L’harmonisation des systèmes fiscaux des états membres par la cour de justice de l’union européenne.par Dylan Viry Université de Lorraine - Master II Procédures et fiscalité appliquée 2019 |
Section II - L'action d'harmonisation de la Cour à l'appui des directives luttant contre l'évasion fiscale.Dans le droit de l'Union, il existe deux types de directives qui ont pour objet la lutte contre l'évasion et la fraude fiscale. Dans un premier temps, il existe des directives et des jurisprudences dont l'objet est de qualifier la fraude et d'en interdire le procédé. Il s'agit en l'occurrence des récentes directives plus connues sous le nom d'« ATAD »257 mais dont la jurisprudence avait parfois esquissé les formes en se servant des mesures anti-abus général qui se trouvait dans les directives mère-fille et intérêts et redevances (I). Toutefois, d'autres mesures peuvent être prises pour lutter contre l'évasion fiscale et l'érosion de la base fiscale à travers la consécration d'un échange d'informations renforcées entre les États membres (II). I - Une harmonisation jurisprudentielle pour lutter contre le phénomène d'évasion fiscaleL'harmonisation jurisprudentielle dont l'objectif est de lutter contre l'évasion fiscale a pour objectif de pouvoir s'adapter à tous types de fraudes initiées au sein de l'Union par notamment une application excessivement favorable des directives de l'Union. Elle est souvent l'objet de convergence entre intérêts de l'Union et intérêts nationaux car tous deux mettent en oeuvre des mesures afin de protéger le budget des États membres. Le but comme rappelé précédemment étant de créer un espace de liberté mais également de justice fiscale. 256 CJUE, 11 décembre 2008, A.T., C-285/07 257 « Anti tax avoidance directive » traduit en directive anti-évasion fiscale Directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur supplée récemment par la directive « ATAD 2 » apportant des précisions sur les règles anti-hybrides en relation avec les États tiers à l'Union 77/101 Les apports jurisprudentiels sont en ce sens nombreux notamment en matière de société étrangère contrôlée et de mesure anti-hybrides (A) mais également en terme de règle général anti-abus et d'imposition à la sortie plus connue sous le nom d'« exit tax » (B). A - Les apports jurisprudentiels édifiants en matière de règles anti-abus générales et de sociétés étrangères contrôléesAb initio, en matière de lutte contre la fraude fiscale, l'approche de la Cour a longtemps été balbutiante. En effet, en 1986, les juges de Luxembourg avaient initié que le risque d'évasion fiscale ne pouvait contrevenir aux dispositions de l'article 52 CE relatif à la liberté d'établissement258. « Prenant toutefois le contre-pied de cette analyse rigoureuse en 1998, les juges communautaires se montraient plus réceptifs aux inquiétudes gouvernementales et révisaient en conséquence leur liste, exhaustive, des justifications légitimant les entraves aux libertés de circulation. Ainsi, la décision Imperial Chemical Industries259 peut être interprétée comme reconnaissant, a contrario, la lutte contre l'évasion fiscale comme justification recevable aux discriminations créées »260. Toutefois, la Cour en la matière avait la fâcheuse tendance à botter en touche faisant reposer la responsabilité fiscale sur les États membres au nom du principe de souveraineté261. Toutefois, meut par le principe de sécurité juridique, la Cour décida enfin de sortir de ses hésitations en donnant une première définition de la notion de fraude fiscale en matière de TVA262. A la demande de la Commission, la Cour a, par la suite, défini la notion de « montage purement artificiel »263 à travers l'observation « d'un élément subjectif, résidant dans la volonté d'obtenir un avantage fiscal, qui avait pourtant été 258 CJCE, 28 janvier 1986, Commission c/ France, C-270/86 Eric Meier, Avocats à la Cour, Bernard Boutemy, Avocats à la Cour, Petites affiches - n°221 - page 4, Sociétés étrangères contrôlées et liberté d'établissement, Lextenso 259 CJCE, 16 juillet 1998, Imperial Chemical Industries, C-264/96 260 Ibid259 261 CJCE, 13 décembre 2005, Marks & Spencer, C- 262 CJCE, 21 février 2006, Halifax, C-255/02 En premier lieu, « la pratique abusive doit permettre d'obtenir un avantage fiscal et il convient de constater, à partir d'un ensemble d'éléments objectifs, que le but essentiel des opérations est l'obtention de cet avantage fiscal. À cette fin, l'on peut, selon les indications données par la Cour de justice, tenir compte notamment du « caractère purement artificiel de ces opérations ainsi que les liens de nature juridique, économique et/ou personnelle entre les opérateurs impliqués dans le plan de réduction de la charge fiscale. » Ibid259 263 Ibid259 78/101 expressément écarté par l'avocat général comme étant non pertinent »264 ainsi que « d'éléments objectifs vérifiables par des tiers et révélant l'absence d'« implantation réelle ayant pour objet l'accomplissement d'activités économiques effectives dans l'État membre d'accueil »l265 . Cette méthode a notamment été utilisé dans les récent « Danish cases », en précisant que « le principe selon lequel les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l'Union est un principe général du droit de l'Union. Elle en précise les conséquences s'agissant, d'une part, de l'exonération de la retenue à la source sur les bénéfices distribués par une filiale à sa société-mère »266. Cette série judiciaire reprend peu ou prou la définition ci-avant par la réunion d'un critère objectif et subjectif afin de caractériser l'abus de droit. La Cour précise en outre l'exigence que les sociétés doivent disposer d'une certaine substance, à savoir une certaine activité économique sans laquelle elle ne pourrait bénéficier des libertés fiscales octroyées par les directives mère-fille et intérêts et redevances. Concernant les règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées (SEC)267, et afin de comprendre davantage cette notion et les apports de la jurisprudence en la matière, il convient d'analyse le plus célèbre arrêt en la matière, à savoir la décision Cadbury Schweppes268. En l'espèce, la législation britannique relative aux SEC, prévoyait qu'une telle société détenue à 50 % au moins par une société britannique devait être imposée selon les règles dudit pays dans l'hypothèse selon laquelle l'État de résidence de la SEC disposait d'un taux d'imposition des sociétés inférieur aux trois quarts du taux britannique269. Toutefois, la règle britannique relative aux SEC ne s'appliquait pas si ladite SEC versait « la quasi-intégralité de ses bénéfices à sa société-mère de droit britannique »270. En effet, sous cette perspective, la société britannique devrait ensuite être imposée au 264 Ibid259 265 Ibid259 266 Sandrine Rudeaux, La CJUE précise les conditions de mise en oeuvre de la théorie de l'abus de droit et la notion de bénéficiaire effectif, 1 mars 2019 https://taj-strategie.fr/cjue-precise-conditions-de-mise-oeuvre-de-theorie-de-labus-de-droit-notion-de-beneficiaire-effectif/ 267 Ci-après SEC 268 CJCE, 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes, C-164/04 269 Ibid259 270 Ibid259 79/101 titre des dividendes reçus. Le point important de la législation anglaise consiste dans le fait que « la société de droit anglais doit parvenir à démontrer que la création de la filiale contrôlée et les transactions conclues avec celle-ci, n'ont pas pour objectif de détourner des bénéfices en principe imposables au Royaume-Uni »271 . « En l'espèce, Cadbury Schweppes avait créé deux filiales en Irlande, lesquelles, domiciliées au Centre de services financiers internationaux, étaient éligibles à un régime fiscal incitatif prévoyant notamment un taux d'imposition à 10 %. L'objet de ces filiales consistait à fournir divers services financiers aux sociétés du groupe Cadbury Schweppes. L'Inland Revenu, estimant que les deux filiales avaient été établies en Irlande dans le seul but d'y assujettir à un taux moindre des bénéfices autrement passibles du taux de droit commun du « corporate income tax » anglais, avait appliqué la législation sur les SEC et avait en conséquence notifié un rappel d'impôt à Cadbury Schweppes. Portant le débat devant les « Special Commissioners », Cadbury Schweppes souleva alors l'incompatibilité du dispositif SEC au droit communautaire »272. L'avocat général avait en effet considéré qu'un tel dispositif était discriminatoire, mais pouvait en outre être défendu au regard de « l'objectif de lutte contre l'évasion fiscale »273. L'État britannique avait sans aucun doute la légitimité suffisante pour interdire une telle pratique dommageable à son Trésor. Cet apport jurisprudentiel « en fiscalité directe constitue donc un nouvel avertissement à l'encontre des États membres, lesquels, tout en s'opposant à une harmonisation en ce domaine, s'étaient déjà vu défendus de tirer prétexte du faible niveau d'imposition de l'État membre d'implantation d'établissements secondaires pour légitimer une quelconque entorse à la liberté d'établissement d'une société-mère »274. Si les deux règles anti-abus précités font l'objet d'une grande partie du contentieux, les apports de la jurisprudence en matière de règles anti-hybrides et d'« exit tax » sont, à l'inverse, d'application plus limitée, car les directives sur lesquelles la Cour se fonde sont très généralement non-équivoques. 271 Ibid259 272 Ibid259 273 Ibid259 274 CJCE, 28 janvier 1986, Commission c/ France, C-270/86 Ibid259 80/101 |
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