B - La reconnaissance du principe de
sécurité juridique
Ayant conscience de sa capacité à édicter
des principes généraux du droit, la Cour assure aux particuliers
également le droit à une sécurité juridique. Ce
principe fondamental pour les acteurs économiques « exige que
les règles de droit soient claires et précises et vise à
garantir la prévisibilité des situations et des relations
juridiques relevant du droit communautaire »60.
Fruit d'une jurisprudence constante, le principe de sécurité
juridique est le témoignage du pouvoir prétorien de la Cour, lui
permettant de différer dans le temps les effets juridiques d'une
décision juridictionnelle pour ne pas brusquer certaines
activités économiques.
Ce principe est toutefois à distinguer du principe de
confiance légitime. Ce dernier doit être perçu davantage
comme « le corollaire du principe de sécurité juridique
»61 . Ce principe général du droit
de l'Union garantie tant les personnes physiques que morales des
59 Tel est le cas concernant la fraude à la TVA à
travers les « carrousel de TVA » CJCE 11 mai 2006,
Federation of technological industries, C- 384- 04
60 CJCE, 13 avril 1962, Bosch, 13/61, CJCE, 12
décembre 2002, Universal- Bau, C- 470/ 99 ; CJCE, 11 octobre
2007, Lämmerzhal, C- 241/ 06.
61 CJCE 12 juillet 1957, Algera, 7/ 56 ; CJCE, 14 mai
1975, CNTA c/ Commission, 74- 74 ; CJCE 1975, 25 janvier 1979,
Racke, C-98/ 78 ; CJCE, 15 février 1996, Duff, C-63/
93 ; CJCE, 18 mai 2000, Rombi et Arkopharma, C-107/ 97
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changements soudains de normes juridiques existantes si et
seulement si le requérant prouve qu'il « avait trouvé
dans le comportement de l'administration des espérances fondées
dans la stabilité des règles »62. Ce
principe peut trouver une application toute particulière en droit
fiscal. En effet, une norme appuyée par une doctrine administrative qui
s'applique de manière continue dans le temps peut déclencher dans
le chef du contribuable un sentiment d'espoir dans le maintien d'une telle
législation.
Toutefois, la marge de manoeuvre des États se trouve
grandement impactée par ce principe, lorsque la Cour déclare
qu'une législation nationale est contraire au droit de l'Union. Ce
principe ne peut être utilisé par réciprocité,
permettant à la Cour de jouir d'un droit prétorien qui ne peut
être contredit. D'une part, la Cour peut garantir les droits de l'Union,
ce qui peut être fondamental dans la protection des contribuables
établis sur le sol de l'Union. D'autre part, l'impossible contestation
s'avère critiquable dans la mesure où ce principe ne peut in
fine pas être utilisé à l'encontre du droit de
l'Union. La Cour verrouille donc la porte à double tour, emprisonnant
les États et leur libre exercice à se défendre.
Dans une décision Ampafrance SA et Sanofi
Synthelabo63, la Cour avait refusé, en invalidant une
décision du Conseil européen qui autorisait l'État
français à « déroger à la clause de gel
des exclusions du droit à déduction
»64 , de faire application du principe de
confiance légitime en arguant le fait que le Conseil n'avait pas fait
exacte application du principe de proportionnalité.
En France, le principe de sécurité juridique
fait désormais partie du paysage jurisprudentiel national à
travers l'arrêt de principe KPMG65, témoignage
une fois encore de l'intégration des grands principes du droit de
l'Union dans l'ordre juridique interne modifiant peu à peu la substance
de ce dernier. Toutefois, le juge administratif français n'est pas
encore allé jusqu'à consacrer le principe de confiance
légitime qu'il rattache davantage au droit de l'Union qu'à son
droit national.
62 Ibid58
CJCE 20 septembre 1990, Commission c/ RFA, C-5/ 89 ;
CJCE, 22 juin 2006, Belgique c/ Commission, C- 182/ 03
63 CJCE, 19 décembre 2000, Ampafrance SA et Sanofi
Synthelabo, C-177/99 et C-181/99
64 Ibid58
65 CE, 24 mars 2006, KPMG, n°288460
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En ce sens, si les tentatives de résistance des
États membres sont visibles, elles sont toutefois minoritaires ; le juge
préférant se plier aux exigences de son homologue
communautaire.
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