Paragraphe 2. Les principes et lois qui gouvernent les
services publics
Les principes de fonctionnement du service public sont
représentés par les trois grands principes dégagés
et mis en évidence par la doctrine et la jurisprudence tout au long des
XIXème et XXème siècles : le principe
d'égalité, le principe de continuité et le principe de
mutabilité. Etant classiques ou traditionnels, et appelés
également « lois de Rolland » du nom de
l'universitaire qui les a théorisés, ces principes constituent en
droit administratif des conditions nécessaires pour l'exécution
des services publics, ce sont donc des modalités particulières
que doit respecter le gestionnaire du Service public.
Pour certains auteurs, l'étude de ces trois principes
permet aussi de développer une réflexion sur un principe, qui
demeure de teneur floue et indéterminée. C'est dire qu'il
apparaîtrait encore nécessaire de rendre compte d'un
quatrième qui, sans être spécifique au droit du service
public, en constitue l'armature : le principe de neutralité. Mais le
fait est que ce principe n'est pas de l'ordre des critères historiques
ayant présidé à l'apparition de la philosophie du service
public. Son analyse semble alors relever des transformations des principes
« classiques » du service public. Les discours administratifs sur le
rôle et la place du service public dans les formes de cohésion
sociale, l'évolution des mentalités et, par-là, les
variations de la jurisprudence sur ce point montrent en effet que, le principe
de neutralité n'est qu'une des conséquences du
développement du principe d'égalité.
En outre, Il n'existe pas de hiérarchie fonctionnelle
entre les trois principes retenus comme règles de fonctionnement du
service public. Certes, tous ces principes, traditionnels et modernes,
s'imposent tant à l'organisme chargé de fournir le service,
à travers par exemple un cahier de charge, qu'aux usagers du service.
Ils sont revêtus d'une dimension négative et positive notamment
à l'égard des gestionnaires des Services publics dont ils
restreignent la liberté d'organisation. Egalement, ils sont
revêtus de la dimension positive en assurant les garanties à ces
mêmes gestionnaires mais aussi aux usagers.65
Toutefois, ces principes ne sont pas équivalents au
service lui-même qui comme son nom l'indique en tant qu'activité.
Aussi, il y a une forte corrélation entre la mission de service public
et ces principes. Ces derniers ne constituent pas cependant une condition
suffisante à l'identification du service public.66
A. Les principes fondamentaux
a. De la continuité de service et de
l'adaptabilité ou mutabilité 1. La continuité du service
public
Les services publics ne fonctionnent que par
l'intermédiaire d'agents dont la grande majorité est
constituée de fonctionnaires de l'Etat et des collectivités
locales. La continuité du service risque d'être affectée en
cas par exemple de la grève par ces agents. Ceci explique les
65B. Du MARAIS, Op.cit., p. 102.
66Idem, p. 103.
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difficultés soulevées par la reconnaissance et
l'exercice de droit de grève dans le service public que la jurisprudence
invoque dans l'arrêt DEHEDE, et s'efforça de
résoudre.67
En effet, afin de satisfaire aux usagers de
l'intérêt général, mais aussi de répondre au
principe de la continuité de l'état, voire de la vie de la
nation, le service public doit pouvoir fonctionner de manière
ininterrompue et régulière. Ce principe, reconnu depuis le milieu
du XIXe siècle par le juge administratif, a été
érigé en principe à valeur constitutionnelle.
En droit positif français tout comme en droit positif
congolais, ce principe comporte tout d'abord une composante
négative en ce qu'il limite l'action et la
liberté de fonctionnement des gestionnaires du Service public. Par
exemple la continuité est aussi une des limites à la
création de droits réels sur le domaine public lorsqu'en
politique, ces droits seraient sans limites de durées.
Ensuite, on en déduit aussi une composante
positive permettant en outre à l'administration de
disposer d'un pouvoir de contrainte à l'égard de son
cocontractant par exemple à assurer ses obligations. D'ailleurs, la
responsabilité de la puissance publique peut être engagée
sur terrain de la faute simple en cas d'interruption du service qui lui
incombe, si par exemple il n'effectue pas les diligences nécessaires
à son établissement. Ceci est particulièrement le cas pour
des services publics obligatoires. C'est-à-dire, ceux qui sont
créés par la loi.68
2. De l'adaptabilité ou mutabilité du
service public
Comme l'appréhende CHAPUS René, ce principe
répond à des exigences constantes du plus grand nombre de
Services qui, dans la hiérarchie qu'on peut établir entre-elles,
vient au premier rang. Il signifie en effet que le régime des services
publics doit pouvoir être adapté, chaque fois qu'il le faut,
à l'évolution des besoins collectifs et aux exigences de
l'intérêt général. Il impose qu'il n'y ait pas
d'obstacles juridiques (résultant notamment des droits acquis ou
d'engagement contractuels) aux mutations à réaliser69.
Il résulte de cela alors trois effets dont :
Premièrement, dans le cas même où
l'exécution du service public a été concédée
contractuellement, l'administration concédant conserve la maitrise du
service. Le contrat de la concession est tel qu'il se prête aux
modifications qu'elle estime utile ou nécessaire d'introduire dans les
conditions d'exécution du service ;
Deuxièmement, les usagers du service n'ont pas des
droits qu'ils pourraient opposer aux modifications de son régime. C'est
particulièrement pour les usagers des services publics administratifs,
qui sont dans une situation légale et règlementaire,
c'est-à-dire, unilatéralement déterminée par les
lois et règlements et cela même dans le cas où les
prestations du service public donnent lieu à la
rémunération, au paiement par exemple, de
67 J. FRANÇOIS LACHAUME, Les grandes
décisions de la jurisprudence administratives, PUF, Paris, 1991, p.
243.
68 B. Du Mariais, Op.cit., 104-105.
69 R. CHAPUS., Op.cit, p 593.
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frais pour l'utilisation de certains ponts et des autoroutes
de liaison ou des frais de séjours dans un hôpital à cet
effet, aucune relation contractuelle n'en résulte.
C'est également vrai pour les usagers du service public
qui, par exception, se trouvent dans une situation contractuelle de droit
public. Et il n'en va pas autrement pour les usagers des services publics
industriels et commerciaux qui sont dans une situation contractuelle de droit
privé. De ce qui précède, il ne faut pas conclure que les
usagers des services publics sont soumis au bon plaisir de l'administration.
Tout d'abord, ils ont droit au fonctionnement normal du
service, qui doit être assuré conformément aux
règles qui le régissent, tant qu'elles n'ont pas
été modifiées. Ensuite, les modifications
décidées ne peuvent avoir légalement d'effets que pour
l'avenir. Elles ne sauraient donc rétroagir. C'est notamment le cas pour
les modifications du tarif des redevances perçues sur les usagers. Par
exemple, les prix de consommation d'électricité ne peuvent pas
légalement être calculés sur la base d'un tarif
entré en vigueur postérieurement à la date à
laquelle ils ont été réalisés. Enfin, et comme dans
toutes les matières c'est sous contrôle du juge que les
règlements décidant les modifications sont
édictés.
Le juge administratif sur le recours d'un usager ou d'une
association d'usagers, appréciera non seulement si, ces modifications
ont été décidées par l'autorité
compétente et selon les procédures instituées mais aussi
si elles sont justifiées au fond par les faits invoqués par
l'administration.70
Il est important de souligner qu'il n'existe pas non plus de
droits acquis ou d'engagements contractuels au nom desquels les personnels
pourraient s'opposer juridiquement à des changements dans l'organisation
ou dans le fonctionnement des services où ils sont employés. Dans
leur grande majorité, ces personnels se trouvent dans une situation
légale et réglementaire : cette situation peut à tout
moment être modifiée sans compensation pécuniaire ou autre,
en cas d'alourdissement de leurs obligations statutaires ou de leurs conditions
de travail. Quant à ceux qui sont dans une situation contractuelle, il
n'est pas exclu qu'ils puissent dans un tel cas, prétendre à une
indemnité compensatrice ; mais leurs contrats ne sont pas un obstacle
à des changements. Bien entendu, là encore le principe de
mutabilité n'est pas synonyme d'arbitraire.
Les personnels ont droit à l'application correcte de
leur statut tant qu'il n'a pas été modifié et les
modifications ne peuvent légalement avoir des effets rétroactifs,
et les mesures prises sont susceptibles de contrôle juridictionnel, se
traduisant le cas échéant par des annulations et des
condamnations à des dommages-intérêts.
En résumé, et compte tenu des observations qui
précèdent, l'adaptation apparait comme un principe protecteur des
usagers. Il ne faut pas cependant, oublier qu'elle joue quelquefois contre eux
notamment, en cas de suppression partielle de service public jugé non
rentable ou non adapté à l'intérêt
général, augmentation de tarif etc.
70 R. CHAPUS., Op.cit, pp. 596-597.
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b. Egalité et neutralité du service
public
1. De l'Egalité du service public
L'égalité est un principe supra-constitutionnel
et d'ailleurs c'est un principe qui fonde toute relation humaine car, non
seulement il est invoqué par les lois nationales notamment en droit
positif congolais, mais aussi, dans plusieurs instruments juridiques tant
internationaux que nationaux de la majorité d'Etats au monde entier. Ce
qui justifie son caractère fondamental.
Ce principe trouve son origine dans le principe d'Isonomie
défini par CLISTHENE au 6e siècle avant Jésus Christ, et
qui constituait l'un des fondements de la démocratie athénienne.
Grace à ce principe, CLISTHENE a mis en oeuvre des réformes en
508 et 507 Av J.-C., qui consistaient principalement à créer des
nouvelles circonscriptions populaires et une assemblée de la
boulé, dotée des pouvoirs qui d'abord ont contrebalancé,
puis surmonté et remplacé, ceux des aristocrates.71
Le principe s'est développé dans la philosophie
politique occidentale au 18e siècle, qui a imaginé un état
de nature de l'être humain, et des droits naturels associés
à cet état. L'égalité a fait l'objet d'une longue
réflexion de la part du philosophe français Jean-Jacques Rousseau
dans son ouvrage intitulé « discours sur l'origine et les
fondements de l'inégalité parmi les hommes » en 1755 et
dans lequel il exprime ses préférences en matière de
gouvernance, et en 1762 dans son ouvrage intitulé « Du contrat
social ».
Le principe fut mis en oeuvre dans des systèmes de
démocratie libérale aux USA après la révolution
américaine et l'adoption d'une constitution en 1787, ainsi qu'en Europe
à la suite de la proclamation en France de la Déclaration de
droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. Apres s'être
intégré comme base des toutes les conventions et les lois des
Etats dans le monde.
En droit positif congolais le principe est consacré par
l'article 12 de la constitution en ce terme « Tous les Congolais sont
égaux devant la loi et ont droit à une égale protection
des lois ».72 En outre, cette disposition semble interdire
indirectement les pratiques discriminatoires. Elle soutient que la loi doit
s'appliquer en toute égalité, c'est dire que les distinctions
liées aux statuts, fonctions sociales et races etc. s'avèrent
être exclues quant à l'application de la loi.
En droit international, le principe trouve sa base dans
l'article 1e de la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme qui dispose en effet, que «Tous les êtres humains
naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont
doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les
autres dans un esprit de fraternité ».
Le principe d'égalité implique que toutes les
personnes qui sont à un titre ou un autre, en contact avec le service,
soient traitées de la même manière sans discrimination
ni
71 N. TSHAMALENGA, Op.cit. p.149.
72 Article 12 de la constitution citée
supra.
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arbitraire. L'article 13 de la constitution en donne une
signification plus large « Aucun Congolais ne peut, en matière
d'éducation et d'accès aux fonctions publiques ni en aucune autre
matière, faire l'objet d'une mesure discriminatoire, qu'elle
résulte de la loi ou d'un acte de l'exécutif, en raison de sa
religion, de son origine familiale, de sa condition sociale, de sa
résidence, de ses opinions ou de ses convictions politiques, de son
appartenance à une race, à une ethnie, à une tribu,
à une minorité culturelle ou linguistique». Il s'agit
donc de la serviabilité et de l'accessibilité. Ce principe
s'applique à 3 catégories d'individus 73 :
Ce principe s'applique premièrement aux agents des
services, ceux-ci doivent être soumis aux mêmes règles dans
l'accès aux emplois c'est-à-dire par rapport au mode de
recrutement des employés d'une part et d'autre part dans le
déroulement de leur carrière. Ce qui se résume au
traitement égale quant aux droits et obligations.
L'égalité s'applique ensuite, aux fournisseurs,
ils doivent être traités également dans la passation des
contrats avec l'Administration. D'où les procédures
d'adjudication, d'appel d'offres, de publicité et de mise en concurrence
qui régissent le droit des marchés publics et qui ont pour but
d'éviter le favoritisme ou le clientélisme et la corruption qui
peut s'ensuivre. Enfin, le principe s'applique à l'égard des
usagers bénéficiaires du service. En ce titre, il implique pour
les agents un devoir de neutralité de service.
C'est que le principe d'égalité interdit de
repartir ou de distribuer le service de façon différente en
fonction des opinions politiques ou religieuses de son personnel ou de celles
des usagers. Dès lors, la neutralité et la laïcité
deviennent des véritables principes administratifs autonomes.
Toutefois, ce principe est entaché d'exceptions. Bien
que hostile aux discriminations et à l'arbitraire, le principe de
l'égalité ne se confond pas avec l'uniformité. Pour
MALONGA Télesphore, le principe de l'égalité postule-t-il
une égalité catégorielle ou proportionnelle. Et donc
l'égalité de traitement concerne d'abord les situations
identiques et semblables. Les privilèges, la partialité et la
subjectivité. Il postule que le service fournisse à tous les
mêmes prestations, à condition qu'ils se trouvent dans une
situation identique.
Les différences du traitement doivent donc être
justifiées et fondées sur les critères objectifs. Ainsi
les exceptions sont fondées sur 74:
Premièrement, la différence de situation de
droit ou de fait : il n'y a pas d'obstacles à ce que des situations
différentes soient traitées de façon différente.
Deuxièmement et enfin, les nécessités de
l'intérêt général (le cas de l'ordre public) peuvent
justifier des atteintes aux droits des particuliers.
L'égalité va dans les deux sens, c'est le droit
d'exiger que des situations de faits semblables soient assujetties à des
lois semblables et que des situations de faits différents soient
assujetties à des lois différentes. Ce droit n'implique pas le
droit d'exiger des différences légales quand les
différences de fait sont passagères, minimes.75
73 T. MUHINDO MALONGA, Op.cit. pp.
181-182.
74Idem, p.182.
75 A. ZERMATTEN, Droit administratif, Ed
UNIFR, 2007, p 54.
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Par ailleurs, la problématique classique portant sur le
principe de l'égalité a aussi été
complètement renouvelée par le développement récent
des droits subjectifs sur ce qu'il est convenu d'appeler ici les
discriminations positives. Celles-ci interviennent dans le domaine de droit
économique et social ou du droit financier et fiscal.76
En outre, elles n'étaient pas établies à
partir des discriminations expressément interdites par la constitution.
Si cela était le cas, il aurait fallu réviser la constitution
comme dans les années passées, par exemple avec l'instauration de
l'objectif « parité » ou égalité entre
les femmes et les hommes dans l'accès aux mandats et fonctions
publiques. Donc nous pouvons déduire que le principe de
l'égalité bien que fondamental ou alors supra-constitutionnel est
frappé par ces trois exceptions que nous avons évoquées
ci-haut et celles-ci qui lui assurent une très grande efficacité
car dit-t-on l'exception confirme la règle.
2. La neutralité du service public
Le principe de la neutralité tel que nous l'avons
défini dans la partie introductive de notre étude est un principe
très complexe. Cette complexité se traduit par son
caractère fondamental qui fait ressortir de son contenu autant
d'énoncés et des principes aussi nécessaires que
soient-ils pour l'administration publique. Dans cette partie, nous allons
devoir analyser au fond la portée du principe de la neutralité,
sa définition et son contenu.
? Définition et contenu
Le principe de la neutralité est évidement un
principe moderne de droit administratif. Il ne figure pas non plus dans les
principes de Rolland. Il s'agit pourtant d'un principe fort dès
l'origine ; la neutralité permet d'assurer l'égalité de
traitement. Il a été qualifié pour certains auteurs,
corolaire du principe de l'égalité. Et même les lois dans
certains pays par exemple comme en RDC, définissent la neutralité
dans la lignée directe du principe de l'égalité, le
principe est décrit par l'article 193 de la constitution en ces termes
« L'Administration publique est apolitique, neutre et
impartiale. Nul ne peut la détourner à des fins
personnelles ou partisanes. Elle comprend la fonction publique ainsi que tous
les organismes et services assimilés ».
En effet, la neutralité est un principe par lequel tout
gestionnaire d'un service public doit s'abstenir d'afficher un comportement qui
fait preuve de son appartenance politique, religieuse, sociale. Il implique de
ne pas faire de discriminations en raison des opinions religieuses ou
politiques entre des candidats à des emplois publics, des agents publics
ou des usagers. Il signifie selon KABANGE Clément, que toutes les
opinions ou des tendances, qu'elles soient politiques, philosophiques,
religieuses etc. ont une vocation identique d'accéder au service
public.77Dès lors la neutralité dégage deux
idées :
D'abord, elle est matérielle : les décisions ne
doivent pas être dictées par le profit personnel des agents, dont
le désintéressement est le corollaire de leur devoir de
probité.
76 L. FAVOREU, Droit constitutionnel,
14e Ed, Paris, Dalloz, 2012, pp 1006-1007.
77C. KABANGE NTABALA, Droit des services et
entreprises publiques et problématique de la transformation des
entreprises publiques en RDC, Kinshasa, Ed Dieu est Bon, 2007, p 36.
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C'est-à-dire, d'un devoir d'indifférence
vis-à-vis des opinions et des croyances. Ceci révèlerait
une mise à distance par la puissance publique des courants de
pensées philosophiques, morales ou religieuses dans le but de parer
à tout soupçon de manipulation des citoyens ou administrés
ou encore des usagers des services publics concernés.
Ensuite, elle est aussi intellectuelle : l'administration doit
respecter la liberté de conscience de chacun et ne doit procéder
à aucune discrimination pour des raisons politiques, religieuses,
philosophiques, raciales ou ethniques. Dans la République la
laïcité est la manifestation de la neutralité en
matière religieuse. Il s'agit là de ce que Martial et Kada
qualifient d'un devoir d'action du pouvoir public en vue de garantir le respect
des certaines libertés fondamentales. L'on comprend qu'il s'agit ici de
la vision d'une neutralité active qui contribue à la pacification
sociale en signalant le devoir de l'Etat ou des collectivités locales
face aux droits des individus, des usagers des services
publics.78
Au demeurant, il faut comprendre que le principe de la
neutralité est caractérisé par la nondiscrimination,
l'impartialité, l'indépendance et la laïcité devant
et dans le service public. Dans cet ordre d'idées, nous croyons
fermement qu'il est nécessaire de développer
séparément ces éléments ou facettes
susmentionnées.
? La non-discrimination administrative
Le droit à la non-discrimination est issu du postulat
général de l'égale dignité de tous les êtres
humains qui a été affirmée par la charte des Nations Unies
et la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et des tous les
autres instruments juridiques internationaux en matière de droits
humains.
Consacré notamment par les articles 1 et 2 de la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme « Tous les
êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en
droit. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns
envers les autres dans un esprit de fraternité » et l'article
2 du même acte dispose quant à lui que « Chacun peut se
prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés
proclamés dans la présente déclaration, sans distinction
aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion,
d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale,
de fortune, de naissance ou de toute autre situation ;alinéa 2, De plus,
il ne sera fait aucune distinction fondée sur le statut politique,
juridique ou international du pays ou du territoire dont une personne est
ressortissante, que ce pays ou territoire soit indépendant, sous
tutelle, non autonome ou soumis à une limitation quelconque de
souveraineté».79
La non-discrimination occupe une place particulière
dans les dispositifs des droits humains, étant donné que tous les
droits humains doivent être mis en oeuvre pour tout un chacun et en toute
légalité. Les instruments juridiques internationaux en
matière des droits humains interdisent toute distinction, exclusion,
restriction ou tout autre traitement différencié au sein d'une
communauté bien donnée. Mais aussi, des discriminations entre
des
78 N. KADA et M. MARTIAL, Op.cit., pp
342-343.
79 Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits
de l'Homme, Principaux instruments juridiques relatifs aux droits de
l'homme, New-York et Genève, 2006, p.1.
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communautés qui ne se justifient pas et qui
compromettent la jouissance des droits humains par toutes et tous.
Lorsqu'on observe le monde contemporain dans cette optique, on
constate que des centaines de millions de personnes continuent d'être
discriminées à travers le monde entier du fait de leurs
appartenances à un peuple ou à une ethnie, de leur langue, de
leur croyance de leurs situations sociales et ou économiques, de leur
ascendances, de leurs opinions politiques, mais aussi de leurs sexes, de leur
âge ou de leurs orientation sexuelles. La non-discrimination
présente ici deux aspects distincts ou nous rappel deux autres notions
fondamentales dont :
? La non-discrimination dans le service
public
Il s'agit ici de s'attacher à la situation des agents
et fonctionnaires dans le service public. Le principe de neutralité des
agents publics a pour finalité de garantir la neutralité du
service public et l'impartialité de traitement des usagers. Elle
implique tout d'abord l'obligation. Dans ce contexte d'étude la
non-discrimination oblige à ce que les agents ne soient pas
traités en vertu de leurs appartenances à une classe ou
obédience quelconque. Les agents doivent jouir des mêmes avantages
en fonction de leur grade et carrière. Il implique également, une
égalité sur le plan de rémunération que doivent
toucher tous les agents.
? La non-discrimination devant le service et dans la
fourniture des prestations
Cette option est relative à la situation des usagers.
Ces derniers sont appelés pour une même fin. C'est de
bénéficier les prestations qui leurs sont fournies par le service
public. Les usagers sont destinataires des prestations, pour ce, ils ont la
vocation d'être traités tous de la même façon. Le
principe dont question implique deux réalités. L'on comprend
premièrement que les candidats au recrutement doivent tous remplir les
mêmes conditions. On peut alors se référer au principe
d'accessibilité et d'admissibilité.
La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme est
spécifique sur la question, elle prône une stricte
accessibilité.Toute personne a le droit de prendre part à la
direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par
l'intermédiaire des représentants librement choisis ; elle a
droit d'accéder, dans des conditions d'égalité aux
fonctions publiques de son pays.80Cette option est également
invoquée et soutenue par la Charte Africaine des Droits de l'Homme et
des Peuples qui stipule que, « Tous les citoyens ont le droit de
participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays,
soit directement, soit par l'intermédiaire des représentants
librement choisis, c'est conformément aux règles
édictées par la loi ».81
Puisque l'intérêt générale
l'oblige, puisque il est le ciment de toute action administrative, les usagers
ont droits aux mêmes avantages. Ces derniers doivent leur être
fournis en vertu de la situation de tout un chacun. Tous doivent être
pris sur un même pied de traitement selon la situation juridique
individuelle de tout un chacun.
80 Article 21, de la Déclaration Universelle
des Droits de l'Homme, cité supra.
81 Article 13 de la Charte Africaine des Droits de
l'Homme et des Peuples.
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? L'impartialité, l'indépendance et la
laïcité du service public
Le devoir d'indépendance est consacré par
l'article 193 de la constitution de la RDC qui dispose que «
l'Administration publique est apolitique, neutre et impartiale.
Nul ne peut la détourner à des fins personnelles ou
partisanes. Elle comprend la fonction publique ainsi que tous les organismes et
services assimilés ».
Il ressort de cette disposition que, l'indépendance
dont question répond à la gestion de Service et à la
participation des travailleurs ou fonctionnaire à la vie politique. En
ce qui concerne la participation à la vie politique, les agents sont
soumis à des restrictions d'autant plus sévères que la
place qu'ils occupent au sein de l'administration. On conçoit que, dans
l'exécution du service, le fonctionnaire soit astreint, tant du point de
vue du bon fonctionnement du service que celui de la subordination
hiérarchique, à des obligations qui limitent dans de très
larges proportions la liberté d'expression.82
En cela, il faut d'une part le fonctionnaire ne doit pas faire
de la fonction un instrument ou une occasion de propagande ; il est astreint au
devoir de stricte neutralité qui s'impose à tout agent
collaborant à un service public. Il n'est pas question ici d'inciter le
fonctionnaire à la désobéissance envers son
supérieur, ni moins envers les pouvoirs publics, mais au-delà
même de ce devoir d'impartialité ou de l'indépendance ,l'on
peut admettre qu'un minimum de loyauté à l'égard des
pouvoir publics puisse lui être exigé car les pouvoirs publics
existent en effet pour satisfaire les intérêts du pouvoir
politique, mais aussi des administrés ou usagers à l'égard
desquels les fonctionnaires doivent faire preuve d'une stricte
impartialité.
La neutralité des services publics qui implique celle
des fonctionnaires fonde l'obligation de réserve c'est-à-dire
celle de retenue, de démarcation dans l'expression d'opinion de toute
nature. Cette obligation se résume comme suit :
? L'obligation de réserve dans l'exercice des
fonctions
Reserve dans l'expression des opinions et dans le
comportement général
Lorsque l'exercice de la liberté d'opinions ne se
traduit plus seulement par une adhésion intellectuelle mais
s'extériorise sous la forme d'attitudes, agissements, expressions
verbales ou matérielles, cette liberté d'expression trouve des
frontières. Elle devient dangereuse pour la survie de l'administration
et de la carrière de l'agent
La neutralité interdit à tout fonctionnaire de
faire de sa fonction l'instrument d'une propagande quelconque, ni moins de
pratiquer ce qu'il convient d'appeler culte de personnalité. La
réserve ici s'impose dans le comportement général dans ce
sens qu'elle impose aux fonctionnaires le devoir de faire preuve de
discrétion ; les agents de l'Etat en tant que fonctionnaire ont un
devoir de loyauté et non du loyalisme à l'égard du
gouvernement.83
82 A. De LAUBADERE et Alli, Traité de
droit administratif, Tome 1, 9e Ed, Paris, LGDJ, 1992, p.119
83S. SERGE et J-Ch. SAVIGNAC, Notions
essentielles de la fonction publique, Ed SIREY, 1985. Pp 242-243.
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? Reserve en dehors du service
Reserve dans l'expression des opinions et dans le
comportement général
En dehors du service, la liberté d'expression qui
constitue un principe. L'appartenance, même militante à une
obédience politique, l'action écrite ou verbale font, par exemple
partie de cette liberté. Celle-ci connait cependant une limitation qui
consiste dans un certain devoir de réserve minimum.84 Pour
les plus hauts fonctionnaires, l'obligation de réserve est
interprétée de façon stricte.
L'obligation de réserve en dehors du service
empêche également au fonctionnaire de ne se livrer à des
propos qui entraveraient le fonctionnement du service et violeraient le secret
professionnel, il doit alors observer un comportement empreint de
dignité. Donc même dans sa vie privée, le fonctionnaire ne
doit pas donner à l'expression de ses opinions une forme
grossière ou insultante à l'égard des pouvoirs publics et
de ses chefs hiérarchiques.85
La neutralité trouve aussi une illustration
particulièrement typique en matière de liberté de
conscience. L'obligation de neutralité dans le service public s'y trouve
renforcée et précisée. Elle dégage
l'établissement d'une distance permettant de garantir
l'égalité de tous dans leur liberté de croire ou de ne pas
croire. C'est la naissance même de la laïcité au sein des
institutions étatiques.
Certes, la laïcité prend ses sources en droit
français qui ne reconnait plus aucun culte comme faisant partie
intégrante des institutions de la république. Sous l'Ancien
régime, Etat et Religion gallicane tel que conçu par Louis XIV
sont totalement imbriqués. Le monarque de droit divin est le chef de
l'Etat et le chef de l'Eglise. L'organisation de la société
traditionnelle est fondée sur la primauté du spirituel par
rapport au temporel, telle que le concevait Saint Augustin dans « La
cité de Dieu ».
Le clergé constitue le 1er des trois ordres
et sa puissance économique et son influence sur la vie de la
société sont considérables : l'Eglise assure la tenue de
l'état civil, elle contrôle l'enseignement, elle assure les soins
hospitaliers, et le Blasphème est interdit (le chevalier de la Barre
payera de sa vie la transgression de cet interdit en 1766). En remettant en
cause cet ordre ancien multiséculaire, la Révolution de 1789
marque une rupture fondamentale et constitue le point de départ du
processus de laïcisation de la société française.
C'est avec la Révolution qu'apparaît, dans la suite logique du
mouvement des Lumières, l'idée d'un Etat laïque,
indépendant de toute religion où l'Etat est neutre
vis-à-vis de tous les cultes.
En instaurant la laïcité comme principe
régissant l'administration publique, la France a voulu par-là
effacer officiellement toute distinction entre les anciens cultes (le culte
catholique, les deux principales églises protestantes, et le culte
israélite) et les autres. Tous sont sur le même
pied.86
84A. De LAUBADEREet Alli, Op.cit., p. 120.
85S. SERGE et J-Ch. SAVIGNAC, Op.cit., p
244.
86 R. CABRILLAC et Alli, « Libertés
et droits fondamentaux », 5e Ed, Paris, Dalloz, 1999, pp
285286
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La laïcisation de la société qui en est
issue comme réaction au cléricalisme ; l'urgente
nécessité de résister à l'indifférence, au
naturalisme et surtout à un laïcisme totalitaire et
anticlérical (libéral dans ses conceptions, mais agressif
vis-à-vis de l'Eglise et de toute forme religieuse) ont produit des
très grands bouleversements dans la quotidienneté de la
République française.87Cette non-reconnaissance du
culte n'est pas totalement une attitude d'hostilité ou de
méfiance. Elle implique que le fait religieux, contrairement aux
solutions concordataires, cesse d'être un fait public et cela va
dégager deux conséquences suivantes :
Premièrement la laïcisation de l'Etat a conduit
à la reconnaissance officielle de la liberté religieuse. La
laïcisation de l'état, la liberté religieuse s'accordent
d'une importance capitale, déjà la Déclaration des Droits
de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 dans son article 10 proclame la
liberté religieuse« Nul ne doit être
inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que
leurs manifestations ne troublent pas l'ordre public établi par la loi
».88 Une disposition qui sera plus tard soutenue par la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.89Cette
reconnaissance va permettre à ce que dans les législations
sociales, le droit d'exprimer sa religion ou de la pratiquer sans
inquiétude devienne plus concret. Malgré que certaines violations
persistent dans beaucoup d'Etats.
Deuxièmement, elle reconnait officiellement le
pluralisme religieux, celui-ci fait allusion à une situation où
l'Etat permet à tout individu non seulement de pratiquer sa religion en
privé qu'en public, mais aussi lui assure la possibilité de
créer des églises. Ce pluralisme est à la fois
négatif et positif.90
Il est négatif du fait que la
république qui admet toutes les manifestations divers de la
pensée, qui ne rejette aucune idéologie, qui les accueille
toutes, ne saurait en choisir une dont elle se ferait officiellement le
champion et dont elle s'instituerait la propagandiste. Et de l'autre
côté il est alors positif du fait qu'elle implique
l'engagement de l'état d'assurer pratiquement, à chacun, dans sa
quotidienneté vécue, le libre exercice de sa religion.
C.-à-d., de mettre à sa disposition, si la
nécessité l'impose les moyens lui permettant d'en observer les
règles.
En outre, le principe de laïcité, appliqué
aux services publics emporte deux exigences : d'un côté la
neutralité du service public, mais aussi le respect de la liberté
de conscience des agents et des usagers du service public. La
non-confessionnalité de l'Etat met les citoyens, c'est-à-dire,
les fonctionnaires et les usagers de service public sont placés sur un
angle d'égalité morale rigoureuse en face de l'Etat du fait que
celui-ci entend ne professer aucune
87 Commission Pontificale Justice et Paix,
l'Eglise et les Droits de l'Homme. Sommet du travail N°1, 2e
éd, Ed Cité de Vatican, 2011, p. 14.
88 Article 10 de la Déclaration des Droits
de l'Homme et du Citoyen proclamée en France le 26 août 1789.
89 Article 18 de la Déclaration Universelle
des Droits de l'Homme dispose que « Toute personne a droit à la
liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit
implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la
liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun,
tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte
et l'accomplissement des rites ».
90 R. CABRILLAC et Alli, Op.cit. p.286.
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foi au nom de la nation. Cette volonté de l'Etat de ne
pas reconnaitre du spirituel est de ce fait, une garantie de liberté
pour divers confessions religieuses.
Le devoir de neutralité implique prioritairement
l'État, ses institutions et ses représentants, et plus rarement
les citoyens. Autrement dit, la laïcité s'applique aux seuls agents
de la fonction publique du fait que si les fonctions publiques sont investies
d'un devoir de neutralité, les citoyens et usagers des services publics
sont libres d'exprimer leurs convictions religieuses ou non religieuses, sauf
si cela contrevient à l'ordre public.91 La
laïcité devient ainsi une obligation qui contraint l'administration
et tout personnelle et une exception aux usagers et citoyens pour
accéder aux services publics.
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