IV. DISCUSSION
La présente étude visait à évaluer
l'influence conjointe de la pédagogie alternative et du bilinguisme sur
le score d'expressivité, au travers de l'utilisation des
différentes stratégies expressives employées par les
enfants dans leurs dessins.
Notre première hypothèse était que les
enfants bilingues et ceux issus de pédagogies alternatives pourraient
présenter de meilleures performances que les enfants monolingues et que
ceux issus de la pédagogie traditionnelle, relativement à leur
capacité à dessiner de manière expressive. Nos
résultats indiquent que les enfants issus des pédagogies
alternatives (Freinet et Calandreta) obtiennent un score d'expressivité
supérieur aux enfants scolarisés en pédagogie bilingue et
traditionnelle. La constatation que les enfants issus des pédagogies
alternatives ont des scores d'expressivités plus élevés
dans leurs dessins est conforme avec des précédents
résultats révélant majoritairement une
supériorité des performances créatives des enfants
scolarisés en pédagogie alternative (Besançon &
Lubart, 2007 ; Rose, Jolley, & Charman, 2011). Comme prévu nos
résultats montrent que les enfants issus de la pédagogie Freinet
et ceux issus de l'école Calandreta utilisent et combinent plus
facilement les stratégies. Plus précisément les enfants
issus de la pédagogie Freinet et ceux issus de l'école Calandreta
combinent les stratégies littérales avec celles de contenus et
abstraites, alors que les enfants de la pédagogie traditionnelle et ceux
de la pédagogie bilingue ont tendance à moins utiliser la
combinaison des stratégies et privilégient l'usage d'une
stratégie unique (littérale, contenu). Picard et Boulhais (2011)
ont démontré que l'utilisation d'expression graphique complexe
est associée à une forte créativité graphique. Ces
résultats pourraient s'expliquer par l'attitude des enseignants,
identifiée par Cropley en 1997. Effectivement en pédagogie
traditionnelle l'enseignant à un rôle frontal avec l'apprenant,
l'élève est passif, les règles relativement fixes, les
connaissances sont compartimentées et peu liées entre elles, les
performances sont évaluées par des épreuves de rappels, ce
qui favorise la pensée convergente. Alors que, les enseignants
pratiquant les pédagogies alternatives accordent une plus grande
liberté aux élèves, une place importante est donnée
à l'expression libre, les activités sont
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reliées entre elles et s'enracinent dans la pratique,
ce qui favorise la prise d'initiative et l'ouverture à de nouvelles
expériences, des qualités qui sont nécessaires pour le
développement de la créativité. (Lubart et al,
2003). Dans la pédagogie Freinet/PI, l'apprentissage
expérientiel est central. L'enfant apprend en faisant lui-même, le
maître sert uniquement de guide. On respecte le rythme de l'enfant, les
savoirs sont acquis en fonction de son évolution, s'il possède
une compétence de maîtrise dans un domaine il pourra venir
soutenir ses pairs dans leurs apprentissages. L'accent est
systématiquement porté sur le fait qu'il existe une multitude de
solution à un problème et de différents moyens de parvenir
à le régler. Les pensées convergentes et divergentes sont
constamment sollicitées. L'utilisation de ces deux systèmes de
pensées accroisse le potentiel créatif. (Guilford, 1950).
Bien que nos résultats montrent un effet de l'âge
et un effet du type de pédagogie sur les capacités expressives,
ils ne révèlent aucune interaction entre l'âge et la
pédagogie sur le score d'expressivité ainsi que sur les
stratégies employées. Cependant nos résultats ne sont pas
analogues à ceux obtenus par Rose et Jolley (2012) qui ont
révélé une différence en fonction de l'âge et
du type de pédagogie (Steiner, Montessori, traditionnelle) entre 7 et 9
ans. Cette différence de résultat peut émaner du type de
pédagogie analysé, effectivement le type de pédagogie
influence de manière significative les performances créatrices
des enfants (Besançon & Lubart, 2007). En effet, même si la
place de l'enfant est centrale, les enseignements, les activités et le
rôle de l'enseignant, différent radicalement entre les
pédagogies Steiner, Montessori, Freinet et traditionnelle.
Le second objectif de cette étude était
d'examiner la capacité à dessiner de manière expressive
chez les enfants issus d'écoles Calandreta. Les enfants issus de
l'école Calandreta obtiennent des scores d'expressivités plus
élevés que les enfants issus de la pédagogie
traditionnelle ainsi que ceux issus de l'école bilingue. Ils utilisent
et combinent majoritairement les stratégies : contenu-littérale,
contenu-abstraite et la combinaison littérale-contenu-abstraite. La
particularité des écoles Calandretas, telle qu'observer dans
cette étude, est de conjuguer la pédagogie Freinet/PI et le
bilinguisme en immersion précoce. Notre étude montre une
supériorité des scores des enfants issus de la
pédagogie
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Calandreta sur les enfants issus de l'école bilingue,
ce qui nous permet d'écarter l'influence unique du bilinguisme sur les
scores de créativités tel que démontrés par Adi
Japha et al (2010). Ces résultats devant être
interprétés avec prudence, le potentiel créatif pouvant
être mesuré aux travers de différents types de tâches
(Lubart et al, 2003). Il ne faut pas exclure non plus que le
bilinguisme était examiné sous l'angle d'une langue
régionale (l'occitan), donc très peu usitée en dehors du
système scolaire contrairement aux langues internationales telles que
l'Anglais.
Suite à ces résultats, nous nous attendions
à trouver de meilleures performances dans les capacités
expressives et dans l'utilisation des stratégies pour les enfants issus
de Calandretas, par rapport aux autres écoles et notamment par rapport
aux enfants issus de l'école Freinet, ce qui n'est pas le cas. Les
enfants issus de la pédagogie Freinet ont obtenus des scores
supérieurs tant en expressivité que dans l'utilisation et la
combinaison des stratégies par rapport aux enfants issus de
l'école Calandreta. Nous ne pouvons donc pas exclure la
possibilité d'une influence du type d'environnement familial sur le
développement des capacités expressives. En effet, Lubart et
Lautrey (1996) ont démontré l'impact du type d'environnement
familial sur la créativité. Les environnements les plus
contraignants et les plus laxistes sont moins favorables au
développement cognitif. L'environnement le plus stimulant est celui qui
fournit à la fois des régularités (donc des contraintes)
et des perturbations, introduisant de la souplesse dans les règles de
vie et les habitudes. Une structuration souple de l'environnement familial est
positivement corrélée à la performance créative des
enfants. Les parents choisissant ce type d'école sont conscients que
l'éducation est centrée sur l'enfant, ce qui va permettre de
développer des compétences différentes. Ces parents
pourraient avoir des attitudes différentes dans leurs modes
d'éducations, dans leurs pratiques et leurs activités notamment
artistiques et culturelles avec leurs enfants, ce qui pourrait engendrer un
impact sur les aptitudes graphiques de l'enfant. A l'heure actuelle il existe
peu d'études portant sur ce domaine à l'exception d'une
évaluation menée par Burkitt, Jolley et Rose (2010) ; Burkitt et
Lowry (2015), montrant l'existence d'une influence conjointe de l'environnement
familial, des enseignants et de l'enfant lui-même sur les attitudes et
les pratiques graphiques de l'enfant.
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En outre, nous avons aussi évalué dans quelle
mesure l'âge des enfants interagit ou non avec le type d'environnement
scolaire sur leurs capacités expressives. Nos résultats indiquent
que les enfants les plus jeunes (6-7 ans) ont un score d'expressivité
plus faible que les enfants les plus âgés (8-9 ans). Cette
évolution croissante des scores d'expressivités est
cohérente avec le développement progressif de la capacité
des enfants à marquer des émotions dans leurs dessins entre 5 et
11 ans (Brechet et al, 2007). En adéquation avec les
résultats de Ives (1984), les enfants utilisent et combinent 3 grandes
stratégies (L-C-A), et aucun n'utilisent les stratégies de
contenus, abstraites, seules et la combinaison contenu-abstraite. Les
enfants les plus jeunes (6-7 ans) représentent les émotions
à travers des stratégies littérales seules et à
partir de 8 ans cette utilisation diminue au profit de l'utilisation de la
combinaison des stratégies LC-LA-LCA. Ces résultats pourraient
être mis en relations avec ceux obtenus par Brechet et al (2007)
montrant que les enfants à partir de 5 ans produisent exclusivement des
indices d'expressions faciales et qu'à partir de 8 ans apparaît
également la production d'indices de postures et de contextes.
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