II - L'extension de l'examen méthodologique des
aides d'État par la Cour
L'examen méthodologique des aides d'État a
progressivement évolué passant d'une analyse classique
fondée sur les textes (A) à une extension observable à
l'occasion du célèbre arrêt Gibraltar (B).
A - L'analyse méthodologique classique par la
Cour de la notion d'aide d'État
Un système fiscal anormal peut parfois être
considéré d'« avantage fiscal, de dépense fiscale
ou encore de niche fiscale »190. Par ailleurs, les
rapports publics font souvent état de fiscalité
dérogatoire. Ainsi, coexisteraient des systèmes fiscaux normaux
donc « vertueux »191 et d'autres anormaux donc facilitant
potentiellement la fraude et nécessitant une surveillance accrue. Par
ailleurs, la qualification de système fiscal normal ou
dérogatoire relève de la subjectivité. C'est d'ailleurs
autour de cette problématique que l'arrêt
Gibraltar192 est né.
Comme rappelé précédemment, l'article 107
TFUE et la jurisprudence193 condamne « les aides
accordées par les États ou au moyen de ressources d'État
sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la
concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions
». En ce sens, la doctrine et la Cour ont établi quatre
catégories d'aides d'État : « les aides
géographiques, les aides sectorielles, les pratiques
discrétionnaires et les régimes préférentiels
»194.
190 Édouard Dubout et Alexandre Maitrot de la Motte, Aides
d'État, Normalité, sélectivité et
légitimité des régimes fiscaux dans l'Union
européenne : les paradis fiscaux au purgatoire des aides d'État
?, Droit fiscal n° 5, 2 Février 2012, comm. 126
191 Ibid189
192 CJUE, 15 novembre 2011, Commission c/ Gvt of Gibraltar
et Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, C-106/09
193 CJCE, Altmark, 24 juillet 2003, C- 280/ 00
194 Sélectivité matérielle
Ibid189
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La Cour dans l'arrêt Gibraltar débat autour de la
notion d'« avantage fiscal »195 et plus
particulièrement sur la notion de « sélectivité
d'une mesure générale »196,
qualifié de « normal » dans sa forme et d'«
anormal » sur le fond. En l'espèce, le gouvernement de
Gibraltar avait initié une réforme fiscale selon laquelle devait
être instituée sur l'ancienne législation fiscale «
une taxe d'enregistrement des sociétés, un impôt sur le
nombre de salariés et un impôt sur l'occupation des locaux
professionnels (business property occupation tax)197, étant
entendu que l'assujettissement à ces deux derniers était
plafonné à 15 % des bénéfices
»198. La Commission199 a estimé
à ce titre que la réforme fiscale constituait une exemption
totale aux obligations fiscales des entreprises qualifiées d'«
offshore ». En effet, ce type d'entreprise, très courant
à Gibraltar, n'aurait pas eu à payer d'impôt, car elle ne
dispose pas de locaux professionnels ou de salariés et ne réalise
qu'une faible part de bénéfice. Ce système venait en
conséquence accorder une exemption générale à la
plupart des sociétés constituées à Gibraltar. En
outre, la Commission qualifiait également la sélectivité
géographique200 de la mesure car les sociétés
domiciliées à Gibraltar étaient moins imposées
qu'au Royaume-Uni.
« Traditionnellement, la méthode retenue par
la Commission européenne et la Cour de justice aux fins
d'apprécier le caractère sélectif d'un avantage fiscal
consiste à raisonner en trois étapes. »
Premièrement, il convient d'identifier si le système fiscal en
cause peut être qualifié de « normal ».
Deuxièmement, les deux institutions européennes apprécient
la sélectivité de la mesure litigieuse au sein du système
fiscal. Troisièmement, la Cour et la Commission vérifient la
justification tirée de « la nature ou l'économie du
système fiscal »201. En d'autres termes,
la mesure doit être justifiée par des objectifs
légitimes202. Par
195 Ibid189
196 Ibid189
197 BPOT
198 Cour de justice de l'Union européenne,
Communiqué de presse n° 120/11, Luxembourg, le 15 novembre 2011, Un
régime fiscal conçu de telle façon que des
sociétés offshores échappent à l'imposition
constitue un régime d'aide d'État incompatible avec le
marché intérieur
199 Décision 2005/261/CE de la Commission, du 30 mars
2004, relative au régime d'aides que le Royaume-Uni envisage de mettre
à exécution concernant la réforme de l'impôt sur les
sociétés par le gouvernement de Gibraltar
200 Dans le cas présent régional
201 CJCE, 2 juillet 1974, Italie c/ Commission,
C-173/73
202 Cf. A - De rares exceptions réduites à peau de
chagrin
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la qualification d'aide d'État, le système
fiscal « normal » devient « anormal »
sous couvert des éventuelles justifications apportées par
l'État membre.
Cette analyse méthodologique avait pour but de ne pas
restreindre la liberté des États membres dans le choix de leurs
politiques fiscales et in fine économiques. En ce sens, un
système fiscal qui « n'a pas créé une
dérogation en faveur de certaines entreprises ou de certaines
productions par rapport à un « système normal » de
taxation (...) n'est pas constitutif d'un régime d'aides au sens de
l'article 107 du Traité »203. En ce sens,
« le seul élément fondamental requis pour l'application de
l'article (107), paragraphe 1, est le caractère dérogatoire de la
mesure, dans sa nature même, par rapport à l'économie du
système général dans lequel elle s'insère
»204. La méthodologie utilisée
était donc claire, il s'agissait de comparer les mesures potentiellement
« anormales » d'un système fiscale avec la «
normalité » de ce même système fiscal.
La problématique était toutefois plus complexe
dans l'arrêt Gibraltar car la réforme fiscale
s'appliquait à quasiment toutes les sociétés dûment
constituées dans l'État membre. Il s'agissait donc, par
application de la méthodologie traditionnelle, d'un système
fiscal « normal ». C'est pour cela que le Tribunal de
première instance avait considéré que la mesure ne
rentrait pas dans le champ d'application des aides d'État.
La Cour a cependant opéré un autre raisonnement,
engageant le développement d'une « méthode alternative
»205 pour davantage apprécier la
sélectivité de la réforme litigieuse.
203 Conclusion de l'avocat général Jean Mischo
à l'arrêt CJCE, 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline GmbH et
Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke GmbH c/ Finanzlandesdirektion für
Kärnten, C143/99
204 Conclusion de l'avocat général Marco Darmon
à l'arrêt CJCE, 17 mars 1993, Firma Sloman Neptun Schiffahrts
AG / Seebetriebsrat Bodo Ziesemer der Sloman Neptun Schiffahrts AG,
C-72/91 et C-73/91
205 Ibid189
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