CHAPITRE II :
Mémoire présenté et soutenu par MBAHEA
JOSEPH MARCEL II Page 92
Mémoire présenté et soutenu par MBAHEA
JOSEPH MARCEL II Page 93
Le régime juridique de l'insurrection: une
étude à partir des cas libyen et syrien
Les insurrections validées en droit international
concernent les cas dans lesquels, la société internationale sans
toutefois agréer une insurrection, ne peut néanmoins l'ignorer eu
égard des considérations d'ordre juridique et surtout humanitaire
qu'elle pose. Le droit international ne veut pas les favoriser de peur de
conférer aux insurgés une légitimité. Une telle
démarche mettrait à mal l'existence et l'intégrité
territoriale des Etats. Ces derniers sont les sujets principaux du Droit
international.
Pour comprendre le phénomène des insurrections
validées en droit international, il convient de tabler d'abord sur les
catégories d'insurrections validées en droit international
(Section I), avant de se pencher sur la question de la mise en oeuvre de
l'intervention militaire en Libye et en Syrie (Section II)
SECTION I : LES CATEGORIES D'INSURRECTIONS VALIDEES
EN
DROIT INTERNATIONAL
De prime abord, il faut rappeler que le droit international
n'approuve pas de manière explicite ou affichée l'insurrection.
Il n'accorde pas à proprement parler, un regard favorable au
phénomène insurrectionnel dans les Etats. Cette position du droit
international peut se justifier par le fait que les insurgés sont des
troubles fait.
Mais la Charte des Nations unies interpelle vivement les Etats
membres de l'Organisation de s'abstenir « ... dans leurs relations
internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la
force »168 . L'on pourrait à la lecture de ce texte
affirmer que l'interdiction de l'usage de la force en droit international ne
concerne que les Etats, et que les groupes armés qui sont des
entités infra étatiques, y sont affranchis. C'est d'ailleurs ce
que relève le Docteur ZAKARIA DABONE que « l'interdiction de
l'usage de la force armée contenue dans le droit international
contemporain ne concerne que les Etats dans leurs rapports mutuels
»169. Il renchérit en disant que cette interdiction
« ne vise pas les situations qui naissent à l'intérieur des
frontières des Etats»170. Cette idée
suggérant la validation de certaines insurrections est tirée des
considérations factuelles ou empiriques. Au regard des
évènements vécus au quotidien et de la pratique
internationale, l'on peut dire que le droit
168 Art 2 para 4 de la Charte des Nations unies,
op.cit.
169 ZAKARIA (D), « les groupés
dans un système de droit international centré sur l'Etat »,
R.I.C.R, vol93, vol93, no 882 juin 2011, op.cit. p. 89.
170 Ibid. p. 89.
Mémoire présenté et soutenu par MBAHEA
JOSEPH MARCEL II Page 94
Le régime juridique de l'insurrection: une
étude à partir des cas libyen et syrien
international sans toutefois favoriser ou attiser les
insurrections, en valide tout de même quelques-unes lorsque
l'intérêt supérieur des peuples ou singulièrement de
l'être humain est mis en cause. Toute chose qui permet d'établir
une catégorisation des insurrections validées en droit
international.
Dès lors, on peut ainsi distinguer les insurrections
remplissant les critères d'un conflit armé non international
comme les évènements de 2011 en Libye et en Syrie (Paragraphe I)
et les insurrections des peuples en quête de souveraineté ou sous
oppression gouvernementale (Paragraphe II)
PARAGRAPHE I : LES EVENEMENTS EN LIBYE ET EN SYRIE, DEUX
INSURRECTIONS REMPLISSANT LES CRITERES D'UN CONFLIT ARME NON INTERNATIONAL
Un conflit est la poursuite d'objectifs antagonistes et
incompatibles par deux ou plusieurs individus ou groupes. « Un conflit
armé est un processus dynamique de confrontation violente entre deux ou
plusieurs parties antagonistes »171. Selon le Droit
international humanitaire, il existe deux types de conflit armé à
savoir : les conflits armés internationaux et les conflits armés
de caractère non international.
On parle de conflit armé international quand «
des désaccords entre deux Etats provoquent l'intervention des forces
armées de l'un contre l'autre, quelle que soit la gravité des
résultats (...) et la durée »172. Mais
d'après le Protocole additionnel II, est de caractère non
international, le conflit qui se déroule sur le territoire d'un Etat
« ... entre ses forces armées et des forces armées
dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous la conduite
d'un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire
un
Contrôle tel qu'il leur permette de mener des
opérations militaires continues et concertées et d'appliquer le
présent Protocole.»173.
Les évènements de 2011 en Libye et en Syrie
répondent à la description du conflit armé de
caractère non international fait par le Protocole additionnel II. En
effet, la mouvance du vent révolutionnaire qui soufflé sur le
monde arabe, a suscité en Libye une vive opposition
171 BIT, prévention et
résolution des conflits violents et armés : manuel de formation
à l'usage des organisations syndicales, 2ème
éd, Genève, OIT, 2010, p. 2.
172 Ibid. p.2
173 Art 1er para 1 Protocole
additionnel II aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif
à la protection des victimes des conflits armés non
internationaux, op.cit.
Mémoire présenté et soutenu par MBAHEA
JOSEPH MARCEL II Page 95
Le régime juridique de l'insurrection: une
étude à partir des cas libyen et syrien
armée au régime de Kadhafi. Les insurgés
libyens réunis autour du CNT créé à Benghazi,
contrôlent tout le nord-est de la Libye, et mènent des
opérations militaires coordonnées, organisées contre le
pouvoir de Tripoli. On observe la même situation en Syrie. Une
insurrection éclate et en riposte le régime de Bachar El-Assad
mène une répression très sévère. Face
à la violence qu'ils subissent, les insurgés créent
l'Armée Syrienne Libre et exercent ainsi leur influence sur une partie
considérable du territoire syrien.
L'on peut dès lors retenir à la lumière
des cas libyen et syrien, deux critères qui permettent de qualifier une
insurrection de conflit armé non international, et de la valider : le
contrôle effectif des insurgés sur une partie du territoire sous
un commandement responsable (A) et la capacité pour les insurgés
de conduire des opérations militaires et respecter le Droit
international humanitaire (B)
A - LE CONTROLE EFFECTIF DES INSURGES LIBYENS ET
SYRIENS SUR UNE PARTIE DU TERRITOIRE, ET SOUS UN COMMANDEMENT RESPONSABLE
En analysant de près le comportement des actions dans
les mouvements insurrectionnels de 2011 en Libye et en Syrie, on observe
qu'effectivement les insurgés comme l'exige le Protocole additionnel II,
exercent leur contrôle sur une partie du territoire (1) et leur action
est sous l'autorité d'un commandement responsable (2)
1 - Le contrôle effectif des insurgés sur
une partie du territoire
La crise libyenne a débuté le 15 février
2011 avec l'arrestation d'un militant des droits de l'Homme, Fethi Tarbel. Cela
déclenchera à Benghazi des émeutes qui se transformeront
vite en une insurrection contre le régime de Mouammar Kadhafi, dont les
manifestants réclament le départ. Le 17 février,
l'opposition appelle à un « Jour de colère »
contre le régime à travers des mouvements de révolte
populaire porteurs de revendications sociales et politiques (plus de justice
sociale, respect de la dignité humaine, des libertés et des
valeurs démocratiques, départ du dictateur, etc.). En effet,
outre cette "contagion" des pays voisins, d'autres ingrédients
nourrissent la contestation contre Kadhafi. Chômage des jeunes,
frustration sociale et manque de liberté d'expression. Dans le
même temps, la main mise du
Mémoire présenté et soutenu par MBAHEA
JOSEPH MARCEL II Page 96
Le régime juridique de l'insurrection: une
étude à partir des cas libyen et syrien
clan Kadhafi sur l'appareil d'Etat irrite les
tribus174, qui constituaient la base du
régime libyen actuel tant que Kadhafi parvenait à
équilibrer leurs pouvoirs entre elles.
Les principaux mouvements ont lieu dans les villes de
Cyrénaïque à l'Est du pays, à El Baïda, mais
surtout à Benghazi, fief de l'insurrection. Partant de ces villes, ils
s'étendront sur d'autres localités, notamment Tripoli, la
capitale, et Misrata, ville portuaire et symbole de la résistance. Entre
les 23 et 25 février 2011, des villes comme Tobrouk et Benghazi tombent
dans les mains des insurgés. Il faut dire que les insurgés ont
été pris de cours par le degré et l'intensité de
l'insurrection, qui faut-il le rappeler n'était qu'à ses
débuts soutenue par des revendications essentiellement sociales et des
velléités démocratiques. Ils n'étaient visiblement
pas préparés à gérer un mouvement de cette
envergure. En dépit de ce facteur, et encouragés par la
désertion des forces fidèles à Kadhafi dans les villes
tombées entre leurs mains, les insurgés se lancent dans
l'exercice des fonctions fiscales et administratives. Ils se substituent dans
ces villes à l'Etat libyen et assurent les missions de maintien de
l'ordre et des services publics.
Le scénario est vraisemblablement le même en
Syrie. Après la Tunisie, l'Egypte, la Libye, le Bahreïn et le
Yémen, la Syrie a été touchée par ce
phénomène révolutionnaire. Mais le «printemps»
syrien, expression d'un vrai mouvement populaire et d'une légitime
revendication à la libéralisation politique, s'est rapidement
transformée, à la fin du printemps, en raison de son
incapacité à faire vaciller le régime, en une crise
armée entre une opposition se radicalisant et un régime
sécuritaire. L'abandon de plusieurs régions du pays par le
régime syrien a fait passer celles-ci sous le contrôle de
l'insurrection. Confrontée à des défis auxquels elle
n'était absolument pas préparée, elle a dû
improviser une police, exercer des fonctions juridiques, assurer certains
services (distribution du pain, de l'essence, du gaz, ramassage des ordures).
En outre, l'extension des zones contrôlées par l'insurrection
oblige les forces rebelles à trouver de nouvelles ressources pour
assurer leur fonctionnement. En l'absence de système de taxation, les
combattants ont été amenés à vivre sur le pays et
à rechercher de l'aide extérieure, avec pour conséquence
une aliénation croissante des civils. Mais dans ces conditions, la
légitimité du nouveau pouvoir est fragile dans les zones
libérées.
174 La Libye est fondée sur un
système tribal et lignager assez dense qui se décompose en trois
sous-ensembles Ethno linguistes (la Cyrénaïque, la Tripolitaine, le
Fezzan) sur lesquels se superpose un système tribal et lignager.
Mémoire présenté et soutenu par MBAHEA
JOSEPH MARCEL II Page 97
Le régime juridique de l'insurrection: une
étude à partir des cas libyen et syrien
2 - l'action des insurgés sous un commandement
responsable
Que l'on soit en Libye ou en Syrie, les insurgés se
sont réunis autour d'un organe afin de mieux diriger et coordonner leur
action contre les assauts du pouvoir central.
En effet, face à la résistance du régime
en place, les opposants au colonel Kadhafi ont choisi de concentrer leurs
efforts. Les principaux leaders de l'opposition, d'anciens officiers
militaires, des chefs tribaux, des universitaires et des hommes d'affaires se
sont regroupés au sein de ce qu'ils ont appelé le «
Conseil National de Transition » (CNT), qui existe officiellement
depuis le 5 mars 2011. C'est pour cette raison qu'il compte dans ses rangs
des personnalités qui ont un profil soit militaire,
soit politique. Il a pour devise : « Liberté, Justice,
Démocratie ». Ses principes sont plus longuement explicités
dans la « Déclaration constitutionnelle intérimaire du
Conseil », présentée le 18 août comme une feuille de
route comportant 37 articles pour l'après-Kadhafi. Celle-ci
prévoit de remettre le pouvoir à une assemblée élue
dans un délai de 8 mois maximum et l'adoption d'une nouvelle
Constitution. Une certaine confusion a régné autour de ces
annonces changeantes175 Le 13 septembre, le CNT annonce que «
l'islam sera la principale source de la législation » dans la
nouvelle Libye et qu'il n'acceptera « aucune idéologie
extrémiste de droite ou de gauche. Nous sommes un peuple musulman,
à l'islam modéré et nous allons rester sur cette voie
». Les principales figures du CNT sont Moustafa Abdel Jalil, son
Président, et Abdel Hafez Ghoga, son Vice-président et
porte-parole. Moustafa Abdel Jalil est un juriste originaire de
Cyrénaïque (est du pays), qui avait été nommé
Ministre de la Justice par Saïf al-Islam, fils de Kadhafi.
« Initialement, le CNT n'avait pas pour vocation
d'être un gouvernement provisoire »176. Au
départ chargé de coordonner l'insurrection des rebelles, sa
fonction a évolué, par la force des choses, vers une vocation
politique. Ceci explique l'évolution de son organisation interne autour
d'un comité exécutif couvrant un large panel de matières
allant des administrations locales à l'éducation, en passant par
la justice et le bien-être social ; comité qui a été
plusieurs fois remanié. Un organe législatif composé de
représentants des différentes villes rebelles. De là
découle également son rôle de leadership dans la formation
du gouvernement libyen.
Mais en Syrie, on assiste à une composition
hétérogène de l'opposition. L'opposition syrienne comprend
trois composantes distinctes :
175 Mahmoud Jibril annonçait la
formation d'un nouveau gouvernement dans les 10 jours en date du 11 septembre.
Or, celui-ci a été présenté le 22 novembre.
176 HOUBA Delphine, Etat de la question
l'intervention militaire en Libye, Bruxelles, A. Poutrain, 2011, p. 13.
Mémoire présenté et soutenu par MBAHEA
JOSEPH MARCEL II Page 98
Le régime juridique de l'insurrection: une
étude à partir des cas libyen et syrien
Une opposition intérieure, ancienne et nationale,
opposée à toute ingérence extérieure, mais
opposée aussi au dialogue avec le gouvernement dont le départ est
exigé : Le CNCCD, le Comité national de coordination pour le
changement démocratique.
Une opposition intérieure favorable au dialogue avec le
gouvernement afin d'éviter le chaos par une sortie de crise
négociée.
Une opposition extérieure s'appuyant sur
l'étranger et voulant une intervention militaire : le CNS, le Conseil
National Syrien.
Que dire de l'autre critère pour qu'une insurrection
qualifiée de conflit armé non international soit validée
?
|