'une rébellion qui a une certaine autorité sur la portion du
territoire qu'elle dirige.
A partir de l'accord de Lusaka signé entre les
parties engagées en guerre en RDC en août 1999, le RCD comme les
autres entités avaient l'autorité de l'Etat sur le territoire
sous leur contrôle. C'est d'ailleurs sur cet aspect que la partie
défenderesse s'était fondée dans l'affaire sous examen.
Les articles qui suivent de cet accord illustrent cet aspect :
6.1 Aux termes de cet Accord et à l'issue des
négociations politiques inter-congolaises, l'autorité
administrative de l'Etat sera rétablie sur l'ensemble du territoire de
la République Démocratique du Congo.
6.2 Dès l'entrée en vigueur de cet Accord, il
y aura un mécanisme de concertation entre les Parties congolaises qui
permettra de poser, sur l'ensemble du territoire national, des actes, et de
mener des opérations ou des actions qui relèvent de
l'intérêt général, notamment dans les domaines de la
Santé Publique (ex. campagne nationale de vaccination), de l'Education
(ex. correction des examens d'Etat), des migrations, de la circulation des
personnes et des biens.
L'accord global et inclusif dit clairement que la
répartition des responsabilités au sein des institutions de la
transition et à différents niveaux de l'Etat se fait sur la base
du principe de l'inclusivité et du partage équitable entre les
composantes et entités au dialogue inter-congolais selon des
critères de compétence, de crédibilité,
d'honorabilité et dans un esprit de réconciliation nationale. Si
le RCD n'était pas reconnu à ce niveau, elle ne ferait partie
intégrante de la troisième République.
Après ce bref éclaircissement sur le
fondement du RCD et sa compétence en matière de
législation sur la partie jadis sous son contrôle, nous pouvons
nous inscrire du coté de ceux qui pensent que la vérité
juridique ne reflète pas toujours la vérité ontologique.
C'est le cas du jugement rendu dans cette affaire. Le RCD était de ce
fait compétent et le juge du TGI devait se ranger du coté de la
défense en laissant la section administrative de la Cour d'Appel vider
d'abord l'incident soulevé par la défense avant de rendre son
jugement. Tout comme, la C.A elle-même pouvait statuer sur le principal
et l'accessoire en vertu du principe qui peut le plus peut le
moins.
L'efficacité des décisions judiciaires
sanctionnant la concurrence déloyale à Bukavu est loin
d'être certaine. Dans le dispositif, nulle part où le juge a fait
référence à l'Ordonnance-loi de 1950 réprimant la
concurrence déloyale en RDC, et pourtant la partie demanderesse n'a
cessé de se fonder sur les actes de ladite concurrence. Le verdict
était tombé sur base de l'art. 258 et ss. du CCC LIII. Les
notions ci-contre développées matérialisent encore une
fois la politisation des décisions judiciaires par nos juridictions.
Cette affaire est pendante devant la C.A de Bukavu. Nous attendons voir la
décision du juge du second degré encore qu'il y a aujourd'hui un
projet de loi au parlement sur la libéralisation des assurances en
RDC.
|