WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Processus d'externalisation en Grande-Bretagne et privatisation de la sécurité: Quels rapports, quels enjeux ?

( Télécharger le fichier original )
par Hugues de Bonnières
Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr -  2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

c) Démission ou adaptation de l 'Etat ?

Cette dernière sous partie nous place donc face à une alternative : faut-il considérer la tendance qu' ont les Etats à privatiser, à externaliser leurs services de Défense et de sécurité comme une démission des fonctions régaliennes ou comme une transformation naturelle en rapport avec l'époque dans laquelle nous vivons ?

40 . Droits de l'Homme de 1948, adoptée à l'Assemblée Générale de l'ONU le 10 décembre 1948, disponible sur http://www.justice.gouv.fr/textfond/dudh1948.htm, visité le 18 novembre 2006.

Dans son discours de Bayeux de 1952, le président Charles De Gaulle a fait cette déclaration : « la Défense, c'est la première raison d'être de l'Etat. Il n'y peut manquer sans se détruire lui même. » Un demi-siècle plus tard, cette affirmation est toujours d'actualité. Nous pouvons en effet considérer que la privatisation et l'externalisation sont des phénomènes par lesquels l'Etat se désengage de ses obligations, de ses responsabilités face au peuple dont il a la charge. Dans un Etat démocratique, le vote exprimé par un citoyen reflète la confiance qu'à ce dernier dans une personne, dans un gouvernement, et lui confère un pouvoir afin de s'occuper de la collectivité : l'Etat reçoit les pleins pouvoirs de ses citoyens dans les domaines politiques, économiques de la vie collective. Un citoyen ayant voté s'attend naturellement à ce que l'Etat lui apporte ce qu'il ne peut obtenir seul : un système dans lequel il pourra satisfaire ses demandes, qu'il juge légitimes, dans le domaine de la Santé, de l'Education, de la Défense. Le citoyen exige que l' Etat lui rende service, tout comme lui s' acquitte des devoirs de l'Etat : impôts, taxes, et autrefois service militaire. Cependant, l' externalisation, mais surtout la privatisation, peuvent se comprendre comme des fuites en avant de la part de l'Etat. Décidant de s'acquitter de son devoir d'assurer la sécurité et la Défense de ce qui le constitue (territoire, population et gouvernement), l'Etat confie cette tâche à une autre entité. Ce qui peut se comprendre au regard du principe de subsidiarité : le principe de subsidiarité est une maxime politique et sociale selon laquelle la responsabilité d'une action publique, lorsqu'elle est nécessaire, doit être allouée à la plus petite entité capable de résoudre le problème d'elle-même. Il va de pair avec le principe de suppléance, qui veut que quand les problèmes excèdent les capacités d'une petite entité, l'échelon supérieur a alors le devoir de la soutenir, dans les limites du principe de subsidiarité. C'est donc le souci de veiller à ne pas faire à un niveau plus élevé ce qui peut l'être avec autant d'efficacité à une échelle plus faible, c'est-à-dire la recherche du niveau pertinent d'action publique. La signification du mot latin d'origine (subsidiarii : troupe de réserve, subsidium : réserve, recours, appuis) reflète bien ce double mouvement, à la fois de nonintervention (subsidiarité) et de capacité d'intervention (suppléance). Trouvant son origine dans la doctrine sociale de l'Église catholique (par l'encyclique Rerum Novarum, du Pape Léon XIII, publiée en 1891) il est devenu un des mots d'ordre de l'Union européenne. Ce principe de subsidiarité est clairement inscrit tant dans le Droit que dans le Discours européen. La mise en application et le contrôle de la mise en

oeuvre de ce principe de subsidiarité sont en revanche des questions légitimes, mais ouvertes à ce jour. Il est toutefois permis de se demander si un secteur étatique aussi important que la Défense et la sécurité peut être, ne serait-ce que partiellement, soumis au principe de subsidiarité. De plus, l'application du principe de subsidiarité implique que les échelons supérieurs à celui qui traite le problème ne sont plus à même de le résoudre, car ils perdent leur savoir faire et leur compétence. Ce qui signifie que si l' on désire, après avoir appliqué le principe de sub sidiarité trop longtemps, mettre en place le principe de suppléance, les organes chargées de ce principe n' en seront plus capable, ce que nous avons déjà étudié.

Il est donc possible de considérer que les tendances qu'ont les Etats à se tourner vers le secteur privé afin de remplir leurs obligations vis à vis de leurs populations est une démission, et pourrait être le début de la fin de l'Etat. Au même titre que M. Francis Fukuyama considère que la fin de l'histoire commence avec la victoire de l'idéologie démocratique, peut-on considérer que la fin de l'Etat commence avec la privatisation ? Que nous reste-t-il alors ? L'Etat, tout du moins son concept sous sa forme actuelle, s'achève mais il faudra nécessairement qu'il soit remplacé, ou que l'on lui trouve un substitut. En nous rappelant la thèse émise par Alexandre Kojève selon laquelle Napoléon passant sous la fenêtre de Hegel en 1806 constitue le terme de l' Histoire, il nous est impossible de nous montrer catégorique quand à la fin de l'Etat.

Nous devons alors chercher plus vers une transformation de l'appareil étatique, de sa manière de fonctionner. Max Weber définissait l'Etat par le monopole de la violence légitime. Si l'on est bien conscient que ce n'est plus le cas aujourd'hui, faut-il y voir nécessairement la fin d'un monde, celui de l'Etat ? Ne faut-il pas se poser plutôt la question de voir ici une conception réaliste de nos systèmes politiques, dans lequel la force de l'Etat réside dans le fait qu'il s'adapte ? Le rôle de l'Etat, encore une fois, est de réagir de manière efficace aux attentes de la population dont il a la charge, pas de correspondre à l'idée que l'on peut s'en faire. Si la tendance actuelle du monde fait que l'Etat éprouve le besoin ou la nécessité de sous traiter au secteur privé ce qui lui incombe, cela ne signifie pas nécessairement que l'Etat se privatise et que l'on assiste par cela à sa fin. L'Etat n'a jamais été figé, et l'histoire politique ainsi que l'étude des relations internationales nous le montrent bien. Des premiers Etats de l'époque gréco-

romaine aux Etats de l'Europe de la paix de Westphalie, puis à ceux de la Révolution française, l'Etat au travers des siècles n'a jamais été le même. Il connaît lui aussi un polymorphisme institutionnel ou politique : aujourd'hui, les Etats-nations se déclinent en toute une variété de modèles institutionnels et politiques, chacun définissant sa forme de gouvernance (fédéral, unitaire, présidentiel, parlementaire, constitutionnel, démocrate, dictatorial, etc.).

Dans tous les cas, l'Etat remplit cependant certaines fonctions, et c'est ici que la thèse de Léon Duguit (1859 - 1928) nous est d'un grand intérêt, et le fait que ces idées soient centenaires n' enlèvent rien à leur intérêts, bien au contraire même. Pour lui, l'État n'est caractérisé ni par la souveraineté, ni par son identification à un ordre juridique. L'État n'est qu'une coquile vide, il n'a pas de personnalité, ne peut disposer de droits subjectifs et ne saurait être en mesure d' imposer quoi que ce soit à qui que ce soit. L'État est donc une coquille vide derrière laquelle se cachent des gouvernants, or rien ne garantit que ces gouvernants accepteront de limiter leur puissance pour touj ours et continueront à se soumettre au droit (nous retrouvons ici nos développements sur les intérêts croisés entre le secteur privé et les gouvernants). Ce qui justifie, selon Léon Duguit, l'existence de l'État, c'est le service public. L'État est en effet selon lui l'expression de la solidarité sociale. Les hommes, regroupés en sociétés, sont devenus de plus en plus interdépendants. Cette interdépendance a été accompagnée de la création de normes, et pour faire respecter ces normes, des dirigeants ont émergé afin de les faire respecter. Mais ces dirigeants ne restent dirigeants qu'aussi longtemps qu'ils continuent à se dévouer à la société et à l'organisation de la solidarité sociale au moyen du service public. Pour Léon Duguit, l'État n'est alors que l'émanation de la société et non pas la conséquence d'une quelconque souveraineté de l'État ou d'un ordre juridique préexistant. « La solidarité sociale au moyen du service public... » Voilà le véritable enjeu de notre discussion, car cette solidarité sociale englobe tous les domaines de l'Etat : Défense, éducation, santé, transports... Autant de domaines largement externalisés et privatisés en Grande-Bretagne ; autant de domaines sujets là-bas à quelques problèmes.

La tendance étudiée ici trouve son aboutissement idéologique dans le mouvement minarchique, dont les ardents théoriciens sont des penseurs politiques comme David

Friedman ou les penseurs du mouvement libertarien comme Robert Nozick ou Murray Rothbard.

Les termes de << minarchisme >> et de << minarchie >>, qui datent du début des années 1970, sont des équivalents français des mots anglais << minarchism » et << minarchy ». Le minarchisme est une théorie politique appelant de ses voeux un État minimum (ou État minimal), réduit dans de strictes limites de légitimité. Le minarchisme est une version extrême du mouvement libertarien, dans lequel l'Etat étant caractérisé comme un monopole de la violence, ses prérogatives légitimes sont souvent identifiées aux seuls domaines où la violence est justifiée, les << fonctions régaliennes >> de l'État : le maintien de l'ordre, la justice, la Défense du territoire. On parle alors d'État gendarme. Parfois, les minarchistes assignent aussi à l'État des infrastructures qu'ils jugent essentielles, comme par exemple la santé ou l' éducation.

Le minarchisme, appelant à une limitation de l'État, est donc une variante du libéralisme et s'oppose dès lors à l'étatisme. Au sein du libéralisme, on lui opposera l'anarcho-capitalisme. En marge intellectuelle du minarchisme (mais avec une assise politique bien plus étendue), on peut trouver des sociaux démocrates, et des néoconservateurs, qui ont une vision très proactive du maintien de l'ordre par l'État. Les thèses de David Friedman sont à cet égard intéressantes, en particulier à travers son premier ouvrage, Vers une société sans État (1973). David Friedman cherche à démontrer non seulement la faisabilité pratique, mais aussi la désirabilité d'une société fonctionnant sans le moindre Etat, défini comme une agence de type gouvernementale bénéficiant d'un monopole de la violence légale et parfois de divers autres droits exclusifs. Il s'attache donc à déterminer les conditions pratiques d'existence d'une telle société. Il défend ainsi la privatisation de fonctions régaliennes comme la justice, la police ou la monnaie. Il aborde également la question des services publics dans une économie libertarienne, c'est à dire que ces services ne sont pas de la responsabilité de l'Etat.

En résumé, les partisans du maintien de la sécurité et de la Défense au sein des prérogatives de l'Etat sont des minarchistes, tandis que ceux qui soutiennent la privatisation de ces fonctions sont des ultra-libéraux. A titre personnel, nous ne prenons pas part à ce débat, mais tenons juste à rappeler que l'une comme l'autre de ces positions, restent des formes idéologiques de l' extrémisme politique ; et à ce titre, la plus grande prudence doit être observée.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld