B - L'extension de l'analyse méthodologique
La méthode traditionnelle étant
particulièrement inadaptée dans l'arrêt Gibraltar,
la Cour définit elle-même une autre méthode afin
d'apprécier la sélectivité d'un système fiscal
analysant davantage le fond de la réforme fiscale plutôt que son
appréciation globale. La Cour reconnaît ainsi la faille de son
analyse méthodologique traditionnelle. Elle explique ainsi qu'il serait
trop facile pour les États membres d'appliquer une réforme
fiscale générale des entreprises pour contourner le droit de
l'Union concernant la prohibition des aides d'État. Le problème
étant qu'adopter une analyse globale des systèmes fiscaux des
États membres peut être contestable dans la mesure où aucun
de ces systèmes fiscaux ne se correspondent parfaitement et restent en
principe attachés à la souveraineté de l'État
membre.
Ainsi, la Cour tente de trouver une alternative à une
analyse méthodologique, qui si elle fonctionnait jusque-là, a su
prouver ses limites. En conséquence, « contrairement à
la « méthode traditionnelle », la « méthode
alternative » est ainsi subjective au stade de l'appréciation de la
sélectivité d'un régime206, et objective au
stade de la justification de cette sélectivité
»207. L'utilisation de cette nouvelle méthode a une
portée purement téléologique consistant à gommer un
maximum les différences entre les différents systèmes
fiscaux des États membres. L'usage de la sélectivité d'une
mesure, d'une réforme, d'un système n'étant que des moyens
pour assurer l'harmonisation des systèmes fiscaux de l'Union.
Ainsi, se retrouve également au titre des arguments de
la Cour le principe de nondiscrimination, qui, s'il ne peut être
invoqué qu'à titre complémentaire, constitue une
justification non négligeable à la charge de Gibraltar.
En effet, « au regard des caractéristiques de ce
régime, rappelées au point précédent, il
apparaît que le régime litigieux, en combinant ces bases,
même si celles-ci reposent sur des critères, en eux-mêmes,
de nature générale, opère, en fait, une discrimination
entre des sociétés se trouvant dans une situation comparable au
regard de l'objectif poursuivi par le projet de réforme
206 Car fondée sur les objectifs poursuivis par le
régime fiscal
207 Car fondée sur la normalité du régime
fiscal Ibid189
66/101
fiscale, à savoir celui d'introduire un
système général d'imposition pour toutes les
sociétés établies à Gibraltar
»208.
En ce sens, la méthode alternative de la Cour s'observe
particulièrement des paragraphes 101 à 107 dudit arrêt. En
effet, les paragraphes 106 et 107 en particulier selon lesquels « la
circonstance que les sociétés « offshore » ne sont pas
imposées est non pas une conséquence aléatoire du
régime en cause, mais la conséquence inéluctable du fait
que les bases d'imposition sont précisément conçues de
façon à ce que les sociétés « offshore »
qui, par leur nature, n'emploient pas de salariés et n'occupent pas de
locaux professionnels, ne disposent pas de l'assiette fiscale au sens des bases
d'imposition retenues dans le projet de réforme fiscale. Ainsi, la
circonstance que les sociétés « offshore », qui
constituent à l'égard des bases d'imposition retenues dans le
projet de réforme fiscale un groupe de sociétés,
échappent à l'imposition, précisément en raison des
caractéristiques propres et spécifiques à ce groupe,
permet de considérer que ces sociétés
bénéficient d'avantages sélectifs ».
La Cour sanctionne, de manière implicite, la «
concurrence fiscale dommageable »209 entre
États. En effet, si la réforme fiscale n'avait pas
été qualifié d'aide d'État, Gibraltar serait devenu
une plate-forme, voire un « paradis » fiscal des
sociétés européennes qui auraient utilisé
l'État membre à des fins uniquement fiscales. En effet, si un tel
régime n'avait pas été sanctionné, l'Union
européenne aurait fait un aveu de faiblesse en faveur de la
souveraineté fiscale des États membres. Or, comme observé
précédemment, la Cour ne s'inscrit pas dans une telle optique,
bien au contraire. Son pouvoir prétorien et sa vision
téléologique d'harmoniser le marché commun, le droit de la
concurrence et le droit fiscal des États. Elle ne va toutefois pas
jusqu'à imposer une vision de politique fiscale et économique.
Sur ce point les États demeurent libres et souverains. Toutefois, la
Cour s'octroie le droit de censurer, d'harmoniser négativement, ce qui
lui semble contraire aux intérêts économiques de
l'Union.
L'arrêt Gibraltar induit en ce sens un renversement de
la charge de la preuve pour les États en matière d'aide
d'État. En effet, dans cette méthode alternative, la Cour dispose
juste de la faculté de démontrer que le régime fiscal en
cause est « anormal ». Il appartient en ce
208 Ibid191, paragraphe 101
209 Ibid191
67/101
sens à l'État de prouver la «
normalité », voire même la légitimité
de son système fiscal. L'application d'une telle méthode est donc
contestable concernant la souveraineté des États membres. En
effet, la Commission, qui opère la première la qualification
d'aide d'État, s'en trouve grandement avantagée car elle pourra
caractériser plus facilement les aides d'État. « Cette
démarche n'est pas sans risque sur les autres régimes, et la Cour
s'est sans doute engagée sur une pente glissante qui l'amène
à élargir le cadre général de ce qu'il convient de
considérer comme « normal » en matière de
fiscalité dans l'Union européenne. Car au-delà de la
question de savoir qui doit juger en premier chef de la normalité, il
faut aussi déterminer par rapport à quoi elle doit être
évaluée »210.
En effet, « une extension trop grande du régime
des aides ait pour conséquence de soumettre tous les choix de politique
économique des États membres au contrôle des
autorités communautaires »211. La crainte
de la concurrence fiscale au sein de l'Union ne doit toutefois pas aveugler la
Cour dans ses décisions. En effet, il serait dommageable pour
l'institution juridictionnelle que les aides d'État fassent l'objet d'un
contrôle de légitimité à défaut d'un
contrôle de légalité.
Si la méthode alternative n'a été que peu
utilisé par la suite et est devenue une méthode utilisée
à titre subsidiaire, le marché unique fait sans aucun doute
l'objet d'une protection renforcée de la Cour. En effet, l'utilisation
des grandes libertés sous couvert également du principe de
non-discrimination font tendre l'Union européenne vers un système
économique libéral. Le droit fiscal des États membres se
trouve donc harmonisée à travers des séries de
décisions jurisprudentielles oeuvrant dans un sens commun et
obéissant souvent à la même méthodologie. Toutefois,
si une telle libéralisation des régimes fiscaux des États
membres est évidente, la Cour pose des limites notamment en
matière de fraude fiscale, effet pervers d'un régime
économique constamment fluidifié au sein de l'Union.
210 Ibid189
211 Conclusion de l'avocat général Poiares Maduro
à l'arrêt CJCE, 23 mars 2006, Enirisorse, C-237/04
68/101
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