b) Un modèle exportable ?
La tentative britannique prend une autre dimension si on la
place dans la perspective européenne. En effet, si la position de la
Grande-Bretagne montre bien qu'elle partage le point de vue américain
sur l'externalisation et la privatisation, elle montre aussi qu' elle n' oublie
pas le rôle qu' elle veut jouer à l' échelle
européenne.
Deux points attirent notre attention sur
l'impossibilité pour le Royaume-Uni d'être un modèle pour
l' Union Européenne : l' inefficacité de sa démarche, et
les cultures particulières des pays européens.
Si le modèle britannique n'est pas recevable aux yeux
de pays européens comme la France ou l'Allemagne, c'est en raison du
fait que le système semble apporter plus de problèmes que de
solutions. L' apparente anarchie du secteur effraie certains Etats, et les
difficultés rencontrées par les britanniques ne semblent pas
contribuer à donner une image positive de ce changement dans la
conception de la Défense et de la sécurité.
Le rapport d'information de M. Michel Dasseux,
déposé en février 2002 à la présidence de l'
Assemblée Nationale, montre bien la position de la France. Cette
position n' est pas celle du gouvernement, ni celle de militaires, mais bien
celle de l'Assemblée. Cependant, la commission a entendu de nombreux
témoins, tant militaires que civils, et a pu par là même se
faire l'écho de sentiments partagés. L'idée
générale de ce rapport est que « en accord avec le rapport
du Comité économique de Défense, votre rapporteur [ Michel
Dasseux ] considère que les expériences américaine,
britannique et allemande
démontrent que l'externalisation ne peut être
réalisée dans la perspective d'économies à court
terme. Si l'externalisation est supposée déboucher sur des
économies budgétaires à long terme, les gains paraissent
plutôt faibles et, en tout état de cause, très difficiles
à évaluer. >> Au delà de cette simple constatation
d'ordre économique, M. Michel Dasseux estime que «
déjà lourde de conséquences en raison des pertes de
savoir-faire qu'elle entraîne, des enjeux financiers et de la
durée des engagements contractuels, l'externalisation se heurte à
des limites inhérentes aux armées de projection que l'utilisation
de réservistes [ ou de personnels civils ] ne permet pas de
dépasser. >>
Il s'agit donc de traiter d'une part le problème de
l'externalisation, et d'autre part de créer un système permettant
de contrôler le phénomène, de s' assurer qu' il ne nuise
pas au bon fonctionnement des armées et à la qualité des
services qu'elles produisent. La conception britannique de cette situation et
la position française face à cela montrent que chaque pays
possède sa propre culture de Défense, de sécurité,
et que l' externalisation dans son ensemble est traitée
différemment en fonction des pays, ce que nous avons vu avec les
exemples britanniques, allemands et français.
L'efficacité de l'externalisation dépend donc du
dépassements des problèmes intrinsèques au
phénomène (surcoût, cadre légal, principe de
qualité, augmentation des charges de contrôle, gestion et
administration, etc.), ainsi que de la culture du pays mettant en place une
telle pratique. Ce qui fonctionne aux Etats-Unis d'Amérique ne
fonctionne pas de la même manière en Grande-Bretagne, et l'exemple
britannique ne convient pas à l'Allemagne, et ainsi de suite. Il est
donc possible de voir ici une nouvelle limite à ce
phénomène : chaque pays possédant une vision
différente, des attentes différentes, il est illusoire de penser
à unifier le problème, à faire de l'externalisation un
mécanisme commun aux armées occidentales. Au même titre que
les armées sont dans l' OTAN ou dans l' Union Européenne, que les
pays font partie de la PESD ou de la PESC, les implications nationales varient
selon les quantités, les qualités, les objectifs.
Il n'est pas possible, selon nous, de concevoir un
système unique. Chaque Etat fera de l'externalisation ce qu'il souhaite
: axe d'effort comme les britanniques, à la limite du dogme (la PFI est
fortement recommandée, peut être trop ?), ou source d'inspiration
comme l'Allemagne. Il serait en revanche intéressant de mettre en place
un organisme de contrôle au niveau supérieur. En effet, chaque
Etat, concerné un tant soit peu par
l' externalisation et la privatisation de la
sécurité, dispose d' organes de contrôle qui
vérifient les processus et les prestations du secteur privé. Que
ce soit pour l'externalisation comme pour la privatisation de l'usage de la
force, une chose est certaine : il y a une nécessité
réelle à coordonner les nations. Le problème n'est pas ici
de faire que toutes les nations aient la même politique, mais que tous
les Etats puissent disposer d'une base juridique commune, d'un
répertoire commun des acteurs, etc.
Cela permettrait une meilleure transparence dans le secteur,
et un travail plus sain. Reste à convaincre chaque acteur d'entamer une
réflexion à ce sujet, de comprendre que ce changement dans la
manière dont fonctionnent ces activités est nécessaire.
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