1.3.3. LA PÉRIODE POST COLONIALE
Au cours de la période située entre 1950 et
1960, l'Afrique connut une nouvelle étape dans l'histoire de la
traduction. On pratiquait à cette époque trois types principaux
de traduction : la traduction religieuse, la traduction littéraire et la
traduction administrative (pour
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la fonction publique). Les missionnaires européens
continuaient d'apprendre les langues locales afin de poursuivre leur travail
d'évangélisation, surtout pour pouvoir traduire la Bible
et d'autres textes religieux. Jusqu'à présent, la Bible
a été traduite en plus de 20 langues camerounaises. Les
mouvements évangéliques, surtout américains, et des
groupes bien organisés et subventionnés tels que The American
Bible Society dont la mission est de traduire les évangiles en
langues africaines ou en langues hybrides de grande diffusion, ont
continué de sillonner le continent. Le célèbre
linguiste-traductologue Eugene Nida est une figure de proue de cette
organisation, et a, lui-même, participé à ces
activités de traduction en Afrique (Nama 1993 : 420).
Parmi les organisations philanthropiques qui ont joué
un rôle prépondérant dans l'histoire de la traduction et de
l'interprétation au Cameroun, il y a la Summer Institute of
Linguistics (SIL), fonctionnelle depuis 1969. Avec un équipement
sophistiqué et un arsenal de traducteurs, linguistes et
bénévoles, cette organisation a réussi à publier
plus de traductions de la Bible ou de ses sections que n'importe
quelle autre organisation dans toute l'histoire de la traduction au Cameroun.
Par ailleurs, l'Alliance biblique a beaucoup oeuvré dans le domaine de
la traduction et de la publication des livres religieux en langues
camerounaises.
C'est le deuxième concile du Vatican, en 1965, qui va
marquer une étape importante dans le développement de la
traduction et de l'interprétation dans l'église post-coloniale.
L'avènement de l'inculturation va rapprocher l'église des
cultures et langues africaines. Cette inculturation ou africanisation de
l'église passait inévitablement par la traduction et
l'interprétation. La messe, qui était dite en latin, pouvait
désormais être faite en langues locales, de même que les
cantiques auparavant tous exécutés en latin. La traduction en
langues locales va vraiment connaître son essor dans la seconde
moitié du XXe siècle à la fin des 1960.
L'abbé Théodore Tsala, l'une des figures importantes de
l'époque, traduisit certains poèmes épiques du Mvet de
l'ewondo au français, ainsi que certains livres de la Bible en
ewondo. Ce projet de traduction de la Bible en ewondo a connu la
participation des noms comme le père Nicholas Ossama, les Abbés
Anaya Noah, Kuma et Léon Messi. Par ailleurs, la traduction de la
Bible en langue bulu a été conduite par l'abbé Ze du
séminaire de Nkolbisson (à Yaoundé). Pechandon Rodolphe
traduit la Bible en langue bamoun en 1969 (Nama,1993). Il faut
cependant noter que la plupart des oeuvres à succès ont
été traduites par des traducteurs étrangers. À
l'exemple des oeuvres de Ferdinand Oyono par John Reed, de Francis Bebey par
Joyce Hutchinson, et de Mongo Beti par Gerald Moore.
Pendant la période coloniale, les premiers
écrivains qui s'étaient démarqués par leurs
aptitudes à manier plus d'une langue étaient recrutés
comme écrivains-interprètes. Ils servaient à la
fois comme écrivains, administrateurs, traducteurs et
interprètes. Charles
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Atangana Tsama, en l'occurrence, est célèbre
pour le rôle prépondérant qu'il a joué dans la
traduction et l'interprétation en terre ewondo. Il a joué le
rôle de médiateur linguistique entre les porteurs et les
Allemands, puis il sera recruté en 1900 comme secrétaire
infirmier et interprète béti à Victoria (Kribi). À
partir de 1902, il sera envoyé à Yaoundé comme
interprète. Il va servir, tour à tour, Von Puttkamer, Zenker et
Dominik. C'est ce dernier qui va lui permettre d'enseigner la langue ewondo
à la chaire de linguistique africaine de l'Université de
Hambourg. Il était devenu un personnage incontournable en terre
béti ; d'où sa nomination comme chef supérieur des ewondo
et Bene. Il faut aussi noter les rôles joués par Ngosso, fille
d'Onambelé Ela, comme interprète à la station de Yaunde,
et Embolo, fille du chef Tsungimbala, qui a contribué à la
rédaction du livre de Georg Zenker Das Jaunde Land par sa
traduction des moeurs ewondo et des messages du tam-tam. Emmanuel N. Chia,
Joseph Che Suh (2009). Plusieurs années plus tard, à l'aube des
indépendances, la classe des « écrivains
interprètes» a presque disparu. L'une des figures marquantes des
écrivains traducteurs de la période post-indépendance est
le regretté Bernard Fonlon dont la traduction de l'hymne national du
Cameroun du français vers l'anglais en 1961, bien que
controversée par certains traducteurs et pseudotraducteurs, a
entrainé la révision de la version française.
Le Cameroun est un bon exemple dans la manière dont la
formation des traducteurs a évolué depuis les
indépendances. Ayant adopté l'anglais et le français comme
langues officielles dès l'unification de ses parties orientale et
occidentale en 1972, il est le seul pays africain avec deux langues
européennes comme langues officielles. Souvent comparé au Canada
où le français et l'anglais sont aussi langues officielles, il
est donc souvent cité comme le centre de la traduction entre langues
européennes en Afrique.
Pendant des années, les traducteurs camerounais ont
été formés à l'étranger, en Europe et en
Amérique du Nord. Ce n'est qu'en 1985 que la toute première
école supérieure de formation des traducteurs et
interprètes (ASTI) fut créée à Buea. Il y a
quelques années, les programmes de formation en matière de
traduction se sont multipliés au Cameroun. L'un des plus importants est
celui de l'Université de Yaoundé I, qui propose un Master
professionnel en traduction. Les produits de ces écoles qui travaillent
pour la plupart pour l'État dans les cellules de traduction à la
Présidence de la République, l'Assemblée nationale et dans
les ministères et les sociétés publiques font
généralement un travail de routine. En d'autres mots, leur esprit
de créativité est endormi par la même terminologie
officielle, les mêmes textes et l'obligation de rester sur les
sentiers battus. Mais la nouvelle génération des traducteurs,
ceux qui se lancent en freelance, dont la grande majorité est jeune,
fait toute la différence.
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Contrairement à la génération
précédente qui est restée assez traditionnelle avec du
papier, un stylo et un dictionnaire, la nouvelle génération est
à la pointe de la technologie, car l'exigence est maintenant à
une connaissance plus poussée de l'outil informatique et des logiciels
d'aide à la traduction, des réseaux et agences de traduction, et
bien entendu une maitrise parfaite de l'internet. Il n'est donc pas surprenant
de constater que plusieurs traducteurs camerounais et africains
préfèrent travailler pour les organisations internationales et
non gouvernementales. En effet, avec la mondialisation du marché,
l'internet et les nouvelles technologies, l'industrie langagière s'est
développée bien au-delà du travail habituel du traducteur
et englobe toutes sortes d'activités liées aux services de
communication. On y trouve actuellement des informaticiens, des localisateurs
et des terminologues et spécialistes en intelligence artificielle. C'est
tout à fait ordinaire de nos jours de voir un jeune traducteur gagner
des contrats de traduction en ligne offerts par des compagnies ou des agences
en dehors de l'Afrique.
Le statut du traducteur/interprète a été
complètement transformé depuis l'ère des griots. Alors que
les griots de l'époque précoloniale étaient à la
fois vénérés et craints, le traducteur d'aujourd'hui est
perçu plutôt comme un simple fonctionnaire désabusé
qui travaille sans reconnaissance pour son labeur. Il arrive assez
fréquemment que l'on confonde traducteurs et bilingues. Il en est de
même pour les pseudo interprètes dans les églises dites de
réveil. Il suffit de pouvoir s'exprimer en deux ou trois langues,
généralement le français, l'anglais ou le pidgin pour
s'aventurer dans l'interprétation.
Il faut cependant remarquer que malgré le riche
passé du Cameroun en matière de traduction, la mise sur pied des
banques terminologiques accuse toujours un retard considérable. Seules
la SIL et l'Alliance biblique constituent, au fur et à mesure, leurs
banques terminologiques dans les domaines où elles exercent.
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