2 La multiplicité des intervenants et le droit
coutumier
Les lois touchant l'eau en Haïti sont nombreuses et
complexes. Plusieurs acteurs ont des décisions à prendre
relativement aux ressources en eau : ministères, organismes autonomes,
ONG, associations, entreprises... La lourdeur et la fragmentation du cadre
administratif actuel ne favorisent pas la gestion intégrée de
l'eau et des milieux aquatiques. Ce contexte est peu accordé à
une approche globale de la gestion de l'eau et des milieux aquatiques. Il est
plutôt caractéristique d'une démarche sectorielle et
fragmentée de résolution des problèmes hydrographiques.
Or, pour être résolus de façon adéquate, les
problèmes relatifs à l'eau et aux milieux aquatiques doivent
plutôt s'appuyer sur des méthodes et solutions globales et
intégrées. De fait, la gestion de la ressource eau en Haïti
se heurte à de multiples problèmes, en particulier à la
multiplicité des intervenants.
En effet, un réseau complexe d'institutions publiques
est impliqué dans la gestion de l'eau
§ la Direction des Infrastructures Agricoles du
Ministère de l'agriculture des ressources naturelles et du
développement rural (MARNDR) constituée d'un service national des
ressources en eau (SNRÈ) et d'un service d'irrigation et de génie
rural (SIGR). Ses fonctions principales sont la conception, la coordination,
l'étude et le contrôle des infrastructures agricoles pour
l'irrigation, le drainage, l'hydraulique agricole, l'approvisionnement en eau
des zones agricoles à l'intérieur des périmètres
irrigués. Elle est responsable du programme, développement et
gestion des systèmes d'irrigation publics ; Elle est en charge de la
construction des barrages et des digues
§ La Direction du service national de l'eau potable
(SNEP), organe du Ministère des travaux publics. Elle conçoit,
programme, exécute et surveille les projets d'approvisionnement d'eau,
et est appuyée à l'échelle des provinces par des
Directions provinciales.
§ Le Ministère des travaux publics qui a lui aussi
une juridiction sur l'eau à travers la centrale autonome
métropolitaine d'eau potable (CAMEP) ayant une autonomie administrative
et qui réalise des études hydrogéologiques,
géophysiques pour la construction des puits ;
§ Le Ministère de la santé, avec la POCHEP
dont la mission principale est la promotion de l'assainissement et de l'eau
potable en milieu agricole
§ De plus, le Ministère de l'Agriculture, le
Ministère des travaux publics ont également un rôle
réglementaire et/ou financier important en matière d'eau.
Ainsi, la gestion de l'eau est partagée entre de
multiples acteurs, ce qui favorise peu la concertation. Comme nous l'avons
mentionné plus haut, quatre ministères du gouvernement
d'Haïti, dont trois de façon plus importante (MARNDR, MTPTC, MSPPJ,
gèrent divers usages de la ressource eau. À cela, il faut ajouter
les municipalités locales et régionales, sans oublier les
quelques centaines d'ONG qui travaillent dans le secteur.
Pour pallier le caractère sectoriel de sa gestion, les
autorités haïtiennes ont entrepris une série de rencontres -
débats qui visaient à corriger la situation. Or, ces rencontres
pour instituer un gestionnaire unique de l'eau n'ont pas connu les
succès espérés puisque de nombreux acteurs' ont poursuivi
leurs activités sectorielles sans se soucier de leur intégration
dans une politique globale. Électricité d'Haïti a
imposé ses exigences de production électrique comme une
priorité indiscutable. La CAMEP, le SNEP et URSEP du Ministère
des Travaux Publics, le POCHEP du Ministère de la Santé ont
imposé les leurs. Le ministère de l'Agriculture, a poursuivi une
politique implacable de redressement des cours d'eau en vue de l'irrigation et
du drainage agricole.
Le système de gestion actuel favorise plutôt, en
fait, une approche sectorielle des problématiques reliées
à l'eau, laquelle ne facilite pas l'identification et la
résolution des problèmes dans leur ensemble. En clair, le
système actuel de gestion de l'eau est en réalité trop
sectoriel et fractionné par niveau de décisions pour être
efficace.
L'eau est une ressource vitale. Elle l'est davantage en
Haïti où sa disponibilité est compromise par les vagues de
sécheresse et par la faiblesse des moyens financiers et techniques de
protection, de captage, de traitement, de distribution, bref de maîtrise
de la ressource. Mais le problème de l'eau ne se pose pas uniquement en
termes de disponibilité. L'équation à résoudre se
pose bien souvent en termes de gestion durable des ressources disponibles, ce
qui appelle la conception de politiques conséquentes de l'eau,
rassemblant les divers acteurs impliqués autour de visions
consensuelles.
Cependant, l'application effective des politiques de l'eau
largement orientées par les législations modernes est
également compromise dans notre pays par les survivances du droit
coutumier de l'eau qui continuent à inspirer les activités
quotidiennes de gestion de la ressource. Cette dichotomie est porteuse de
conflits de logiques préjudiciables à la gestion rationnelle
d'une ressource aussi précieuse.
En Haïti, les ressources en eau restent marquées
par une prédominance de la perception culturelle et par une survivance
des droits exercés traditionnellement par les collectivités
autochtones sur les eaux dans certaines localités. Ces dernières
donnent à l'eau une valeur culturelle, religieuse et sociale
particulière qui lui confère un statut particulier vis à
vis des autres biens économiques. En effet, au caractère
écrit et codifié du droit moderne s'oppose l'aspect vécu
et oral de la coutume. A l'individualisme du code rural s'oppose la
solidarité du groupe résultant de la tradition. Enfin, à
la laïcité du droit moderne s'oppose la nature religieuse de la
coutume.
Certes, l'Etat a fixé un certain nombre de
règles relatives à la gestion de l'eau. Malheureusement, les
techniques locales de gestion de l'eau répondent non pas aux
prescriptions juridiques en rigueur mais à la perception propre que ces
acteurs ont du phénomène de l'eau. Cette perception repose bien
entendu sur la conception traditionnelle de l'eau mais elle subit l'influence
de visions nouvelles induites par l'intervention de l'Etat. On assiste ainsi
à une anarchie juridique qui n'est pas sans conséquence sur la
qualité de la gestion.
Les conflits de logique prenant l'aspect d'un affrontement
entre la légalité nationale et les légitimités
locales conduisent les populations locales à remettre en cause la
légitimité des institutions chargées d'appliquer le droit
moderne de l'eau. C'est ainsi que les agents des services des eaux sont
déclarées persona non grata à chaque fois qu'ils tentent
d'expliquer aux populations que l'agriculture sur les berges immédiates
d'un cours d'eau est une occupation irrégulière du domaine public
si elle n'est pas autorisée par l'Etat propriétaire. Le service
de l'hydraulique est considéré comme trouble-fête à
chaque fois qu'il exige la taxe d'exhaure ou la redevance de captage car dans
la conception coutumière, l'eau étant un bien communautaire, son
accès est libre et gratuit.
Ce ne sont là que les grandes lignes de quelques uns
des aspects qui touchent particulièrement les contraintes
caractérisent la gestion actuelle des ressources en eau. En
réalité, on constate qu'on ne sait pas qui fait quoi et qu'est ce
qu'on fait des ressources en eau en Haïti. Toute proportion gardée,
il est possible d'avancer que les instruments juridiques existants ont une
faible incidence sur la gestion des ressources en eau en raison de leur non
effectivité ou du moins de leur faible effectivité. De fait, le
droit ne se décrète pas et il ne devient vivant qu'à
partir du moment où il est façonné par une pratique qui le
reconnaît.
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