3.1. PARAMÈTRES THÉORIQUES
La traduction des chants est un sous-domaine de la traduction
en général. Par conséquent, elle doit se conformer
à un certain nombre de principes, parmi lesquels les théories de
la traduction.
3.1.1. La théorie interprétative
La théorie interprétative encore appelée
théorie du sens est due aux chercheurs de l'ESIT (École
supérieure d'interprètes et de traducteurs, Paris, fondée
en 1957) à la fin des années 1970. C'est pourquoi cette
théorie est aussi appelée « théorie de l'École
de Paris ». Danica Seleskovitch et Marianne Lederer en sont les principaux
initiateurs. Il s'agit en fait d'un prolongement de la théorie
linguistique de la traduction. Toutefois, la théorie
interprétative se distingue de la théorie linguistique en
plusieurs points. Selon Delisle, cité par Zuzana RAKOVA (2014), la
théorie interprétative ne se base pas sur la comparaison des
langues, et ne prend pas pour unités de traduction les phrases. Par
contre, elle insiste sur la traduction contextuelle, mettant en relief
l'analyse du sens tel qu'il apparait dans le discours
À l'origine de cette théorie se trouve la
pratique professionnelle de Danica Seleskovitch, qui s'est appuyée sur
son expérience d'interprète de conférence, pour mettre au
point un modèle de traduction en trois temps: interprétation,
déverbalisation, réexpression. Danica Seleskovitch
développe le modèle du processus de la traduction en trois
étapes:
· La compréhension: comprendre un texte
signifie saisir à la fois sa composante linguistique (signes graphiques)
et extralinguistique. Le sens du texte est basé sur les
compléments cognitifs de chaque lecteur particulier: il est clair que le
sens dépend en grande partie de l'expérience individuelle du
lecteur, de ses connaissances encyclopédiques, de son bagage culturel,
bref, de sa compétence interprétative.
· La déverbalisation consiste en une
isolation mentale des idées ou des concepts impliqués dans un
énoncé. Si le traducteur ne déverbalise pas les paroles de
l'original, il tombe dans la traduction littérale (en transcodage) et
rédige un texte final qui ne dit rien ou presque rien à ses
nouveaux destinataires, surtout s'il s'agit d'une traduction entre deux langues
très proches où le danger des interférences est le plus
grand. Durant l'étape de la déverbalisation, le sens reste dans
la conscience du traducteur, tandis que les signes (mots, phrases) de
l'original doivent être oubliés; cela est relativement facile
pendant l'interprétation, qu'elle soit consécutive ou
simultanée, parce que les sons du discours oral apparaissent et
disparaissent, mais cela devient très difficile à
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être appliqué dans la traduction écrite
où le texte est toujours présent. (Moya, 2010 : 78-79)
· La reformulation/ reverbalisation du sens
dans une autre langue consiste en choix, de la part du traducteur, des moyens
expressifs multiples que lui offre la langue cible. Le traducteur
procède par associations successives d'idées, même si cette
succession d'idées peut ne pas être linéaire, et doit avoir
recours à l'analogie (Delisle, 1984). La capacité associative,
déductive du traducteur, sa créativité, son intuition, son
imagination sont très importantes notamment pendant cette étape
du processus de la traduction. (Moya, 2010 :79-80)
La théorie interprétative est donc une
activité qui allie le comprendre et le dire, pour
résoudre les problèmes rencontrés au cours de la
traduction d'un énoncé. Dans le cas d'un texte musical, la
pratique traductionnelle en fonction des canons propres à la
théorie interprétative est la plus indiquée dans la mesure
où le texte musical-source possède obligatoirement la même
fonction que le texte musical-cible. Aucune action ou aucune attention n'est,
de ce fait, portée sur les mots individuels du texte musical, mais
plutôt sur l'idée générale de ce dernier. Le
traducteur a la possibilité de créer librement un texte
musical-cible directement adapté à la mélodie du chant
qu'il souhaite traduire.
Dans la critique de cette théorie, Moya (2010),
cité par Peter Newmark, précise que
Traduire le sens, en oubliant avant tout les paroles, cela
signifie simplifier trop les choses et passer par-dessus plusieurs
détails et sèmes. (&) préférer les expressions
idiomatiques, les locutions figées, les clichés, les phrases
toutes faites qui ne figurent pas dans l'original, cela signifie
déformer les nuances du signifié.
3.1.2. La théorie du Skopos
Le mot grec skopos signifie la visée, le but
ou la finalité. Il est employé en traductologie pour
désigner la théorie initiée en Allemagne (surtout à
l'Université de Heidelberg) par Hans Vermeer à la fin des
années 1970. Parmi ses promoteurs, on trouve également Christiane
Nord et Margaret Ammann. La théorie s'intéresse avant tout aux
textes pragmatiques et à leurs fonctions dans la culture-cible. La
traduction est envisagée comme une activité humaine
particulière, ayant une finalité précise et un produit
final qui lui est spécifique (le translatum). Hans Vermeer est parti, en
1978, du postulat que les méthodes et les stratégies de
traduction sont déterminées essentiellement par le but ou la
finalité (le skopos) du texte à traduire. La traduction se fait
en fonction du skopos. Mais il ne s'agit pas
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de la fonction assignée par l'auteur du texte source,
mais d'une fonction prospective rattachée au texte cible, et qui
dépend du public-cible. D'où le qualificatif de «
fonctionnelle » attribué à cette théorie. Le
traducteur doit respecter deux autres règles importantes. D'une part, la
règle de cohérence (intratextuelle) qui stipule que le texte
cible (translatum) doit être suffisamment cohérent pour être
correctement compris par le public cible, comme une partie de son monde de
référence. D'autre part la règle de fidélité
(cohérence intertextuelle) qui stipule que le texte cible doit maintenir
un lien suffisant avec le texte source.
Grâce à l'influence de Katharina Reiss , Vermeer
a précisé sa théorie en élargissant son cadre
d'étude pour englober des cas spécifiques qui n'étaient
pas pris en compte jusque-là. Il a intégré, par exemple,
la problématique de la typologie textuelle de K. Reiss. Si le traducteur
parvient à rattacher le texte source à un type textuel ou
à un genre discursif, cela l'aidera à mieux résoudre les
problèmes qui se poseront à lui dans le processus de traduction.
Vermeer prend en considération les types de textes définis par K.
Reiss (informatifs, expressifs, opérationnels) pour mieux
préciser les fonctions qu'il convient de préserver lors du
transfert. Ainsi, le texte source est conçu comme une offre
d'information faite par un producteur en langue A à l'attention d'un
récepteur de la même culture. La traduction est envisagée
comme une offre secondaire d'information, censée transmettre plus ou
moins la même information à des récepteurs de langue et de
cultures différentes. La sélection des informations et le but de
la communication dépendent des besoins et des attentes des
récepteurs-cibles. Le skopos du texte peut être identique ou
différent entre les deux langues concernées : s'il demeure
identique, Vermeer et Reiss parlent de permanence fonctionnelle et s'il varie,
ils parlent de variance fonctionnelle. Dans un cas, le principe de la
traduction est la cohérence intertextuelle ; dans l'autre,
l'adéquation au skopos.
Baker (2001: 236) dit que le skopos,
Must be defined before the translation begins (&) it must
be the intended purpose of the target text that determines translation methods
and strategies. (...) The Skopos helps to determine whether the source text
needs to be "translated". "paraphrased" or completely "re-edited". This leads
to different varieties of translational actions, each based on a specifically
defined Skopos.
Le Skopos détermine donc l'action traductionnelle et
l'envisage en fonction de son
objectif dans le contexte de la culture-cible, contexte qui
peut différer de celui de la langue et de la culture source. La
nouveauté de l'approche consiste dans le fait qu'elle laisse au
traducteur le soin de décider quel statut accorder au texte source. En
fonction du skopos, l'original peut être un simple point de départ
pour une adaptation ou bien un modèle à transposer
fidèlement. Pour Guidere (2010 : 72-74), un même texte peut avoir
plusieurs
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traductions acceptables, chacune répondant à un
skopos particulier. Le skopos est le critère d'évaluation
suprême. Par ailleurs, le Skopos du texte musical-cible est alors
l'élément de primauté. Il doit prévaloir et dominer
l'esprit du traducteur lorsque celui-ci entreprend la traduction des airs de
musique. D'une manière générale, l'exécution et la
chantabilité du texte musical apparaissent comme son Skopos. C'est de ce
fait sur cette base que le traducteur devra entreprendre son processus, ses
actions, ses choix et ses décisions.
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