CHAPITRE I :
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Le régime juridique de l'insurrection: une
étude à partir des cas libyen et syrien
Le droit international public est un ensemble de règles
de droit de source conventionnelle, visant à régir les relations
entre les Etats. Sur ce postulat, son souci constant est l'instauration et le
maintien d'un climat de paix sur la scène internationale. Ce droit
s'applique pour l'essentiel à ses sujets originels et principaux que
sont les Etats. Ainsi, se trouvent exclus du champ du droit international les
groupes armés et les entités infra étatiques. Ce droit se
garde de leur dérouler pas le tapis rouge qui mène à la
vie juridique internationale. Ils n'y sont pas les bienvenus. Toutefois, ces
groupes armés et entités infra étatiques de par leur
existence et leurs agissements, troublent de manière évidente et
significative l'ordre tant au sens juridique que matériel. «
Les États et les acteurs non étatiques parviennent à vivre
une coexistence manifeste aussi bien sur le plan de la formation de la norme de
droit international humanitaire qu'au niveau de sa mise en oeuvre
»137 relève le Docteur KEMFOUET KENGNY. L'on peut
évoquer dans ce sens Daesh en Irak et en Syrie, Boko haram, Al Qaeda, la
séléka. Ces groupes armés soulèvent plusieurs
préoccupations. C'est cette polémique qui est à l'origine
de la controverse en droit international sur la validation des insurrections en
Libye et en Syrie. En effet, le droit international vacille entre le respect de
la souveraineté interne de ces Etats et les contraintes internationales
face aux violations des Droits de l'Homme, et au péril sur la paix et la
sécurité internationales. Valider le comportement de
insurgés libyens réunis autour du CNT et des insurgés
syriens reviendrait à leur conférer une certaine
légitimité et par ricochet encourager la multiplication de tels
mouvements sources d'instabilité. Mais également, les ignorer
serait ouvrir la voie aux pires exactions, à une escalade de la violence
préjudiciable pour la paix et la sécurité
internationales.
Ainsi, pour bien comprendre cette controverse, il apparait
opportun de l'analyser sous deux angles à savoir : son cadre conceptuel
(Section I) et son cadre contextuel (Section II)
SECTION I : LE CADRE CONCEPTUEL DE LA CONTROVERSE
Le cadre conceptuel de la controverse sur la validation des
insurrections en Libye et en Syrie est important. Il s'agit ici des
difficultés d'ordre sémantique que pose l'appréhension de
la notion d'insurrection en droit international laquelle, conditionne
indubitablement sa validation ou son invalidation. En effet, l'insurrection est
une notion qui soulève beaucoup de
137 KEMFOUET KENGNY (E.D), « Etats et
acteurs non étatiques en droit international humanitaire »,
R.Q.D.I, vol21, no1, 2008, p. 57.
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Le régime juridique de l'insurrection: une
étude à partir des cas libyen et syrien
problèmes du point de vue juridique notamment, des
problèmes d'identification, de classification, de catégorisation,
et surtout de qualification. Pour étudier l'insurrection, il est utile
de préalablement lui donner un contenu sémantique clair, et de
connaitre les règles de droit qui lui sont applicables. Car «
la solution de toute question juridique passe par la détermination du
droit qui lui est applicable »138. C'est toute la
polémique autour de cette notion qui a jeté la controverse sur la
validation des insurrections en Libye et en Syrie quant à un soutien ou
non aux insurgés.
Ainsi, il est difficile de se prononcer pour savoir si les
insurrections en Libye et en Syrie sont des conflits armés
internationaux ou des conflits armés non internationaux (Paragraphe
I). De même que sur le statut juridique des
insurgés : sont-ils des combattants ou des simples hors la loi ?
(Paragraphe II)
PARAGRAPHE I LES INSURRECTIONS EN LIBYE ET EN SYRIE :
CONFLITS ARMES INTERNATIONAUX OU CONFLITS ARMES NON INTERNATIONAUX ?
Il serait difficile de répondre avec suffisamment
d'exactitude et de rigueur juridique à la question de savoir si
actuellement en Syrie, il s'agit d'un conflit armé international ou d'un
conflit armé non international. Cette difficulté est due à
la configuration que revêt le conflit, sa conflagration qui a atteint des
propensions paroxysmiques, et de la multiplication des parties au conflit.
Démêler les combinaisons relationnelles et conflictuelles, afin de
déboucher sur les éléments permettant une clarification et
une classification de la situation en Syrie dans un groupe de conflit bien
déterminé, est un exercice hardi. En Syrie comme on Libye, l'on a
assisté à un foisonnement des foyers de violence.
Ce foisonnement rend difficile la démarcation entre
troubles tensions internes et conflit armé non international dans les
insurrections libyenne et syrienne (A) et l'internationalisation du conflit
d'origine insurrectionnelle (B)
A- LA DIFFICILE DEMARCATION ENTRE TROUBLES, TENSIONS
INTERNES ET CONFLIT ARME NON INTERNATIONAL
Il est usuel dans tous les pays de « voir des
gens descendre dans la rue pour exprimer publiquement leur opinion
»139. Ces mouvements
peuvent ou non s'accompagner de violences.
138 BUGNION (F), le comité international de la
Croix-Rouge et la protection des victimes de guerre, Genève, CICR
productions, 2000, op.cit. p. 351.
139 CICR, violence et usage de la force, Genève,
Octobre 2010, p. 15.
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Le régime juridique de l'insurrection: une
étude à partir des cas libyen et syrien
Pour comprendre cette difficile démarcation, il faut
tout d'abord mettre en lumière les notions de troubles et tensions
internes (1), et soulever le problème de l'inexistence
d'une catégorisation conventionnelle des conflits armés de
caractère non international (2)
1- Les notions de troubles intérieurs et de
tensions internes
« Aucun instrument de droit international ne contient
de définition précise de ce qu'il faut entendre par l'expression
« troubles intérieurs et tensions internes
»140. Le paragraphe 2 de l'article premier du Protocole II
additionnel aux Conventions de Genève procède non à une
définition, mais à une énumération des situations
constitutives de tensions internes et de troubles intérieurs. Il
évoque simplement « les émeutes, les actes isolés
et sporadiques de violence et autres actes analogues »141
et précise que ces situations ne sont pas considérées
comme des conflits armés.
Les Etats dans leur immense majorité ont tendance
à considérer que les mouvements, les situations de violence
à l'intérieur de leurs frontières ne sont que des
troubles, des agitations, des bénins problèmes d'ordre public
sans gravité. Ils soutiennent ne mettre qu'en oeuvre que de simples
mesures de police pour y remédier. Ils se refusent astucieusement de
qualifier les faits de conflit armé, afin d'éviter toute
ingérence étrangère dans le giron de leur
souveraineté. Bien que les troubles intérieurs et les tensions
internes soient exclus du champ du Protocole additionnel II, cela
n'épuise pas pour autant la question de leur distinction avec le conflit
armé non international. Ce texte indique que ces situations doivent
avoir un niveau de basse intensité. Dans la pratique, « les
troubles sont généralement des actes qui perturbent l'ordre
public, accompagnés par des actes de violence »142.
Tandis que les tensions « ne sont pas nécessairement
accompagnées de violences, mais l'État peut recourir à des
pratiques comme des arrestations massives d'opposants et la suspension de
certains droits de l'homme, qui sont souvent destinées à
empêcher que la situation ne dégénère en troubles
»143 . Dans une situation de troubles, l'Etat a recours
aux forces armées pour rétablir l'ordre. L'on peut retenir comme
éléments caractéristiques des tensions internes : les
arrestations massives, un nombre élevé de personnes
détenues pour des raisons de sécurité, la multiplication
d'actes de violence qui mettent en danger des personnes sans défense
tels que la séquestration et la prise d'otages. Les troubles
intérieurs et tensions internes posent de sérieuses
difficultés de manière
140 CICR, violence et usage de la force,
Genève, Octobre 2010, op.cit. p.18.
141 Art 1er Para2, Protocole
additionnel II Conventions de Genève de 1949, op.cit.
142 Ibid. p.18.
143 Ibid. p.18.
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Le régime juridique de l'insurrection: une
étude à partir des cas libyen et syrien
à « amener un gouvernement à perdre
confiance dans sa capacité à maîtriser une situation avec
les mesures dont il dispose »144.
Ces évènements se sont également
déroulés en Libye, ont lieu actuellement en Syrie ce qui rendrait
difficile toute prise de décision en faveur d'intervention. Car il n'est
pas toujours aisé de délimiter à partir de quel moment,
une situation de violence interne mute en un conflit armé non
international et investir ainsi la sphère du droit international.
La démarcation entre troubles tensions internes et
conflit armé de caractère non international est rendue difficile
d'autant plus qu'il n'existe pas une catégorisation conventionnelle de
ce type de conflit.
2 - L'inexistence d'une catégorisation
conventionnelle des conflits armés de caractère non
international
Tout exercice visant la recherche d'une catégorisation
des conflits armés non internationaux, doit préalablement
être précédé d'un cadrage de cette notion. La notion
de conflit armé non international en droit international humanitaire
doit être analysée sur la base de deux textes conventionnels
principaux : l'article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949, et
l'article 1 du Protocole additionnel II de 1977.
Pour le premier texte, il s'agit d'un « conflit ne
présentant pas un caractère international et surgissant sur le
territoire de l'une des Hautes Parties contractantes (...) »145
S'agissant du second texte, ces conflits sont ceux qui
« se déroulent sur le territoire d'une Haute Partie
contractante entre ses forces armées et des forces armées
dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous la conduite
d'un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un
contrôle tel qu'il leur permette de mener des opérations
militaires continues et concertées et d'appliquer présent
Protocole »146 .
Le seuil de violence dans un conflit armé doit
être suffisamment élevé. Ce seuil est atteint chaque fois
que la situation est qualifiée de « protracted armed violence
»147 .C'est ce qu'a souligné le Tribunal
pénal international pour l'ex-Yougoslavie. Cette condition doit
144 CICR, violence et usage de la force,
Genève, Octobre 2010, op.cit. p. 20.
145 Art 3, commun aux Convention de
Genève de 1949 op.cit.
146 Art 1er para1, Protocole
Additionnel II Conventions de Genève, op.cit.
147 TPIY, Affaire Tadic, Arrêt
relatif à l'appel de la défense concernant l'exception
préjudicielle d'incompétence, 2 Octobre 1995, Para 70.
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Le régime juridique de l'insurrection: une
étude à partir des cas libyen et syrien
s'évaluer au regard de deux critères
fondamentaux : a) l'intensité de la violence b) l'organisation des
parties148
De toute évidence, ni le cadre juridique, ni la
jurisprudence ne donne une catégorisation des conflits armés non
internationaux. La doctrine et les textes se contentent de lister les indices
ou éléments pouvant permettre une déduction de leur
existence. Ce vide juridique est probablement dû au fait que, l'on ne
souhaite pas restreindre ou limiter le champ d'application du droit
international humanitaire au profit des Etats. Car toute
énumération est limitative et l'on sait que les Etats sont
extrêmement jaloux de leur souveraineté. Face à ce silence,
l'on peut opérer une tentative de recensement non exhaustif : Les
conflits de frontières, conflits identitaires, de conflits de
pouvoir.
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