![]() |
L’harmonisation des systèmes fiscaux des états membres par la cour de justice de l’union européenne.par Dylan Viry Université de Lorraine - Master II Procédures et fiscalité appliquée 2019 |
B - Une harmonisation effectuée au nom du principe de non-discrimination« L'objectif de la non-discrimination est de permettre à tous les individus de pouvoir accéder, de manière égale et équitable, aux opportunités qu'offre la société. Ce principe signifie essentiellement que les individus qui se trouvent dans des situations similaires doivent être traités de manière similaire et non de manière moins avantageuse, uniquement parce qu'ils possèdent une caractéristique particulière « protégée »111. 107 Ibid107 108 CJCE 13 décembre 1989, Corsica Ferries France, C-48/ 89, pour la circulation des marchandises ; CJCE, 14 décembre 2006, Denkavit, C-170/ 05, pour la liberté d'établissement 109 Ibid107 110 CE, 11 décembre 2006, de Groot, 234560 111 Europa, Page d'accueil EUR-Lex Synthèses de la législation de l'UE Glossaire des synthèses https://eur-lex.europa.eu/summary/glossary/nondiscrimination_principle.html?locale=fr 39/101 L'article 110 alinéa 1er du TFUE prévoit l'interdiction des discriminations qui pourraient être existantes dans les politiques mises en place par les États membres. « Les citoyens européens peuvent exercer leur droit de recours judiciaire en cas de discrimination directe ou indirecte, tout particulièrement s'ils sont traités différemment dans des situations comparables ou si un traitement désavantageux ne peut être justifié par un objectif légitime et proportionné »112. La notion de non-discrimination est entendue par la Cour, en matière fiscale, de manière extensive. En ce sens, « selon une jurisprudence constante, l'article 90 CE113 doit recevoir une interprétation large, de manière à permettre d'appréhender tous les procédés fiscaux qui porteraient atteinte, que ce soit de façon directe ou indirecte, à l'égalité de traitement entre les produits nationaux et les produits importés. L'interdiction qu'il édicte doit donc s'appliquer chaque fois qu'une imposition fiscale est de nature à décourager l'importation de biens originaires d'autres États membres au profit de productions intérieures114 ». Dans cette définition donnée par la jurisprudence de l'article 110 TFUE, la Cour adopte une interprétation systémique, appréciant l'article dans son ensemble plutôt qu'en le scindant alinéa par alinéa. Le principe de non-discrimination est fondamental en droit fiscal de l'Union, car il permet la neutralité des transactions économiques115. Le principe de non-discrimination en raison de la nationalité est d'une importance essentielle dans l'ordre juridique de l'Union, car il est le pilier de la réalisation du marché commun et le protecteur du libre exercice des grandes libertés économiques. 112 Ibid107 113 Article 90 CE : « Aucun État membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres États membres d'impositions intérieures, de quelque nature qu'elles soient, supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits nationaux similaires. En outre, aucun État membre ne frappe les produits des autres États membres d'impositions intérieures de nature à protéger indirectement d'autres productions ». 114 CJCE, 8 novembre 2007, Stadtgemeinde Frohnleiten et Gemeindebetriebe Frohnleiten, C-221/06, CJUE, 19 décembre 2013, C-437/12, 115 CJCE, 27 février 1980, C-168/78 ; CJCE, Commission. c/ France, C-169/78 ; CJCE, Commission c/ Italie, C-171/78 JCl. Europe Traité, fasc. 1610 40/101 « L'avènement, dans le Traité de Maastricht, d'une citoyenneté européenne dont l'un des principaux attributs est le droit à la non-discrimination en raison de la nationalité a cependant ravivé le caractère fondamental de ce principe : en effet, en particulier grâce à une jurisprudence volontariste, ce principe va devenir la clé de voûte non seulement des objectifs économiques de la Communauté et de l'Union mais également du projet politique communautaire »116. Le principe de non-discrimination reste toutefois un principe invoqué à titre subsidiaire. A cet effet, il ne peut être invoqué que sous couvert d'une autre norme émanant des traités. Seul, il est inefficace. Il doit être couplé comme moyen de défense avec les grands principes économiques que sont la liberté d'établissement, la libre prestation de service, la libre circulation des capitaux, la libre circulation des marchandises ou encore la libre circulation des personnes. Et même au sein des grandes libertés « il convient d'opérer ici une distinction entre la libre circulation des marchandises et la libre circulation des personnes. En effet, la Cour a très tôt estimé que les mesures discriminatoires n'étaient pas les seules entraves possibles à la libre circulation des marchandises, alors que le concept de discrimination a longtemps été central en matière d'entrave à la libre circulation des personnes »117. L'harmonisation par la non-discrimination est au coeur de la protection des grandes libertés de l'Union. Ce principe est, comme rappelé ci-dessus, très souvent attaché à une liberté ; tel est notamment le cas des mesures à effet équivalent à des restrictions quantitatives ou des taxes à effet équivalent à des droits de douanes. Il est en ce sens interdit pour les États de mettre en oeuvre de telles politiques commerciales ayant un impact sur les échanges intracommunautaires. 116 B. Favreau, La Charte des droits fondamentaux après le Traité de Lisbonne, Les spécificités du principe de non-discrimination dans le droit de l'Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 125, 2010 https://www.academia.edu/5807052/Les_spécificités_du_principe_de_non-discrimination_dans_le_droit_de_l_Union_européenne 117 Ibid117 Le principe de non-discrimination doit toutefois être relativisé dans son importance. En effet, s'il constitue un cheval de bataille dans les problématiques liées au droit de l'Union et aux interactions que ce dernier possède avec le droit des États membres, il reste marginalisé dans sa force contraignante. Le principe de non-discrimination se retrouve donc particulièrement éclipsé par la libre circulation. L'analyse de ce principe ne peut se faire seule. Au contraire elle doit être effectuée au regard de tous les autres droits. Le problème est qu'il dispose en conséquence d'une force juridique moindre. Toutefois, il ne faut pas non plus laisser entendre que ce principe n'est pas contraignant, car il est une excellente justification face à des entraves ou à des discriminations à rebours. Concernant les entraves à la libre circulation des marchandises, la Cour adoptait une approche plus stricte, choisissant de qualifier la taxe d'effet équivalent à un droit de douane sans prendre réellement en compte le principe de non-discrimination118. Ainsi que le note D. Martin, « la jurisprudence relative aux taxes d'effet équivalent reste unique en ce que le concept de discrimination n'y joue aucun rôle »119. Le concept de non-discrimination prouve ainsi l'entièreté de ses limites et ne joue pas réellement de rôle essentiel dans la protection des libertés économiques qui se suffisent à elle-même. Le principe est limité dans son appréhension juridique, dans son pouvoir de contrainte. Il reste toutefois fortement utilisé par la Cour et reste tout de même un principe fondateur du droit intégrationiste de l'Union par la prohibition des comportements différenciant les individus, les biens. 41/101 118 CJCE, 1er juillet 1969, Commission c. Italie, C-24/68 119 D. Martin, op. cit., p. 45. Ibid117 42/101 Ab initio, la Cour disposait d'une jurisprudence stricte en matière de non-discrimination, interdisant celles qui n'étaient pas prévue comme justifiée au sens des traités. Cette jurisprudence s'appliquait même lorsqu'il s'agissait d'une discrimination indirecte120. Or depuis les années 90, la Cour admet davantage l'emploi par les États de justifications qui ne sont pas couvertes par les traités, et cela bien qu'il puisse s'agir de discrimination directe121. « Le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, principe fondamental pour la réalisation du marché intérieur, a donc progressivement perdu son caractère central : assez rapidement en matière de libre circulation des marchandises, plus tardivement en matière de libre circulation des personnes. Mais au moment même où le principe de nondiscrimination en raison de la nationalité perdait son caractère véritablement central en matière de libre circulation des personnes, l'instauration d'une citoyenneté européenne contribuait à le replacer au coeur de la construction communautaire, non pas tant en ce qu'il est nécessaire à l'intégration économique qu'en ce qu'il est au fondement de l'intégration politique »122. Ainsi, le principe de non-discrimination relève parfois davantage de la justification politique voire morale. Il a connu un déclin relatif dans la protection des grandes libertés économiques qui ont pris, décision après décision, leur indépendance. Ainsi, le principe de non-discrimination demeure un principe subsidiaire qui, s'il n'est pas couplé avec d'autres droits de l'Union, révèle toutes ses limites. S'il résulte que le principe de non-discrimination dispose d'une légitimité toute particulière, permettant d'implémenter lentement, mais sûrement, les principes européens au centre des droits nationaux, les frondes des juridictions nationales existent, à défaut d'être nombreuses. 120 « La discrimination indirecte est définie comme la situation dans laquelle une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantagerait particulièrement des personnes par rapport à d'autres, pour des motifs prohibés, comme le sexe, à moins que cette disposition, ce critère, ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires » Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations : Lutte contre les discriminations https://www.senat.fr/rap/r07-252/r07-2523.html 121 Ibid117 122 Ibid117 43/101 |
|