Conclusion
Si les législations fiscales des États membres
de l'Union ne sont pas totalement harmonisées, la Cour de Justice
oeuvre, dans ce sens, à travers de nombreuses décisions
clés. Servant, dans la plupart de ses arrêts, un objectif
d'intégration, la Cour opère cependant de manière
progressive. En effet, si les législations nationales se sont
conformées progressivement au droit de l'Union en matière de
fiscalité indirecte, il se développe, en parallèle, une
maturation de l'harmonisation de la fiscalité directe tant du
côté du législateur de l'Union qu'à travers la
jurisprudence prétorienne et téléologique de la Cour.
Par conséquent, en matière de fiscalité
indirecte et dans le cadre des directives relative à la fiscalité
directe des entreprise, la Cour procède davantage à des
précisions ou à des explications et interprétations des
textes européens. Sa jurisprudence abondante en matière de TVA et
d'imposition des revenus de capitaux mobiliers est, en ce sens, un renfort
accordé au législateur européen et un moyen d'appliquer ce
« droit fiscal européen » dans l'ordre juridique
national. A l'inverse, en matière de fiscalité directe, il reste
pour la Cour un vaste chantier en construction.
En, effet, la législation de l'Union est beaucoup moins
régulatrice en matière de fiscalité directe, de tel sorte
qu'il pourrait être observer, de prime abord, que ladite fiscalité
directe est par principe de la compétence exclusive des États
membres. Toutefois, ce n'était pas sans compter sur la jurisprudence de
la Cour qui, au travers des décisions, apporta un peu plus de mouvance
à cet environnement statique. Ainsi, contribuant par « petites
touches » et précisant son interprétation des textes de
droit primaire, la Cour devint progressivement actrice de l'harmonisation de la
fiscalité directe. La Cour effectuait alors ce que la doctrine a
théorisé avec l'expression « harmonisation
négative ». C'est d'ailleurs cette même «
harmonisation négative » de la fiscalité directe
qui a été exprimé de manière abondante, tant en
quantité qu'en qualité, ces trente dernières
années.
87/101
En conséquence, ce travail d'harmonisation
infléchit inéluctablement la souveraineté des États
en matière fiscale. Cependant, la Cour n'exerce pas une harmonisation
à travers une jurisprudence fondée ex-nihilo. Au contraire, en
raison des principes de légalité et de sécurité
juridique auxquels elle se se soumet, cette dernière utilise toujours
une base légale dans son raisonnement. En effet, qu'il s'agisse de
fiscalité directe ou indirecte, l'harmonisation négative
apparaît, notamment, pour protéger les grandes libertés
promues par l'Union européenne.
Cet argument permet ainsi d'éviter toute entrave ou
discrimination à ces grandes libertés. De surcroît, cette
protection garantie un système économique européen au sein
duquel les investisseurs, et plus largement les contribuables, doivent avoir
confiance. En effet, cette confiance « verticale » des
contribuables envers le système fiscal des États membres est
garantie par l'inspection et le contrôle de plus en plus renforcée
de la Commission européenne notamment en matière d'aide
d'État.
De plus, pour appuyer son raisonnement, la Cour peut avoir
recours aux principes généraux du droit de l'Union. Elle justifie
de la sorte sa décision et exprime, dans le même temps, son point
de vue sur l'application d'une législation nationales. De la
primauté du droit de l'Union à l'effet utile dudit droit, le
juge, tant national qu'européen, se doit de prendre en
considération de tels principes dans la motivation sa décision.
Et si les frondes juridictionnelles et législatives peuvent exister, la
Commission comme la Cour veillent à ce que les sanction juridiques,
politiques ou financières soient effectives.
L'harmonisation fiscale s'observe également à
travers son objectif de lutte contre la fraude fiscale. En effet, face à
des fraudeurs toujours plus ingénieux et des montages plus complexes, la
Cour livre avec les États membres une véritable bataille contre
le fléau de la fraude fiscale issue de la concurrence fiscale entre les
États. « A ce titre, la concurrence fiscale peut notamment
déboucher sur une remise en cause de la souveraineté nationale,
si chaque État doit continuellement réagir aux changements
intervenant ailleurs afin de rester compétitif dans cette course au
« moins-disant fiscal293 ».
293 Politique fiscale communautaire, Encadrement politique des
sources juridiques, Méthode d'intégration envisageable, §1
Concurrence fiscale
88/101
Toutefois, l'action d'harmonisation de la Cour n'est pas
achevée et de nombreux pans de la fiscalité directe comme
l'impôt sur le bénéfices des sociétés
mériteraient une harmonisation de la part du législateur
européen. Bien que la Cour puisse agir parfois ultra petita
lorsqu'elle reformule certaines questions préjudicielles des juges
nationaux, son expertise demeure cantonnée à des
problématiques précises. Ce rôle doit rester tel qu'il est
afin de ne pas tomber dans les écarts d'un gouvernement des juges, qui
pourrait, à bon droit, susciter de nombreuses critiques, ne serait-ce
qu'en matière de légitimité.
Ainsi, si la Cour de Justice est limitée dans son
action par le Parlement et le Conseil de l'Union européenne. Ces
institutions sont soumises à des aléa politiques empêchant
une intégration pleine et entière. La Cour se retrouve ainsi en
binôme avec la Commission afin de défendre et préserver les
intérêts politiques et économiques de l'Union sans lesquels
elle cesserait d'être cette organisation internationale sui generi
que nous connaissons.
Ce statut est toutefois ambigu. En effet, l'Union
européenne est une institution à cheval entre la
confédération et la fédération. Cette
qualification, si elle semble satisfaisante pour certains États membres,
demeure fragile comme l'a récemment démontré la sortie de
l'Union européenne du Royaume-Uni. Si une uniformisation des
législations fiscales semble utopique dans sa mise en oeuvre comme dans
son application, l'encadrement des législations fiscales
européennes est privilégié par l'Union. En effet,
l'harmonisation décrite laisserait la liberté aux États
membres d'élaborer des normes circonscrites dans un cadre défini
par le législateur ou la Cour, et qui tiendra, bien entendu, des
circonstances locales particulières de chaque États.
Cependant, « l'alternative de l'harmonisation ne
constitue pas la panacée non plus. La souveraineté fiscale reste
la dernière parcelle de souveraineté nationale au sein de
l'Union, et, à choisir, les États membres
préféreront sans doute perdre une partie de cette
souveraineté en raison de la concurrence fiscale interétatique
à laquelle ils participent, que du fait fait de l'harmonisation d'en
haut dont ils ne sont que les spectateurs. Il ne faut pas oublier non plus
l'enracinement du droit de prélever l'impôt dans l'idée du
consentement à l'impôt par la Nation représentée par
son Parlement. Rien de tel dans l'harmonisation communautaire issue des
technocrates de Bruxelles. Le déficit
démocratique présidant à
l'élaboration des textes communautaires constitue une faiblesse
irrémédiable et ne manque pas de rappeler la fameuse expression
de James Ottis « l'imposition sans représentation est de la
tyrannie ». L'on peut se demander également si le fait de fermer la
porte à la concurrence fiscale n'est pas synonyme de fermer la porte
à la découverte. Cela pourrait être la fin de l'esprit
d'entreprise. Si nous ne préservons pas la liberté, nous nous
engageons sur la route de la servitude dont parlait Friedrich von Hayek
»294. En ce sens, comme tenait à le
rappeler Benjamin Franklin « Un peuple prêt à sacrifier
un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite
ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux ».
Toutefois, à l'heure actuelle, l'Union n'est pas
parvenue à gommer les disparités nationales, et ne sera une
communauté économique aboutie, que lorsqu'il existera une
harmonisation fiscale intégrale. L'Union européenne n'est pas une
organisation internationale classique. Elle est le fruit de convergences
historiques, politiques et économiques, constituant une
communauté sui generi dont la volonté de son organe
juridictionnelle semble parfois tendre, et cela de manière insidieuse,
à la réalisation du doux rêve de ses pères
fondateurs : les États Unis d'Europe.
89/101
294 Ibid294
90/101
|