CONCLUSION GENERALE.
Les changements conséquents de la Guerre Froide, et
l'apparition de la « Global War on Terror » semblent rendre
les prestations des forces armées occidentales plus délicates.
Les prestations étatiques du domaine de la Défense sont
aujourd'hui parfois remplies par des acteurs qui ne sont pas des Etats. Nous
avons vu que la Grande-Bretagne, à la suite des Etats-Unis
d'Amérique, s' inscrit très largement dans cette voie nouvelle.
Notre conclusion s'articulera en trois mouvements : nous reprendrons les
éléments principaux de notre étude, nous ferons ensuite
des recommandations fondées sur l'expérience de plusieurs mois de
travail et nous présenterons ensuite une matrice et son principe
permettant de mieux saisir les enjeux de l'externalisation et de la
privatisation.
Suite à un héritage particulier dans le domaine
politique et culturel, le gouvernement britannique depuis 1992 s'engage sans
cesse dans la privatisation. Retenons bien que le phénomène de
privatisation comprend deux aspects différents participants du
même principe. Nous avons d'une part l'externalisation, qui consiste pour
un gouvernement à sous-traiter certaines fonctions exercées
auparavant par ses forces armées, comme le transport, l'alimentation,
l'instruction, les soins des blessés, etc. L'externalisation peut aller
jusqu'à concerner des activités véritablement militaires,
comme le soutien en opérations extérieures, la gestion de flotte
de satellites ou d'avions ravitailleurs et de transport, l' analyse et la
gestion d' opérations, tâches confiées à des
entreprises du secteur privé, et que remplissent donc des travailleurs
civils. Si le secteur anglais de l' externalisation est fortement
développé, les critiques qui lui sont adressées ne le sont
pas moins. L'externalisation pose en effet un certain nombre de
problèmes, liés à la manière dont se fait
l'externalisation (est-ce bien moral, n'allons-nous pas un peu trop vite et
trop loin ?), liés aux secteurs qu'elle concerne (activités
militaires, traditionnellement dévolues aux Etats), et aux risques
qu'elle génère (rentabilité limitée,
problème éthiques et moraux, inquiétude juridique...).
D'autre part, la Grande-Bretagne s'investit aussi dans le
phénomène de la privatisation pure, qui consiste à
autoriser des SMP à fournir des services militaires aux Etats ou
à la communauté internationale. Ces sociétés se
proposent de remplacer les forces armées dans la conduite d'
opérations
militaires, dans la délivrance de services de
sécurité et de Défense. Ici également, au
delà du marché économique florissant (100 milliards de
dollars par an, chiffre qui devrait doubler en 10 ans), le
phénomène fait face à de nombreux problèmes.
Comment réglementer ces activités ? Comment concilier
efficacité et morale ? Autant de questions délicates, que le
Green Paper britannique de 2002 soulève, et dont les solutions
proposées se heurtent à l'instabilité d'un secteur en
permanente mutation, à un possible double-jeu des acteurs de la
privatisation, et enfin à l'ardeur de la tâche : entreprendre un
contrôle strict sur les activités et les sociétés
privées de par le monde. Ainsi, la vertu de l' exemple britannique de la
privatisation et de l' externalisation est peut être à chercher
dans le fait que la Grande-Bretagne nous montre par son exemple ce qui
fonctionne et ce qui dérange. Aux autres pays, principalement
européens, de s'inspirer de l'exemple du Royaume-Uni avant de se lancer
dans l'entreprise d'une privatisation massive. Nous nous trouvons par ailleurs
avec cet exemple face à un débat politique. Comment
interpréter l'externalisation de certaines fonctions régaliennes
de l'Etat ? Estce à considérer comme une adaptation, une
évolution destinée à augmenter la
compétitivité de l'Etat, ou bien comme une démission, un
renoncement de la part de l'Etat à des prérogatives que les
citoyens lui concèdent ? La privatisation dans tous ses aspects ne
serait-elle donc pas la partie la plus visible d'une évolution, ou d'une
révolution, dans notre manière de concevoir l' Etat et son
rôle dans la société civile ?
Ne pourrait-on pas dire, à l' imitation de Kofi Anna,
que nos société ne sont peut être pas prêtes pour
privatiser l' Etat ?
Ainsi donc, avant de conclure définitivement notre
travail, nous tenons à lui donner une orientation pratique, ce qui
permettrait à ceux qui le désirent de continuer notre
réflexion. Nous proposons donc quelques recommandations, que plusieurs
mois de travail justifient. Ces recommandations pourraient constituer des
« règles » à respecter lors de toute réflexion
concernant la privatisation et l' externalisation.
La première d'entre elles se trouve dans le fait
qu'il ne faut en aucune manière se focaliser
uniquement sur l'épargne financière que pourraient
permettre l'externalisation ou la privatisation de fonctions militaires. Il est
dangereux de ne voir dans ces phénomènes d'externalisation que
l'aspect économique, tout comme il est illusoire de croire fermement que
l' externalisation permet de réaliser des économies
substantielles. Il s'agit donc pour quiconque
s'intéresse à ce sujet de considérer l'externalisation et
la privatisation comme des outils à double tranchant. Les gains
apportés par la privatisation ont une contrepartie trop souvent
négligée, comme nous l'avons vu pour les services de santé
dans l'armée britannique.
La deuxième recommandation que nous nous autorisons
à faire fait écho à la tentative britannique. Il
ne faut aucunement chercher à imiter, mais à innover.
Les britanniques n'ont pas cherché à imiter les
Etats-Unis d'Amérique, ils ont innové par la PFI, par le PPP
généralisé. De même, ne cherchons pas, dans
l'Armée Française en particulier, et au niveau de l'Etat en
général, à imiter nos voisins d'outre-manche. Il s' agit,
en respectant ce qui fait notre spécificité historique,
culturelle, politique, de trouver notre propre voie dans ce domaine de
l'externalisation. Le sentiment qui nous anime ne doit pas être une
banale concurrence avec la Grande-Bretagne, mais bien la quête d'un
mieux. D'un mieux qui nous serait propre, et qui ne satisferait que nous.
Une dernière recommandation nous semble importante.
La privatisation, comme l'externalisation, doivent faire l'objet de
réflexions communes. Les communautés
interétatiques doivent communiquer en leur sein sur le sujet. A l'heure
d'une certaine forme de mondialisation des échanges, d'une augmentation
du domaine commun, les relations internationales ne peuvent faire l'impasse sur
un tel sujet. Peu importe la forme que prendra cette réflexion
collective, internationale ; il s'agit juste de mettre en commun des
idées et d'agir en conséquence, ou la face du monde pourrait
changer.
Afin de mettre en pratique ces recommandations, nous avons
construit deux outils de travail. Il s'agit d'abord d'une matrice qui permet
d'analyser le bien fondé d'un recours à l'externalisation ou
à la privatisation d'un service au regard des gains apportés au
niveau économique et des pertes engendrés dans le domaine de l'
intangible, de ses effets indésirables ; le tout à l'image de la
matrice inventée par le Boston Consulting Group dans les années
1970. Ainsi, placer un service quelconque dans ce diagramme permet de savoir si
une telle démarche est intéressante ou non, et une telle grille
de lecture peut permettre de saisir en un coup d'oeil la viabiité d'un
service externalisé ou privatisé. Il ne s'agit pas de
révolutionner la manière de concevoir ou de réaliser la
privatisation, mais bien de simplifier le problème du processus de prise
de décision. Ce diagramme se trouve en Annexe VI. L'intérêt
de cette matrice est de
permettre au décideur, dans notre cas à un chef
de corps ou un chef de service dans l'armée de saisir les enjeux de la
privatisation. Il suffit de lister les activités que le décideur
doit fournir, de les placer sur le diagramme. En clair apparaissent alors les
domaines faisant partie du « coeur du métier » militaire, et
ceux qui peuvent être assurés par le secteur civil. Dans tous les
cas cette matrice est adaptable, il est possible de changer les
critères, de mettre en abscisse le coût d' un service et en
ordonnée le nombre d'hommes pour le réaliser. On peut donc alors
avoir un élément de comparaison avec le secteur civil, ou voir
quels sont les postes qui mobiisent le plus de personnes.
Le second outil de travail est un diagramme mettant en forme
les différentes questions qu'il faut se poser avant d'engager un
processus d'externalisation ou de privatisation. Conçu comme une aide
pour celui qui doit décider, cet organigramme, disponible en Annexe VII,
constitue en quelque sorte un aide-mémoire, qui repose sur une
série de questions et de conduite à tenir en fonction de leurs
réponses. Il traite des trois aspects que nous voyons dans tout
phénomène de privatisation et d' externalisation : la
décision préalable, suivant les études ; le transfert au
secteur public ; et enfin le contrôle et le retour d'expérience.
Le diagramme présenté ici peut être certainement
amélioré, mais s' il devient trop complexe, il perdrait de son
utilité, car il doit cibler le coeur des problèmes.
Ainsi, nous présentons deux outils afin de donner
à nos recherches une portée matérielle. Ces deux outils
nous ont manqués dans notre étude, c'est pourquoi nous nous
sommes efforcés de les créer. Cependant, leurs limites sont assez
visibles : le placement d' une activité et l' évaluation des
critères restent assez largement subjectifs ; une fois de plus, il
s'agit de considérer toutes les options possibles, et de choisir celle
avec laquelle on se trouve être en accord.
|