Section II - Les frondes minoritaires des juridictions
nationales contre la jurisprudence de la Cour
Si l'harmonisation négative effectuée par la
Cour empiète sur la compétence fiscale souveraine des
États membres, la réaction de ces derniers ne se fait pas
attendre. En effet, certaines juridictions nationales font partie de ces
acteurs parfois revêches à l'encontre du droit de l'Union (I).
Toutefois, le premier juge de l'Union étant le juge national, ce dernier
oeuvre la plupart du temps à la lumière des décisions de
la Cour, influencé sinon soumis par le principe de primauté
(II).
I - La fronde fiscale : remise en cause de
l'autorité de la Cour et de la primauté du droit de l'Union
Au début des années 2000, le Conseil
d'État français s'est illustré à travers une
décision Syndicat national de l'industrie
pharmaceutique123, longuement commentée car à
l'encontre du droit de l'Union, allant jusqu'à remettre en cause
l'autorité de la chose interprétée d'un arrêt de la
Cour rendu à la suite d'une question préjudicielle (A) marquant
par là même une rupture caractérisée avec le
principe de primauté (B).
A - La fronde du Conseil d'État français
à l'encontre de l'autorité des décisions de la Cour
Par un arrêt rendu par le Conseil d'État
français en date du 3 décembre 2001124, la haute
juridiction administrative s'oppose tant à l'autorité de la chose
interprétée d'un arrêt rendu à la suite d'une
question préjudicielle posée devant la Cour qu'au principe de
primauté du droit de l'Union. En l'espèce une ordonnance en date
du 24 janvier 1996125 avait institué « des
contributions exceptionnelles à la charge des laboratoires
pharmaceutiques assises sur le chiffre d'affaire hors taxe
réalisé en 1995 sur les médicaments
remboursables126 ».
123 CE, 3 décembre 2001, Syndicat national de
l'industrie pharmaceutique (SNIP), n° 2001-063346
124 Ibid124
125 Ordonnance du 24 janvier 1996 tendant au
rétablissement de l'équilibre financier de la
sécurité sociale
126 Curia, Reflet 2002 n°3
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L'ordonnance prévoyait en outre la possibilité
pour ces entreprises de déduire de leur chiffre d'affaire les
dépenses de recherches et développements relatifs aux
opérations de recherches. Toutefois, le droit à déduction
n'était pas octroyé aux succursales d'entreprises pharmaceutiques
disposant de leur siège dans un autre État membre de la
communauté. La Cour censura une telle discrimination à la suite
d'une question préjudicielle du Conseil d'État127.
Toutefois, la loi de financement de la sécurité
sociale128 de 2000 créa une nouvelle fois une contribution
exceptionnelle assise sur le chiffre d'affaire concernant « les
spécialités remboursables et agrées, comportant une
exonération au profit des entreprises dont le chiffre d'affaire
était inférieur à 100 millions de francs ». A ce
titre, le Conseil d'État se défendait en invoquant le fait que
cette nouvelle contribution ne concernait ni les mêmes contribuables ni
la même assiette. Le droit a déduction est également
absent. En conséquence, les juges du Palais-Royal considéraient
que la mesure ne portait pas atteinte à l'autorité de chose
interprétée de l'arrêt de la Cour.
« Cette solution laisse dubitative une partie de la
doctrine. Selon le Professeur Denys Simon, l'aveu même des
autorités françaises, selon lequel la nouvelle contribution est
destinée à effacer les effets de l'annulation de la
première contribution, pourrait conduire à conclure quant
à l'existence d'une « validation déguisée », ou
plus exactement une « mesure d'effet équivalent à une
validation », qui priverait d'effet un jugement définitif et
exécutoire de la Cour. Le même auteur ajoute que, dans ces
conditions, peut-être aurait-il été plus judicieux pour le
Conseil d'État de saisir la Cour d'une question préjudicielle
afin qu'elle se prononce sur une situation tout fait inédite ?
»129.
En conséquence, dans cette chronique judiciaire, le
Conseil d'État a fait preuve de désinvolture refusant d'admettre
complètement la primauté du droit de l'Union par la
méconnaissance de l'autorité d'une décision de la Cour.
127 CJCE, 8 juillet 1999, Baxter, C-254/97
128 Loi de financement de la sécurité sociale
n° 991140 du 29 décembre 1999
129 A. Rigaux et D. Simon, « Summum Jus, Summa injuria
... » à propos de l'arrêt du Conseil d'Etat du 3
décembre 2001 SNIP, Europe, avril 2002, p. 7
Ibid127
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