5.8. DIFFICULTÉS DANS LA TRADUCTION DES CHANTS
La traduction des chants n'est pas du tout facile. Plusieurs
théoriciens pensent que la traduction des chants est un exercice
extrêmement difficile. Grandmont cité par Johan Franzon (2005)
dans son article compare cette tâche à celle d'un moine
Bénédictin.
Quand on traduit un chant, la musique du chant original est un
élément essentiel du fait de son universalité. Elle fait
partie des paramètres qui garantissent la chantabilité. Autrement
dit, la traduction obtenue doit être chantable. D'après Johan
Franzon (2008), la question primordiale à se poser c'est de savoir si la
traduction est aussi naturellement chantable que le texte original.
« is the translation going to be singable or not? If the purpose
is simply to understand a foreign song's lyrics, a semantically close, prose
translation will do. But if a song is to be performed in another language, the
assignment calls for a 'singable' target text.» Une traduction est bien
faite quand le texte remplit la fonction visée pour la traduction. Le
traducteur doit aspirer à une proximité contextuelle.
The conclusion, once again, is that function and
performance are of primary importance for singable song translation and that
respect for the original lyrics must be shown, or assessed, contextually: in
relation to both music and intended function. [...( It is clear that an
assessment of the fidelity of a singable translation
103
should be based not so much on word-by-word comparison,
but on contextual appropriateness.
Peter Low (2005) indique que la difficulté
réside sur la question de savoir si le traducteur doit se concentrer sur
la musique ou sur les paroles. Une chanson devrait être facile à
chanter pour celui qui l'exécute. Il faut que les notes musicales
tombent naturellement sur les mots du texte d'arrivée. Le sens, quant
à lui renvoie à l'idée du texte original. Dans les deux
textes, le message doit être le même. Le chant doit aussi
être naturel. Dans la traduction des chants du français vers le
shüpamom, nous avons relevé que deux aspects importants pour le
naturel sont le registre et l'ordre des mots. Si le chant n'est pas naturel, il
devient bizarre, voire ridicule. Pour le rythme, c'est le nombre de syllabes
qui est pris en compte. En traduction musicale, il est nécessaire que le
nombre de syllabes dans le texte original soit égal à celui du
texte d'arrivée. Les rimes sont toutes aussi importantes. Cependant, le
traducteur est libre d'en créer de nouvelles pour rester naturel. Nous
sommes d'accord sur un point: la fonction de la traduction. Le traducteur peut
donner la priorité à un aspect plutôt qu'à un autre.
Il doit être flexible sur certains aspects et il doit prendre des
libertés. Ces libertés le font parvenir aux meilleures
versions.
When translating a song, keep your eyes fixed on the
skopos - the function or purpose
that your TT must fulfil. Do not consider a priori that
any one feature of the ST is sacrosanct and must be perfectly retained. To
consider anything sacrosanct a priori (whether rhyme, metaphor, syllabicity or
whatever) is to accept a rigid constraint which may lead to great losses
elsewhere. (..) A translator working by this principle attempts to score highly
in the overall effect of the text, without insisting on unbeatable excellence
on any single criterion.
On peut choisir entre différentes possibilités
pour traduire les chants. Si les paroles d'un chant sont les plus importantes,
on peut par exemple choisir d'adapter la musique aux paroles. Ou quand la
musique est plus importante que les paroles, on peut choisir de traduire les
paroles plus librement. Adapter la musique, par exemple en ajoutant de petites
notes, peut être minime. Quand les changements ne touchent pas le rythme
et n'interrompent pas les arrangements parallèles ou les phrases
musicales, peu de personnes remarqueront la différence.
La traduction des cantiques du français vers le
shüpamom nécessite une certaine liberté et une
créativité dans le respect du message religieux du texte. Pour
que la traduction des cantiques remplisse ses objectifs, le traducteur a pris
en considération le groupe cible et a choisi d'adapter la traduction
à celui-ci. Autrement dit, il a dû faire une traduction
104
naturellement compréhensible pour les auditeurs ou les
interprètes. Une autre difficulté est celle des termes religieux.
La plupart des paroles des chants sont basées sur les textes bibliques.
Le but étant la louange, il est évident qu'il faut rester assez
proche de la terminologie biblique. Nida (1998) présente des
préférences dialectales ou terminologiques dans certaines
communautés religieuses:
Socioreligious dialects represent typical ways in which
religious constituencies employ in-group language. In English some people much
prefer the thou/thee terminology, especially in prayers and biblical poetry,
and they may even preserve
these distinctions in social relations among church
members. (& ) The use of certain key theological terminology is also a
crucial element in socioreligious dialects, for example eucharist vs. Lord's
Supper, priest vs. pastor, adherents vs. members, ecumenical vs.
interdenomination and sacrament vs. sacred rite.
105
En bref, la traduction musicale permet à la langue
d'arrivée de s'enrichir avec de nouvelles valeurs sonores, de nouveaux
genres musicaux. Par conséquent, pour traduire la musique, le traducteur
doit prendre en compte les éléments musicaux. À
défaut d'avoir des connaissances et des compétences
théoriques et pratiques dans l'art musical, le traducteur doit
inévitablement collaborer avec des personnes ressources ayant des
aptitudes musicales prouvées (compositeurs, musicologues&) Il devra
donc associer ces connaissances musicales aux procédés classiques
de traduction. L'aspect chantabilité est probablement le plus difficile
dans la traduction des chants. On doit considérer entre autres le
rythme, la mélodie, l'intonation, les accents et parfois les rimes. Ces
aspects imposent des difficultés pour la traduction. En outre, le
traducteur veut aussi que les paroles aient le même sens que le texte
original, en vue de créer l'impression que la musique a
été faite pour le texte traduit. Prendre en compte tous ces
aspects et faire une traduction très proche du texte original est une
tâche difficile. C'est pourquoi beaucoup de théoriciens
conseillent de viser le but ou la fonction de la chanson.
CONCLUSION GÉNÉRALE
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Au terme de notre étude qui portait sur
l'historicité et la traduction musicale dans Yùopnké
pùen Kristo, nous avons mis en exergue les facteurs qui ont
contribué à la traduction des chants du français au
shüpamom. Notre corpus était constitué de dix chants
tirés de Yùopnké pùen Kristo. Nous
voulions savoir si les théories de la traduction musicale sont
applicables au shüpamom. Au regard de cette problématique, nous
avons formulé des hypothèses telles que les paramètres
poétiques constituent l'obstacle majeur dans la traduction des chants
entre deux langues de statuts différents, et que pour arriver à
des cantiques naturels et chantables, des changements structurels se sont
imposés.
Dans l'optique de valider ou d'infirmer nos hypothèses,
nous avons divisé notre travail en cinq chapitres.
Le premier chapitre nous a permis de présenter de
façon synoptique l'évolution de la traduction à travers
l'histoire. Nous avons spécifié le cas du Cameroun et du pays
bamoun, pour mieux comprendre comment la traduction a influencé
plusieurs civilisations tant sur le plan culturel que sur le plan
intellectuel.
Le chapitre 2, quant à lui, a contextualisé
l'origine et l'usage de cantiques . Nous y avons aussi précisé
les caractéristiques de la musique et présenté une revue
de la littérature sur le sujet de la traduction musicale. Nous y avons
fait l'économie des travaux que nous avons parcourus dans ce domaine.
Dans le chapitre 3, nous avons mis l'accent sur les facteurs
clés qui influencent la traduction des chants religieux. La
procédure méthodologique que nous proposons est constituée
d'un ensemble d'éléments à prendre en compte dans la
traduction d'un cantique. Les facteurs concernés sont: les
paramètres théoriques, linguistiques, culturels, religieux,
poétiques, et pratiques. En d'autres mots, c'est une démarche
scientifique qui permettra de pallier les difficultés liées
à la traduction des chants religieux en langue bamoun. Les
théories qui ont guidé notre analyse sont: la théorie
interprétative, la théorie du SKOPOS, et le Pentathlon
principle.
Le chapitre 4 a présenté un essai d'analyse
quantitative et qualitative de la traduction français-shüpamom dans
Yùopnké pùen kristo, pour préciser les
particularités de la traduction musicale entre deux langues de statuts
différents.
Enfin dans le chapitre 5, nous avons appliqué les
théories de traduction musicale à deux cantiques tirés de
Sur les ailes de la foi. Nous y avons présenté une
traduction non chantable des textes, puis une version chantable sur laquelle
nous avons étudié les critères de sens, rime, naturel,
rythme et chantabilité.
108
Notre analyse nous a permis de voir que le choix des mots est
primordial dans la traduction des chants. Dans la traduction des cantiques du
français au shüpamom, en l'occurrence, il a fallu être
très flexible en matière de choix lexicaux. Il apparait
clairement que le shüpamom est plus analytique que le français. En
terme de rythme, le shüpamom utilise des mots relativement plus courts
pour garder le même nombre de syllabes. Cet équilibre joue un
rôle important dans la métrique des chants. Nous avons aussi
constaté que la traduction littérale est très peu
utilisée, et que l'addition dans le texte cible et l'omission dans le
texte source sont de phénomènes rares. Toutefois, il nous a
été donné de constater une forte utilisation d'expressions
imagées, dans la langue source. Pour traduire ces métaphores, il
a fallu utiliser plusieurs stratégies à savoir: la traduction
littérale, la paraphrase explicative, l'innovation créative,
l'équivalence culturelle, et l'élision totale. En ce qui concerne
la rime, nous avons remarqué que c'est le critère le plus
difficile à respecter. La rime dans le texte d'arrivée ne peut se
forcer de suivre la distribution de celle du texte de départ, le texte
d'arrivée doit pouvoir bâtir son propre équilibre musical.
Dans la traduction en shüpamom, le traducteur a réalisé des
rimes intuitives. Le défi est d'arriver à une musicalité
naturelle. Les cas où le traducteur a déplacé des vers
sont assez rares. Mais les chants ont été adaptés en
respectant le sens de l'original, et pour permettre une exécution assez
naturelle. Enfin, le pourcentage d'adaptation dans les chants traduits est de
72% soit les 3/4 du corpus.
Au vu des résultats de notre analyse, nous pouvons
confirmer notre hypothèse générale. La musique est
universelle et la traduction est une science multidisciplinaire. Par
conséquent, les théories de traduction et de traduction musicale
s'appliquent à toutes les langues, et aussi bien au shüpamom. Les
éléments les plus importants dans la traduction de
Yùopnké pùen kristo sont: le sens, la
chantabilité, le rythme et le naturel. De plus, les paramètres
poétiques constituent un réel obstacle dans la traduction des
chants entre deux langues hétérogènes. Dans le cas du
shüpamom, la rime est l'élément le plus difficile, voire
impossible à rendre. En référence à la
théorie de Low, on ne peut pas équilibrer les cinq
critères de la traduction musicale. En shüpamom, la priorité
est donnée au sens, au rythme, à la chantabilité et
à la fonction que le chant va remplir, celui de la louange
chrétienne. Pour arriver à des cantiques chantables, le
traducteur a dû opérer des changements sur le plan structurel du
chant. Ces changements concernent principalement la structure des phrases et
les références culturelles et le génie de la langue. De ce
fait, les chants que nous avons sélectionnés dans
Yùopnké pùen kristo sont des adaptations.
La difficulté que nous avons rencontrée au cours
de notre traduction était beaucoup plus au niveau du choix des mots qui
correspond aux syllabes du vers-source. En outre, il est relativement difficile
de recréer les rimes dans la traduction des chants. Nous avons
pensé que
109
la rime est un facteur très important dans
l'esthétique de la poésie occidentale. Il n'est pas très
commun de trouver des rimes, même dans les chansons populaires en langue
bamoun. Toutefois nous restons dans la logique selon laquelle toute traduction
est perfectible.
Nous n'aurons pas la prétention d'avoir fait le tour
complet de la question, ni d'avoir apporté des réponses
exhaustives aux questionnements suscités par ce sujet. Le thème
qui a constitué le sujet de notre étude reste très ouvert
pour de futures recherches. Les aires culturelles duala,
bamilékés et bulu possèdent aussi des recueils de chants
dont les traductions sont issues des mêmes textes originaux. Les aspects
d'écart sémantique entre ces différents textes pourraient
être développés dans le cadre d'exercices similaires
futurs. De même, la portée didactique de cet exercice dans le
champ de l'apprentissage des langues nationales pourrait être
explorée et exploitée.
BIBLIOGRAPHIE ETSITOGRAPHIE
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