CHAPITRE QUATRIÈME:
LES OUTILS POUR LA MISE EN PLACE D'UNE NOUVELLE
LEGISLATION DE L'EAU GLOBALE, COHERENTE ET CONCERTEE EN HAITI
Dans le présent chapitre, nous formulons des
perspectives d'action qui constituent aussi des priorités. Ces
propositions portent sur la mise en place d'un véritable droit
haïtien de l'eau et sur les actions concrètes à
réaliser dans le domaine de l'eau compte tenu des attentes et
observations des citoyens et citoyennes du pays.
Section 1- LES OUTILS DE LA NOUVELLE LEGISLATION DE
L'EAU
1. Les outils Juridiques
Le régime juridique que nous proposons cherchera
d'abord à favoriser, sur le plan institutionnel, des approches
intégrées en matière de gestion de l'eau et des milieux
aquatiques et à assurer la cohérence, la participation
démocratique et la transparence. Le régime juridique doit
encourager la concertation, la responsabilisation et la capacité de
formuler des solutions par anticipation. Il doit permettre à la fois la
protection de l'eau, son partage et sa mise en valeur.
En Haïti, depuis une quarante d'années,
d'importants efforts ont été consentis sur le plan
législatif et réglementaire. Cependant, nous devons aller plus
loin, en tirant profit des acquis. Pour que le processus d'amélioration
puisse démarrer, c'est maintenant qu'il faut commercer à agir.
Haïti doit établir un véritable droit de
l'eau dont la pièce maîtresse sera une loi cadre sur l'eau et les
milieux aquatiques. Elle instituera les mécanismes, les outils et les
formes de financement de la gestion de l'eau et leur donnera une assise
juridique. Elle sera aussi le lieu de départ de la concordance
législative et réglementaire. Dans une approche de
développement durable, cette loi aura pour objet d'encadrer l'ensemble
du domaine de l'eau et des milieux aquatiques.
Elle établira les principes généraux de
la gestion des ressources en eau et des milieux aquatiques : l'eau patrimoine
commun de l'humanité, la durabilité, la concertation des acteurs,
la gestion équilibrée des milieux naturels et des usages, la
prudence et le partage équitable du coût de l'eau entre les
usagers et les pollueurs. Elle fixera les orientations relatives au maintien de
la qualité, à la préservation, à l'utilisation,
à la conservation et à la mise en valeur. Elle instituera les
structures administratives souples nécessaires à la gestion des
ressources en eau et des milieux aquatiques.
Elle donnera un statut juridique aux outils de planification
et de gestion : le comité de bassin, le schéma directeur de l'eau
et le mécanisme de financement, soit une redevance pour les usages
industriels et commerciaux. La participation du public aux décisions
relatives aux ressources en eau et aux milieux aquatiques sera aussi inscrite
dans la loi comme exigence. Elle clarifiera le statut juridique de l'eau
souterraine et de surface et du lit des cours d'eau. Elle précisera les
droits d'accès et les droits d'usage des riverains.
Les règles et les pratiques du droit coutumier doivent
acquérir force de loi du fait qu'ils contribuent, notamment en contexte
rural, à réglementer l'accès à l'eau et à
régler les conflits qui y sont liés. Les approches informelles
traditionnelles sont importantes car la résolution de conflits par voie
légale au tribunal est souvent risquée, onéreuse et en
contradiction avec la culture locale.
Bien entendu, la réglementation de l'eau ne saurait
être une simple codification du savoir local. Mais ce dernier doit
inspirer le législateur dans tous les domaines où il se
révèle utile et pertinent. Parce que le droit s'applique à
l'homme, il doit partir de l'homme. Dans tous les domaines économiques
et sociaux, surtout ceux touchant le monde rural encore attaché aux
traditions, les pouvoirs publics gagneraient à s'affranchir d'un certain
nombre de préjugés pour interroger la psychologie des
destinataires des politiques de développement au lieu de se contenter
d'une copie souvent maladroite des textes de l'Amérique du Nord ou de
l'Europe.
Enfin, la loi-cadre sur l'eau remplacera la
désuète législation sur le régime des eaux. En
effet, notre régime actuel de l'eau est formé de règles
issues de sources diverses, pour la plupart anciennes et qui n'ont jamais
été systématisées. Il a été
élaboré par des apports successifs qui ont été
juxtaposés dans le temps, créant ainsi des droits et des
obligations sans modifier la plupart du temps les situations juridiques
acquises. C'est pourquoi le chantier et le défi, c'est la
systématisation du droit haïtien de l'eau et des milieux
aquatiques.
1.1 L'adoption d'une loi-cadre sur l'eau et les
milieux aquatiques
L'expression « loi-cadre » ne doit pas être un
facteur de confusion. L'objectif visé est d'ajouter certaines
dispositions législatives à l'architecture juridique existante
afin de combler des lacunes et d'augmenter la cohérence qui doit
caractériser le régime juridique.
Ces propositions créent de nouvelles instances et
posent certains principes qui permettront à Haïti de s'affirmer
davantage dans l'exercice de ses compétences en matière de
gestion de l'eau et des milieux aquatiques. Ces nouvelles mesures sont
porteuses de renouveau, mais elles se veulent aussi en lien avec la structure
juridique actuelle et, surtout, bénéficier de ses acquis.
L'intention en est une de systématisation du droit haïtien de l'eau
et des milieux aquatiques.
Néanmoins, dans le but de formuler un système
juridique approprié à la gestion de l'eau, une série
d'étapes et d'actions s'imposent. Elles sont décrites
ci-après :
· rassembler toutes les lois en vigueur sur, ou ayant
trait à, la mise en valeur et la gestion des ressources en eau ;
· analyser cette législation et déterminer
si elle est compatible avec les options envisagées ;
· détecter les problèmes relatifs aux
droits individuels et collectifs en vigueur et aux pouvoirs des gouvernements ;
évaluer les ajustements nécessaires pour ces droits et ces
pouvoirs ;
· évaluer aussi le travail de rédaction de
nouvelles lois, nécessaire pour mettre en oeuvre les nouvelles mesures ;
et finalement
· établir, mettre en oeuvre et faire respecter la
nouvelle législation requise.
Il est tout d'abord nécessaire d'examiner si la ligne
d'action proposée est compatible avec la législation existante
gouvernant et réglementant l'utilisation, l'aménagement et la
protection des autres ressources naturelles qui y sont liées (la terre,
les forêts et les poissons par exemple) ainsi que l'environnement. Si ce
n'est pas le cas, l'étape suivante consiste à examiner quels
changements seront nécessaires et à quel niveau
hiérarchique de la législation (C'est à dire,
constitution, législation, arrêtés ministériels).
2 Les outils économiques et de
gestion
L'eau est un bien public, mais elle n'a pas réellement
un statut économique. Si la ressource est gaspillée, ou sa
qualité non respectée par les usagers, c'est parce qu'elle est
difficilement appropriable et n'a pas de prix en tant que tel. L'objectif des
politiques de redevances et de tarification est d'en réguler les usages
par le biais de prix ou d'instruments ayant la dimension de prix (subventions,
taxes ou redevances) et ce faisant, de responsabiliser les acteurs. En
général, la mise en place d'outils économiques, propres
à intégrer le secteur de l'eau, soulève toujours un grand
nombre de questions d'ordre technique, social, économique et politique.
En dépit de tout, les Redevances et tarification font partie des
instruments économiques mis à la disposition des gestionnaires
publics pour couvrir les coûts de l'eau.
2.1 Les redevances & tarification des usages de
l'eau
2.1.1 Les redevances
L'Agence européenne pour l'environnement définit
ainsi les redevances
'Les redevances ou taxes affectées, conçues
par exemple pour couvrir les coûts des services environnementaux et des
mesures de réduction de la pollution, comme le traitement de l'eau
(redevances sur la consommation), et qui peuvent être utilisées
pour les dépenses environnementales afférentes (taxes
affectées)'.
En Haïti, le concept de redevances pour l'utilisation de
l'eau n'est pas relativement nouveau. Il est mis en oeuvre dans le secteur de
l'eau potable (CAMEP) et de l'irrigation. Mais il est très
répandu dans d'autres pays, notamment en Europe.
Les redevances ne sont pas simplement des taxes,
imposées par l'État pour inciter les producteurs et les
consommateurs à modifier leurs pratiques. Ce sont des taxes qui visent
à couvrir les dommages causés à l'environnement et les
coûts engendrés par la gestion.
Normalement, les redevances ne sont pas sources de profit pour
l'État, mais plutôt le reflet des coûts directs et indirects
engendrés. Lorsqu'elles sont suffisamment importantes et se rapprochent
du coût marginal, elles incitent les utilisateurs à des
changements de comportement.
On distingue trois types de redevances
§ des redevances de branchement pour les utilisateurs
rattachés à un réseau ;
§ des redevances de prélèvement pour l'eau
utilisée, soit depuis un réseau, soit directement dans le milieu
(les abonnés de la CAMEP, les agriculteurs haïtiens paient ce type
de redevances pour l'eau) ;
§ des redevances de rejet pour les coûts de
dépollution des eaux usées rejetées dans un réseau
municipal ou pour la détérioration du milieu récepteur.
Enfin l'amélioration des services collectifs, tels que
l'adduction d'eau potable, l'assainissement ou l'irrigation, ne sera possible
qu'en développant des mécanismes permettant le recouvrement des
coûts auprès des usagers, qui ne l'accepteront qu'en contrepartie
de garantie sur la qualité le juste coût et la permanence des
prestations qu'ils attendent et d'une transparence accrue dans les
modalités de la gestion, à laquelle ils exigeront d'être de
plus en plus associés.
2.1.2 Tarification des usages de l'eau
L'objectif d'une politique de tarification est d'inciter les
acteurs (Etat, collectivités locales, industriels, agriculteurs,
ménages) à un usage mieux raisonné de la ressource par une
responsabilisation économique. Inspirée de l'exemple de
différents pays européens ou de l'Amérique du nord, qui
ont mis en place des outils tarifaires ou fiscaux dans le domaine de
l'environnement depuis une vingtaine d'années, cette démarche est
innovante en Haïti où prévalait jusqu'ici une approche
réglementaire ou de police des eaux.
Pour que la tarification conduise à une modification du
comportement des usagers en faveur de l'environnement, encore faut-il que ces
usagers aient la possibilité de modifier leurs choix, ce qui n'est
possible qu'à moyen terme : équipement des foyers en
systèmes plus économes en eau, procédés
d'irrigation réducteurs de gaspillage, et procédés
industriels moins polluants. Mais l'inertie au changement de tout
système économique suggère qu'au moins initialement, les
mécanismes tarifaires doivent être fixés à des
niveaux élevés, ce qui n'est pas sans effet sur l'activité
économique et sur le revenu des ménages.
Si la protection de l'environnement a un coût, il est
clair qu'aucune société, industrialisée ou non, n'est en
mesure de supporter le coût d'une élimination totale des impacts
négatifs de ses activités sur l'environnement. Le problème
est alors de fixer un moyen terme entre le légitime intérêt
pour la protection de l'environnement naturel et le non moins légitime
intérêt pour le bien-être économique des
sociétés. Une tarification des usages de l'eau doit être
conçue dans un double souci d'efficacité et
d'équité : il faut égaliser les coûts d'atteinte
d'un objectif environnemental à son bénéfice social et
fixer des tarifs individualisés par usagers pour tenir compte dé
l'hétérogénéité des impacts de leurs usages
sur la ressource. Il s'agît de faire payer davantage ceux qui
dégradent beaucoup la qualité de l'eau que les autres. Bien que
souhaitable dans l'optique d'une application du principe pollueur-payeur, la
mise en place de systèmes individualisés est assez difficile
à réaliser en pratique.
2.2 Les outils de gestion
2.2.1 La gouvernance
La gouvernance peut être considérée comme
l'exercice des pouvoirs économique, politique et administratif pour
gérer les affaires des pays à tous les niveaux. Il comprend les
mécanismes, procédés et institutions par lesquels les
citoyens et les groupes articulent leurs intérêts, exercent leurs
droits légaux, remplissent leurs obligations et gèrent leurs
différences.
La bonne gouvernance est, parmi d'autres choses,
participative, transparente et responsable. Elle est aussi efficace et
équitable. Et elle fait la promotion du cadre de la loi. La bonne
gouvernance assure que les priorités politiques, sociales et
économiques sont fondées sur un large consensus dans la
société et que les voix de tous les secteurs sont au coeur du
processus de décision sur l'allocation des ressources pour le
développement.
Ainsi, différents éléments doivent
être mis en oeuvre pour concourir à la bonne gouvernance:
· clarification des rôles et des
responsabilités de chacun ;
· procédures de partage des objectifs pour faire
émerger une volonté commune ;
· concertation entre les parties et contractualisation
sur des objectifs, renforcement des capacités de chacun des acteurs pour
que chacun joue pleinement son rôle et assume ses responsabilités
(information, formation), transparence sur les coûts et sur la
qualité, confiance notamment par la lutte contre la corruption,
évaluation des politiques.
Dans le cadre de la gestion de l'eau en Haïti, la
gouvernance fait donc référence à la réglementation
ou aux procédures susceptibles de définir les marges de
manoeuvres des diverses institutions impliquées dans la fourniture de
l'eau : ministères, entreprises, collectivités, associations,
ONG, aides et fonds internationaux. En termes économiques, elle s'appuie
sur une conception de l'eau comme bien public.
A cet égard, il serait fort peu populaire de
revendiquer la création d'un nouveau ministère. Néanmoins,
nous proposerions donc la création d'une institution nationale
dénommée : 'agence nationale de l'eau' qui aura pour
mandat de voir à la coordination de la politique nationale sur l'eau,
d'assurer une concertation entre les différents intervenants et de
fournir un support administratif, financier et technique aux agences de bassins
dont nous parlions plus haut. La gestion par bassin versant constitue le cadre
le plus approprié pour la planification et la gestion des ressources en
eau De plus, cette institution s'occuperait de certaines opérations
profitables à l'ensemble des agences de bassins et développerait
des contacts au niveau international avec d'autres agences de bassins. Son
mandat principal s'appuiera sur les principes du développement durable.
L'agence devra aussi coordonner la politique d'éducation relative
à l'eau et la recherche sur l'eau. Au niveau politique, cette agence
devrait relever du ministère chargé de l'eau
Elle devra aussi approuver préalablement, sur la base
des principes du développement durable, tous les plans d'actions de tous
les ministères qui ont un rapport avec la ressource. Pour ce faire, elle
devra être dotée d'un budget lui permettant d'assurer correctement
son rôle. Sa loi constitutive devra contenir des mesures pénales
sévères pour son non-respect et celui de la réglementation
qui en découle.
Elle devra être dirigée par une présidence
- direction générale nommée par le gouvernement
après consultation avec les milieux intéressés et devra
être ratifiée par l'Assemblée Nationale Haïtienne pour
un mandat de 5 ans. Les autres membres du conseil d'administration devront
refléter le caractère de concertation de l'organisme.
De façon concrète, on peut considérer que
ces outils forment ensemble une approche cohérente, qui devrait trouver
un écho dans la mise en place d'un cadre juridique de l'eau en
Haïti.
2.2.2 De l'acquisition des connaissances et de
l'accès à l'information
Nous l'avons dit et répété : l'essence
même de tout mécanisme de gestion d'une ressource doit reposer sur
la connaissance adéquate de cette ressource. Or, les interventions en ce
sens sont nombreuses en Haïti, nous connaissons mal l'état de nos
ressources hydriques, en qualité et en quantité, fussent-elles
souterraines ou en surface.
Nous pensons qu'une meilleure gestion, vouée au
développement durable et à la préservation de la
ressource, exige qu'il soit possible pour tous les citoyens de s'informer sur
l'état de la ressource, et cela non seulement au niveau local mais aussi
au niveau régional et national. Trop souvent, c'est
précisément l'information qui fait défaut.
Or, la mise sur pied de programmes d'acquisition de
connaissances ou de banques d'informations, les études scientifiques et
techniques, les programmes de suivi et de surveillance exigent des
investissements considérables, trop souvent bien supérieurs aux
moyens des citoyens ordinaires. Il est essentiel, donc, que l'État
assume la totalité ou une partie de ces investissements. Il en va de la
crédibilité et de la valeur de la future politique.
A cet égard, le gouvernement d'Haïti doit
certainement assumer son rôle de relayeur de l'information. Ainsi, il
doit s'assurer 'de recevoir et colliger toutes les informations pertinentes sur
l'exploitation des ressources hydriques. Les citoyens doivent ensuite avoir
facilement accès à ces informations afin d'exercer leur
rôle de gardiens et de responsables de la gestion de la ressource.
À cette fin, il nous semblerait utile de créer
un registre électronique sur lequel seraient inscrits tous les permis et
demandes de permis concernant le captage d'eau, de même que toutes les
informations utiles et pertinentes à la saine gestion de l'eau et qui
serait accessible à chacun et chacune désirant se renseigner sur
l'état actuel de la gestion de la ressource. L'installation d'un tel
registre faciliterait non seulement l'accès à une meilleure
information de qualité pour les citoyens directement concernés,
mais pourrait également servir d'outil pour une meilleure prise de
conscience collective des problèmes liés à la gestion des
eaux.
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