1.3.2. LA PÉRIODE COLONIALE
Elle débute vers le XVe siècle et
s'achève avec les mouvements de décolonisation vers les
années 1960. L'époque coloniale fut particulièrement
marquée par l'avènement de l'évangile au Cameroun. Les
traducteurs naturels qui jadis jouaient un rôle prestigieux et
privilégié dans la société étaient alors
relégués au rang de guides et de médiateurs de leurs
patrons européens. La traduction et l'interprétation n'ont jamais
été tant sollicitées pendant cette période. Victor
Julius Ngoh (1988) précise que les missionnaires baptistes sont
arrivés au Cameroun en 1843. Joseph Merrick, Alexander Fuller, Alfred
Saker, John Clarke ont marqué de manière significative l'histoire
de la traduction pendant la période coloniale. Le Jamaïcain Joseph
Merrick est considéré comme l'un des pionniers de la traduction
et de l'interprétation au Cameroun. Il a, entre autres, traduit le
Nouveau Testament en Isubu et la Bible en langue
duala et contribua à l'élaboration d'un glossaire terminologique
duala-anglais.
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Alfred Saker, pour sa part, est arrivé à
Limbé (Victoria à l'époque) en 1858. Il étudia la
langue Duala et traduisit la Bible en celle-ci, bien que sa version fût
plus tard controversée parce que jugée trop littérale. Sa
version du Nouveau Testament fut publiée en 1862 et
l'Ancien Testament en 1872.
En 1906 les travaux du Dr Adolf Vielhauer, aidé par la
Camerounaise Élisa Ndifon, ont abouti à la traduction et la
publication de la Bible en langue Mungaka de Bali dans le nord-ouest
du Cameroun en 1961. Les premières traductions en langue ewondo sont
l'Suvre d'Herman Nekes, auteur de Vier Jahre in Jaunde, publié
en 1905. Ses travaux remarquables en traduction en pays Beti ont
abouti à la publication de la catéchèse en ewondo :
Katokismus vikariat-apostolis ya Kamerun ayegle bekristen ye ewondo en
1910. Dans la région côtière, Isaac Moune Etia,
écrivain et interprète auprès de l'administration
coloniale, traduisit en langue Duala, en 1848, l'évangile selon
Matthieu, sous le titre Kalats Mateo, puis le Nouveau Testament
en 1862, soit 27 livres différents, et enfin l'Ancien Testament
Betiledi Kalati ya Loba Mbu a Koan, soit 39 livres en 1872. De
manière générale, les langues dans lesquelles les
missionnaires ont travaillé sont souvent considérées comme
des « langues à diffusion limitée» par la
Fédération internationale des traducteurs. Il faut cependant
noter que Vielhauer défendait la théorie selon laquelle un texte
doit subir des modifications liées au contexte de la langue
d'arrivée pour être bien compris. Pour lui, la traduction devient
une interprétation dans ce cas. Pour d'être complètement
compris dans les langues d'arrivée, le nom des animaux et des plantes
mentionnées dans la Bible et méconnues dans la culture
camerounaise ont été substitués par des
éléments plus proches de notre réalité.
Bernard Ombga (1985 :14-15) affirme que les missionnaires
catholiques allemands ont aussi apporté une énorme contribution
dans le domaine de la traduction malgré leur bref séjour au
Cameroun. Monseigneur Vogt, l'un des plus célèbres, avait appris
l'ewondo et avait lui-même formé rigoureusement les
catéchistes à la traduction et à l'interprétation.
Il faut aussi préciser que les missionnaires allemands furent les
pionniers dans la formation des traducteurs et interprètes.
En 1888, trois jeunes gens de Douala, qui avaient pour nom
Akwa Mpondo, Timba et Mbangué étaient envoyés en Allemagne
par un commerçant allemand établi à Douala pour y
apprendre le métier de boulanger. C'était le tout premier groupe
d'étudiants
camerounais envoyés en Allemagne... André
Mbangué c'était désormais son nom, était le premier
chrétien catholique du Cameroun.
[...] Dès que nous entendions parler de leur
arrivée, raconte le père Walter, nous les invitâmes
à venir à Marienberg et à Edéa. Ils nous rendirent
grands services pour la traduction en langue duala du catéchisme et de
l'Évangile, ainsi Andréas se rangea-t-
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il aussitôt aux côtés des missionnaires
et des premiers apôtres camerounais dont il devint le chef de file pour
travailler avec eux à l'évangélisation de ses
frères.
Avec la création du petit séminaire à
Einsieldeln (Sasse) en 1890 par les pères Pallotins conduits par
monseigneur Vietter, les missionnaires allemands ont marqué vraiment
l'évolution de l'interprétation. À leur départ vers
1915, près de 223 catéchistes étaient formés parmi
lesquels: Joseph Ayissi, Pierre Mebe et Pius Ottou. Ceux-ci ont oeuvré
dans la traduction de nombreux livres religieux dont le Missel, un
livre de prières catholiques, de l'allemand en ewondo.
Le Sultan Njoya du royaume bamoun quant à lui a
posé une marque indélébile dans l'histoire de la
littérature et de la traduction au Cameroun. Son oeuvre s'est
étendue de l'invention de l'écriture Shümom, à
l'invention d'une imprimerie. Inventions qui lui ont permis de coucher par
écrit, de traduire et transcrire des textes concernant les rites, les
coutumes, les traditions et même la pharmacopée traditionnelle
bamoun.
Patrice Kayo (1978 :30) écrit:
La littérature camerounaise est née en
langue bamoun, et c'est le sultan Njoya qui en est le pionnier. Pour
rédiger ses oeuvres, il a inventé sa propre écriture. On
peut situer la naissance de cette littérature en 1895, date de
l'invention de l'écriture bamoun... Aidé de plusieurs notables de
son royaume, il créa les premiers signes. Chaque signe
représentait un mot entier. Il aboutit ainsi à plus d'un millier
de signes différents... il se remit à l'oeuvre et après
une vingtaine d'années, des 1300 signes du début,
l'écriture bamoun n'en comptait plus qu'une trentaine...
En bref, Njoya est pour la traduction au Cameroun ce que sont
Cordiero da Matha et
Okot p'Bitek pour la traduction respectivement en Angola et en
Ouganda.
La période coloniale fut également
marquée par le métissage des langues européennes avec les
langues locales, produisant ainsi des versions créolisées ou
hybrides des langues européennes. Le Pidgin English, avec toutes les
caractéristiques d'une langue à part entière, en est un
exemple concret. Les missionnaires catholiques traduisirent ainsi des
prières en Pidgin et plusieurs auteurs créatifs ont
utilisé des mots Pidginisés dans leurs oeuvres pour atteindre un
plus large lectorat.
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