3. Privatiser la Sécurité, Privatiser
l'Etat ?
La privatisation de la sécurité semble donc nous
amener vers une autre réflexion : une telle privatisation semble
être une partie mineure d'un phénomène plus large,
regroupant tous les secteurs des prérogatives étatiques. Bien que
la privatisation concerne tous les domaines des activités de l'Etat,
comme la santé, l' éducation, les transports, et bien sûr
la Défense, nous restons néanmoins focalisés sur le
secteur de la sécurité. Le phénomène de la
privatisation et de l' externalisation mérite que l' on se penche sur
trois aspects de la sécurité entendue comme prérogative de
l'Etat, et sur trois problèmes : c'est à dire l'extension du
domaine étatique, la dilution de la responsabilité et enfin la
question de savoir si l'Etat démissionne, ou s'il se réforme et
s'adapte à un monde en mutation.
a) l 'extension du domaine étatique.
Il semble important de reconsidérer le mécanisme
de la privatisation sous un angle différent. En effet, outre l'
importance des transformations techniques et la globalisation des modes de
production économique majoritairement fondés sur le
marché, le XX° siècle remet en cause les structures
étatiques de régulation, obligeant les Etats à les
renouveler, à la fois seuls et en coopération entre eux. A cela
s' ajoutent les changements dans la technique, dans la manière de vivre
des gens et dans les mentalités. Mais ces
changements dans la vie quotidienne, dans les idées
philosophiques et politiques se traduisent par une augmentation du domaine
étatique. L'Etat ne prends pas plus de place qu'avant, mais son domaine
s'agrandit sans cesse : il occupe plus d'espace qu'autrefois dans les domaines
de la géographie, de la politique, de l'économie, dans ses
domaines d'action...
L'Etat ne se cantonne plus aujourd'hui à ses simples
frontières et ses habitants, et la zone de son influence ne cesse
d'augmenter. << La doctrine s'accorde pour considérer qu'un
État n'existe au sens du droit international public qu'à la
condition de posséder trois éléments constitutifs : un
espace territorial, la présence sur ce territoire d'une population, et
leur gestion effective par des pouvoirs publics constitués. Lorsque ces
trois éléments sont réunis, cela suffit en principe pour
que l'État puisse être reconnu comme entité souveraine par
les autres Etats et accepté comme interlocuteur dans les relations
internationales.>> 39
Il nous semble que cette définition ne soit pas une
définition suffisante, au sens où elle ne prend en compte que le
minimum constitutif de l'Etat. Il faudrait ajouter que dans le monde actuel,
l'Etat qui << gère effectivement son territoire et sa population
>> doit protéger ses intérêts et ceux de sa
population à l' étranger. Il lui faut prendre en compte les
intérêts de son économie, même à
l'extérieur de son territoire (accords marchands, accords
monétaires...), son espace géographique s'élargit sans
cesse : métropole, outremer, et maintenant l'espace aussi joue un
rôle (communication, météo, armement ...). Au vu de cet
élargissement sans fin de ce qui constitue un Etat, la privatisation
peut alors se concevoir comme une aide, comme un additif à la gestion de
l'Etat.
Territoire : National, International, Espace,...
Population : en métropole et à
l'étranger.
Gouvernement : Elus, représentants...
Economie : Nationale, Internationale, Communautaire (euro)...
Politique : Intérieure, Etrangère, Commune (OTAN,
ONU...)
Domaines : Santé, Education, Défense &
Sécurité...
E
T
A
T
39. Lexique de Droit International Public, Jean Paul
Pancracio, Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr, Centre de Recherche
des Ecoles de Coëtquidan, 2003.
Loin d'être exhaustif, un tel schéma nous sert
juste à montrer l'étendue du domaine étatique, et donc par
là même des difficultés qu'il rencontre pour assurer le
meilleur service possible à sa population.
L'extension du domaine étatique provoque un autre
problème dans les prestations que l' Etat doit fournir à ses
membres : la responsabilité se dilue, à notre avis, à
mesure que les frontières de son domaine s'étendent. Pour des
Etats occidentaux, démocratiques, si le nombre de questions qui
dépendent d'un Etat augmente, leur capacité à influencer
directement sur ces dernières diminue. Il en va de même pour le
domaine de la Défense : les engagements nombreux des forces
armées, lointains géographiquement et très
fréquents font que l'Etat risque de perdre une partie de son
contrôle sur ces affaires militaires. A plus forte raison s'il
externalise ou s'il emploie des SMP. Nous arrivons ici à la
croisée des chemins de deux conceptions politiques de l'Etat. Pour
certains, l'Etat est mort et la mondialisation des échanges
(économie, politique internationale) et des idées
(démocratie, liberté politique, etc.) les poussent à
s'affirmer en faveur d'une conception mondiale de l'Etat. En revanche, d'autres
considèrent que si l'Etat n'est pas encore mort, il doit s'adapter
rapidement au monde actuel, et se transformer en structure plus vaste,
généralement de type fédérale. Il est possible d'
ailleurs de voir dans l' Union Européenne et dans des structures comme
celles de l'ONU le point de départ de ces mutations. Lorsque Bruxelles
décide à la place de Paris, le pas est franchi. Notre position
par rapport à ces deux conceptions de l'Etat à l'heure actuelle
est la suivante : Nous ne pouvons croire à la mort de l'Etat, mais
affirmons son besoin de « modernisation ». Il ne s'agit pas pour
l'Etat de s'effacer au profit d' une structure supranationale, mais d'
envisager le recours à des structures qui lui sont supérieures,
afin de mieux répondre à ses besoins, de trouver en elles des
éléments de réflexions, et des organes de contrôles
pour les nouveaux phénomènes comme ceux de l'externalisation et
de la privatisation.
Dès lors, externaliser pour l'Etat est bien une
possibilité qu'il doit envisager ; ne pas le faire serait contraire
à ses devoirs, tout du moins à l' obligation qu'a l'Etat de tout
envisager pour choisir la meilleure option. Cependant, dogmatiser
l'externalisation, la sous-traitance ou le recours aux SMP peut être
interprété comme la fin d'un monde dans lequel l'Etat tenait une
véritable place de commandement et d'exécution.
Ce sujet s'inscrit donc bien dans une vaste discussion entre
deux courants de pensée, séparées par leurs positions
quand à leur conception du rôle de l'Etat. Certains pensent que
l'Etat doit intervenir, de manière plus ou moins importante dans un
nombre de domaines plus ou moins grand. Cette théorie est celle de la
majorité des démocrates, terme accepté dans le sens large,
car être de droite ou de gauche ici n'a aucune importance. Le
critère ici à retenir est celui de la position que l'on tient
concernant l'implication de l'Etat dans la gestion de la société.
L'autre courant de pensée est celui des libéraux, qui pensent que
l'Etat doit diminuer et réduire au strict minimum son implication dans
la vie collective des citoyens. La privatisation et l'externalisation se
trouvent donc être au coeur du débat opposants les
ultra-libéraux aux conservateurs du point de vue de la fonction que
l'Etat doit remplir.
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