Section II - La souveraineté fiscale des
États membres fragilisée par la jurisprudence évolutive de
la Cour
La souveraineté fiscale des États membres se
retrouve toutefois fragilisée par cette jurisprudence créative
entraînant une mutation des ordres juridiques nationaux avec
l'intégration des nouveaux principes du droit de l'Union (I) mais
également à travers le fort pouvoir de contrainte des
arrêts en manquement rendu par la Cour (II).
I - La mutation de l'ordre juridique interne des
États membres par l'intégration de nouveaux principes du droit de
l'Union
La mutation de l'ordre juridique interne s'observe à
travers la mise en application du principe de l'autonomie procédurale et
institutionnelle des États membres (A). Les ordres juridiques des
États membres entrent par conséquent en pleine mutation à
travers l'imposition du consensus voulu par le législateur
européen (B).
A - L'application controversée du principe
d'autonomie procédurale et institutionnelle
Le principe d'autonomie procédurale et institutionnelle
pourrait induire que les États membres disposent d'une marge de
manoeuvre particulièrement importante. Il en est toutefois autrement. En
effet, si ce principe laisse bel et bien le champ libre aux États de
définir leurs propres règles procédurales, ces
dernières doivent être « destinées à
assurer la pleine sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit
communautaire notamment en matière de répétition de l'indu
ou d'action en responsabilité »66 .
66 Marie Hindré-Guégen, Responsabilité
des États membres - Août 2006 (actualisation : Janvier 2012),
Dalloz
CJCE, 22 janvier 1976, Russo c/ AIMA, C-60/75 ; CJCE, 16
décembre 1976, Rewe c/ Landwirtschaftskammer Saarland, C-33/76;
CJCE, 16 décembre 1976, Comet c/ Produktschap voor
Siergewassen, C-45/76; CJCE, 19 novembre 1991, Francovich et
Bonifaci., C-6/90 et C-9/90
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Il convient donc pour les États membres qui ne
disposent pas de règles procédurales en matière de
répétition de l'indu, par exemple, de se plier aux exigences de
l'Union en créant de nouvelles règles. La souveraineté des
États est atteinte car, bien que disposant d'une certaine marge de
manoeuvre, ce qui intéresse véritablement le principe d'autonomie
institutionnelle et procédurale c'est sa finalité :
l'instauration d'une harmonisation des buts. Peu importe le moyen si l'objectif
est rempli, si l'indu est recouvré. En effet, ce principe prend une
dimension toute particulière en matière fiscale67. Une
aide d'État illégalement octroyée devra être
répétée, tout comme des avantages fiscaux discriminatoires
non conformes avec le droit de l'Union et les grandes libertés promues
par le marché unique.
Ainsi, il revient à l'ordre juridique national des
États membres « de fixer les critères permettant de
déterminer l'étendue de la réparation à la charge
de ce dernier » 68. Le but du droit de l'Union en cette
matière est de garantir efficacement les droits des justiciables
conférant au principe la dénomination de « loi de
subsidiarité juridictionnelle »69 . Un
seuil minimum de protection des droits est en conséquence
garanti70.
En ce sens, « Il ressort de la jurisprudence de la
Cour que la mise en oeuvre des critères permettant d'établir la
responsabilité des États membres pour des dommages causés
aux particuliers par des violations du droit communautaire doit, en principe,
être opérée par les juridictions nationales71,
conformément aux orientations fournies par la Cour pour procéder
à cette mise en oeuvre72, a néanmoins
empiété sur les compétences qu'elle a ainsi par ailleurs
reconnues aux États membres » 73.
Une ingérence aussi importante de la Cour dans le droit
national n'est cependant pas sans conséquence. En effet, l'obligation
pour les États membres de faire muter leur système pour appliquer
des principes parfois inutilisés en droit interne peut être
qualifiée de
67 CJCE, 16 décembre 1976, C-33/76; CJCE, 29 juin 1988,
Deville c/ Administration des impôts, C-40/87,
68 Ibid66
CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur et
Factortame, C-46/93 et C-48/93
69 D. Simon, Droit communautaire et responsabilité de la
puissance publique. Glissements progressifs ou révolution tranquille ?,
AJDA 1993. 235
70 CJCE, 19 novembre 1991, C-6/90 et C-9/90 ; CJCE, 5 mars 1996,
C-46/93 et C-48/93
71 CJCE, 5 mars 1996, C-46/93 et C-48/93
72 CJCE, 17 octobre 1996, Denkavit, C-283/94, C-291/94
et C-292/94
73 Ibid66
CJCE, 30 sept. 2003, Köbler, C-224/01
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changement soudain et brusque. La question de la
sécurité juridique est là encore au coeur du sujet et peut
entraîner pour le contribuable une incompréhension.
La Cour impose sa vision par le biais des principes qu'elle
dégage. Cette vision s'impose en conséquence aux États
membres, façonnant ainsi le consensus issu de l'accord desdits
États à garantir un droit commun sur le territoire de l'Union.
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