4.3.5. LES RIMES
Le Petit Robert définit la rime comme «
une disposition de sons identiques à la finale de mots placés
à la fin de deux unités rythmiques; élément de
versification, procédé poétique que constitue cette
homophonie.» Elle est un accent phonétique. La rime ne saurait se
contenter de sonorités banales et qui passent inaperçues, sans
trahir sa mission qui est de se faire entendre, de ponctuer le vers soit en
frappant soit en charmant l'oreille. Dans les compositions musicales, la rime
est un élément esthétique. Elle rend le chant
agréable à l'écoute. La disposition des rimes varie dans
les chants.
La question de la rime est une question qui a
traditionnellement eu une très grande influence en traduction musicale.
Dans le cas d'une traduction entre langues homogènes, beaucoup de
traducteurs cherchent à maintenir la majorité des rimes qui se
trouvent dans le texte originel; ce qui a eu souvent pour conséquence
des pertes considérables au niveau de la chantabilité ou du
naturel. Le principe d'équilibre exige une certaine flexibilité
quant à la gestion des rimes. Le traducteur pourra, par exemple, opter
pour la rime pauvre, telle que l'assonance et la consonance. En acceptant la
rime pauvre comme possibilité, le traducteur obtient toute une gamme de
possibilités pour éviter une grosse perte sémantique. Une
possibilité est de réduire le nombre de rimes ou d'utiliser des
rimes proches ou même de changer le schéma des rimes (par exemple:
AABB en ABAB ou AAABBB). Low (2005) ne
35
30
25
20
15
10
0
5
20 20 20 20
4
Rimes du texte source Rimes du texte cible
4
7
0
16
6
20 20
5
4
24 24
18 18
32
16
La figure 7 ci-dessus présente l'utilisation des rimes
dans les textes source et cible.
79
rejette pas les changements raisonnables dans la
fréquence ou la qualité de la rime et le compte des syllabes il
dit plutôt :
Yes, I will have some rhyme. But I will seek some margin
of flexibility... In this case the rhymes won't have to be as perfect or
numerous as in the ST, and the original rhyme-scheme need not be observed. I
will try to get a top score, but not at too great a cost to other
considerations (such as meaning).
Au cas où la chanson spécifique demanderait une
autre stratégie, le traducteur peut cependant changer un peu
l'équilibre. Peter Low (2005) fait une distinction entre les chansons
logocentriques, dans lesquelles la langue est la plus importante, et les
chansons musicocentriques, dans lesquelles la musique est la plus importante.
À propos de cette distinction, il propose la stratégie suivante:
« When I judge a particular song to be musico-centric, I tend to choose
options that score highly on singability even at the expense of sense. In
logocentric songs I tend to favour sense over singability or rhythm, because
the words (and their author) deserve to receive high priority. » Tout
comme Low, Colmer (2012) dit que, si un changement est inévitable, il
est préférable d'utiliser des rimes faibles ou proches, ou
même pas de rime, ou changer systématiquement le schéma de
la rime. Mais si on perd le sens à cause de la rime, il n'y aura pas
d'autre choix que de la supprimer. La rime est un trait esthétique et
non obligatoire
80
Les statistiques des rimes employées dans les textes
sources et cibles montrent que tous les cantiques en français sont
rimés. Le traducteur a essayé de créer des rimes en
shüpamom, même si elles ne respectent pas les dispositions
conventionnelles.
Dans la langue source, les rimes se présentent comme
suit:
· Rimes plates ou suivies A A B B
Elles sont inexistantes dans les chants
sélectionnés. Mais l'exemple suivant s'en
rapproche.
Ton sang versé me blanchira,
Ton Saint-Esprit m'affranchira,
Ta richesse m'enrichira, O mon
céleste Maître! Prends-moi tel que je
suis, Sans vertus, sans appuis, O mon
Sauveur!
Rends-moi vainqueur, Et tel que je dois
être! (SAF 262 :4)
· Rimes croisées A B A B
Cette disposition est la plus fréquente dans les
chants sélectionnés. La quasi-totalité des chants ont des
rimes croisées.
Rends-toi maître de nos âmes,
Esprit-saint, Esprit d'amour! Et de tes divines
flammes Embrase-nous en ce jour.
(SAF 143 :1)
· Rimes embrassées A B B A
Cette disposition est aussi très rare dans nos chants.
Oh ! Viens, Esprit de Dieu! Fais-nous
sentir ta présence, Revêts-nous de ta
puissance Et baptise-nous de feu!
(SAF143 : choeur)
Le français est une langue facile à chanter,
car presque tous les mots finissent par une voyelle ouverte. De même,
quand les mots finissent par une consonne, la prononciation des mots finit
presque toujours avec une voyelle. Les rimes sont présentes dans tous
les chants français.
81
Dans les chants en shüpamom, les rimes apparaissent de
façon sporadiques.
· Rimes en AAAB Yésu nji u lo'
njâ a
Wu Mfon ùe me mbém ma.
Yiéka n'té mfùe ngâ yi na, U pe
ndi'u, n'do' ngét kué ? (YPK.
268)
· Rimes en AA BB AA U Yiép
mfù a mi n'tue nyi fa' pu Ndia' shi m'a nta' pùt
shukét n'u : Me yu' Ntum-lute a vé ntù
a
Nju' she njùen yié yàntù u pua'
na. Ngà-wume pùen, u ka fa mfum t'u Metu a: me
pit mfa ya n'u. (YPK.206)
· Rimes en AA AA
Mbükér a gha' nshêt ghâme
shu? Nshié yum ma ngé' nshêt
pùntù u, Vùe mbükér a ne
lù're shu
Ka m'bua' mo' ndi mon u.
(YPK. 221)
· Rimes en AB AB Yîéne
Nzènkét, Yîéne wume, Pe nshî
wü ne nom ne shü', Ngét pü pe nkù
nton pit tone Lo' ndia'shî méé fù'
wù shü. (YPK. 123)
Nous remarquons que la nature des rimes dans les traductions
en shüpamom de notre corpus est pauvre. Elle se base sur des
phonèmes tels que : /a/, /u/, /y/, /
è/. Nous pensons que ces rimes se sont
constituées naturellement pendant la disposition des vers. Le traducteur
n'y est pas arrivé de façon consciente. C'est le génie de
la langue qui impose la disposition des
82
mots. Contrairement au français, le shüpamom ne
peut pas bénéficier de certaines tournures stylistiques comme
l'inversion des mots. Cependant en traduction poétique et musicale, il
est extrêmement difficile de reproduire textuellement les rimes. Le
musicotraducteur peut avoir recours à d'autres stratégies pour
contourner cette difficulté ou l'ignorer tout simplement.
Exemple 11 : représentation des rimes dans les
textes
Texte original
|
Traduction
|
SAF143 :4
Esprit de vie et de gloire, Conduis-nous de
jour en jour, Et de victoire en victoire,
Jusqu'au céleste séjour.
|
Yîéne Nzènkét, Yîéne
wume, Pe nshî wü ne nom ne
shü', Ngét pü pe nkù nton pit
tone Lo' ndia'shî méé fù'
wù shü.
|
SAF397 :1
Il est un roc séculaire,
Que Dieu, pour mon coeur
lassé
Comme un abri tutélaire,
Au sein des flots a placé.
|
Kristo pua' lên a yi
nkunku,
Pefa ntù a yié réni
Nké yié mfüt,
mba' nké yié nkù na U pu
i yié lùkéri.
|
SAF259 :1
Miséricorde insondable! Dieu peut-Il
tout pardonner? Absoudre un si grand
coupable, Et mes péchés oubliés?
|
Nyinyi wi Tâta, gà-ghùe' nzén, Lo'
tà a tù mbüker a, m'vùe ? I tap ndo' nént'I
mo' ntùt mi Tu kù sha, me püket mùn.
|
Dans le couplet 4 du cantique SAF 143, la rime croisée
(ABAB) s'est reproduite par hasard dans la traduction. La traduction du
cantique SAF 397, par contre, crée une allitération du son
/k/, qui traduit certainement l'idée de roc et de puissance.
Dans le cantique SAF 259, le traducteur évite la rime, mais respecte le
mètre de chaque vers. Le défi est de rester naturel dans la
traduction. Il est primordial de garantir une certaine cohésion entre le
texte et la musique. La rime ne peut se forcer à suivre la distribution
de texte de départ, le texte d'arrivée doit pouvoir bâtir
son propre équilibre musical.
83
4.3.6.LA RÉORGANISATION DU TEXTE
Nous entendons par réorganisation du texte ici les cas
où un segment de texte ou un vers dans la langue source quitte sa
position initiale pour en prendre une nouvelle dans la langue cible. Nous
allons vérifier ici à quelle fréquence le traducteur a
déplacé des strophes ou des vers au cours de la traduction. La
figure 8 présente le nombre de vers ou de strophes
déplacés.
40
30
20
10
0
21 20
1
2
Nombre de vers Réorganisations
16
1
20
1 1
12
20 19
1
0
24 24
0
1
32
0
Figure 8 : graphique de représentation de la
réorganisation dans les traductions.
La réorganisation est très difficile à
distinguer dans la traduction des chants comme la montre la figure 8. Certaines
strophes sont réécrites avec l'idée générale
du texte source. Dans J'ai soif de ta Présence (Yésu nji u
lo' njâ a) la deuxième strophe n'est pas traduite. Ce qui
cause un décalage dans la disposition des strophes. Il en est de
même pour Que tout genou fléchisse (Ngu ntunkushe' pe nto'she)
où la troisième strophe n'est pas traduite. Les cas
où le traducteur a déplacé des vers sont assez rares.
Notons que plus les phrases du texte source ont un style compliqué, plus
le texte cible va subir une réorganisation.
84
Exemple 12 : Réorganisation en
traduction.
SAF 143
Saint-Esprit de la
promesse&&&&&&&&&&&&&&&.Yu
pùngan lo' me pue Tâta,Qui
nous scellas de ton sceau Yâ ngét mi nga
shü mie ndia ',
Dévoile-nous la richesse Ne yingét
fu' lo' nkutù pùt
De l'héritage
d'en-haut Shôr ü ngu tu' yü
mentén.
SAF259
O Jésus ! à toi, je
cède&&&&&&&&&&&&&&&&.Me
na nta' rèn tù mbükér a
Je veux être libéré
; Kù Yésu mfon nshêt fon fon!
De tout péché qui
m'obsède Ghét mi m'be nkù nté
mesù shu
Être à jamais délivré. Lo' ndia'
nguon méé fù' wù sha
|