b) Le double jeu des acteurs
La question de savoir qui perd ou qui gagne dans des relations
économiques comme celles qu'engendrent le PPP et la PFI pose
naturellement le problème de savoir si les deux parties sont bien
honnêtes dans leurs comportements. Nous étudierons d'abord la
question du point de vue du secteur privé, puis du côté des
commanditaires.
Il ne s'agit pas de faire le procès de l'une ou l'autre
des parties, mais la simple raison nous autorise à penser que dans l'
intérêt des entreprises privées, il est certes
nécessaire de satisfaire le client, mais il faut aussi tirer profit de
ces contrats. Ainsi, il est légitime de croire que les
sociétés privées ne mettent pas tout leur potentiel dans
les prestations demandées, qu'elles se réservent de
manière à bénéficier de profits plus grands encore.
Milton Friedman, économiste américain, évoque pour nous ce
qui gêne dans ces relations entre société capitalistes et
Etats : << la responsabilité sociale de l'entreprise est
d'accroître son bénéfice. >> Dès lors, comment
ne pas se demander si les entreprises n' ont pas intérêt à
remplir leurs contrats, mais aussi à rester toujours en
deçà d'une limite qui leur permet de tirer un maximum de profit
lors d'un contrat. En clair, le raisonnement est le suivant : les entreprises
n' ont aucun intérêt à tout donner, à tout mettre en
oeuvre pour réaliser leurs missions, ce qui est exactement l'inverse de
ce que font les armées nationales.
La difficulté de contrôler de manière
efficace les contrats au titre de la PFI rend cette possibilité de
double-jeu plus forte. Les SMP ont tout avantage à remplir leurs
missions pour voir leurs contrats reconduits et augmentés. Cependant, si
elles investis sent trop dans telle ou telle opération, elles ne peuvent
assurer les suivantes. L'intérêt des entreprises n'est pas
satisfait dans ce cas. En clair, l'Etat se défait d'une fonction qu'il
confie à une entreprise qui ne se donnera pas totalement pour l'
assurer. Il y alors probablement une perte : en qualité, en
quantité, dans l'esprit de la mission... Cette perte est faible, car le
<< contractor >> ne doit pas se la faire reprocher, et l'
Etat cherche toujours à savoir si les prestations sont bien
réalisées, s' il n' est pas perdant.
Le revers de ce problème se trouve dans la collusion
des intérêts des gouvernements et des gouvernants. Lorsque nous
parlons des Etats, nous avons trop tendance à considérer l'Etat
comme une personne morale, en oubliant peut être que
l'Etat n'est rien de plus que la somme des hommes
détenant le pouvoir. Afin d'apporter un nouvel éclairage à
ce phénomène, nous tenons à présenter ici un
exemple polémique. Les décisions de l'Etat sont les
décisions de ce certains hommes. Et parfois les décisions, les
attitudes de certains surprennent. Nous n'affirmons pas que tel est toujours le
cas, mais il est des choses surprenantes que nous avons vues lors de nos
recherches : M. Dick Cheney, vice-président des Etats-Unis
d'Amérique depuis 2001, était pendant les cinq années
précédentes le Chief Executive Officer de Halliburton
Corporation qui possède Kellogg Brown & Root, laquelle SMP a
remporté en 2001 le contrat américain portant sur le LogCap
(LOGistic Civil Augmentation Program, c'est à dire la
gestion de toute la chaîne logistique en opérations
extérieures), faisant d' elle le premier contractant des
opérations de paix du Department of Defence américain
29 . Un tel exemple, bien que non généralisé,
devrait attirer notre attention sur les précautions à prendre
dans les processus d' externalisations, sur la nécessité de
mettre en place des organes de contrôles. Le 13 avril 2004, sir Malcolm
Rifkind est nommé «non executive chairman» de Armor
Group (l'équivalent du poste de directeur de conseil de surveillance, ou
président d' une entreprise ; ce poste a surtout une vocation de conseil
et d' administration, et n' est pas exécutif.) ; cette entreprise de
sécurité privée réalise 60% de son chiffre
d'affaire en Irak, et emploie plus de 5000 personnes dans plus de 50 pays. Il
est intéressant de voir que sir Rifkind a été
précédemment Ministre de la Défense et Ministre des
Affaires Etrangères sous le gouvernement de John Major, avant de
démissionner pour prendre ses fonctions chez Armor Group, et se pose
maintenant en faveur du retrait des troupes britanniques en Irak.
Dernier point intéressant au sujet du double-jeu des
acteurs de la privatisation et de l'externalisation des fonctions militaires,
dans un document de la cellule en charge du PFI au MoD, la MoD Private Finance
Unit, nous pouvons découvrir ce diagramme, intitulé « PFI
Performance ». Nous trouvons assez intéressant de noter que selon
le MoD lui-même, tous les contrats signés au titre du PFI
s'avèrent être globalement avoir des effets positifs, et que les
différentes rubriques n' incluent pas de possibiité
négatives dans ce diagramme.
29 . In Sami MAKKI, Militarisation de l'Humanitaire,
Privatisation du Militaire, Cahier d'Etudes Stratégiques 36 - 37, juin
2004, p. 73.
Ainsi donc, si la critique du secteur privée est la
plus aisée, il s'agit de relativiser et de voir que les deux parties
peuvent tomber dans des travers qui leurs sont préjudiciables. Les
gouvernements comme les sociétés privées cherchent
à gagner sur tous les plans, ce qui n' était pas le cas lorsque
les fonctions de Défenses étaient assurées
entièrement au sein d' une même voie hiérarchique :
gouvernement, Ministère de la Défense, Etatmajor, Armée.
Dans ce cas de figure, l'intérêt commun primait sur l'
intérêt particulier. En revanche, dans le mécanisme actuel,
les intérêts parfois divergent, et il est difficile pour tous les
acteurs de rester conscients de leurs devoirs et de faire preuve de renoncement
à leurs intérêts personnels.
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