Les circonstances atténuantes dans la jurisprudence des JPI.( Télécharger le fichier original )par Antoine MUSHAGALUSA CIZA Université Catholique de Bukavu (UCB) - Licence 2013 |
V. Exercice de la compétence de la CPI et la souveraineté nationale1. Le principeLes devoirs d'enquêtes ordonnés par le Procureur de la CPI et prévus pour être exécutés sur le territoire d'un Etat partie le seront normalement, à la requête du Procureur, par les autorités compétentes de cet Etat.91(*) Néanmoins, dans certains cas, le Procureur pourra lui-même procéder aux actes d'enquêtes sur le territoire de l'Etat partie. Cette possibilité découle des pouvoirs généraux du Procureur en matière d'enquête tels que prévus à l'article 54.2 du Statut de Rome de la CPI.92(*)Elle découle également de l'article 99 .4 du Statut qui reconnait au Procureur le pouvoir d'intervenir directement sur le territoire de l'Etat pour y procéder à un devoir d'enquête lors qu'un tel devoir ne requiert pas le recours à des mesures de contraintes. Le statut précise à la même disposition qu'une telle intervention peut être réalisée « hors de la présence des autorités de l'Etat partie requis ».93(*) Ainsi, permettre au Procureur de mener des enquêtes sur le territoire national d'un Etat doit être considéré comme « une forme de coopération judiciaire internationale ».94(*) Nous pensons que cela consacre une conception extensive de la coopération judiciaire internationale. Dans la mesure où aucune disposition constitutionnelle ne s'oppose à la conclusion des accords internationaux portant sur l'entraide judiciaire en matière pénale, les articles 54.2 et 99.4 du Statut de Rome de la CPI doivent être considérés comme en parfaite harmonie avec le principe de la souveraineté nationale. Cette affirmation ne demeure pas absolue car elle peut faire objet des limitations constitutionnelles. 2. Limitations constitutionnelles de la souveraineté nationaleOn ne saurait pas conclure à une absoluité du principe de la souveraineté ; il est bel et bien limité notamment par la conclusion des engagements internationaux. La CPJI l'a soutenu dans son tout premier arrêt en ses termes : « la capacité de contracter les engagements internationaux qui restreignent l'exercice de ses droits souverains est précisément un attribut de la souveraineté de l'Etat ».95(*) 3. La question des immunités devant la CPI Plusieurs Constitutions prévoient une immunité pour les chefs d'Etats, les membres du gouvernement et/ou du Parlement ou d'autres personnalités contre les poursuites criminelles à leur égard.96(*) La question bien connue qui en découle est celle de la compatibilité de telles immunités avec l'article 27 du Statut de la CPI intitulé « Défaut de pertinence de la qualité officielle » et avec l'obligation d'arrestation et de transfèrement des suspects à la CPI. L'article 27 du Statut de la CPI pose le principe du défaut de pertinence de la qualité officielle. Il s'en suit qu'aucun individu ne peut bénéficier d'une exonération de sa responsabilité pénale, fondée sur sa qualité officielle, qui existe en vertu du droit interne. La nature des crimes limitent aussi les poursuites pénales contre certaines catégories de citoyens. Soulignons (c'est nous qui soulignons) qu'en vertu du droit international, il est interdit aux Etats de garantir l'immunité pour certains types de crimes. Il s'agit bien évidemment des crimes dits « de dirigeants » (leadership crimes). Le crime de génocide serait un « crime de dirigeant » dans cette optique. Les cas les plus récents, au Rwanda et en ex-Yougoslavie, ont élucidé que ce crime n'a pu être commis que grâce au concours et au soutien actif des personnes exerçant effectivement le pouvoir d'Etat et le contrôle sur l'appareil répressif Etatique.97(*) Dans l'affaire Jean-Paul Akayezu où une personnalité était poursuivie pour génocide, entant que bourgmestre de commune, l'accusé, Jean-Paul AKAYEZU, exerçait sur les habitants qui « respectaient et suivaient ses ordres ». La Chambre de première instance du TPIR avait conclu:« 75. Vu ce qui précède, la Chambre estime qu'il est prouvé au-delà de tout doute raisonnable que comme il est dit au §4 de l'Acte d'Accusation, en tant que bourgmestre, Jean-Paul AKAYEZU était chargé de fonctions exécutives et du maintien de l'ordre public dans sa commune (...).Elle estime bel et bien établi qu'au Rwanda le bourgmestre est l'homme le plus puissant de la commune. Son autorité de facto dans la région est de loin supérieure à celle qui lui est conférée de jure ».98(*) De surcroit, le TPIY, par le biais de sa Chambre d'Appel, est allé plus loin en précisant les bornes de l'immunité de l'agent Etatique pour des actes de fonction ; cette limitation joue en matière des crimes internationaux. Dans cette optique, la Chambre d'Appel du TPIY a précisé que: « ...les responsables de ces crimes ne peuvent invoquer l'immunité à l'égard des juridictions nationales ou internationales, même s'ils ont commis ces crimes dans le cadre de leurs fonctions officielles ».99(*) Nous ralliant à Joe VERHOEVEN, nous affirmons que le rejet de l'immunité dans le cadre des crimes internationaux est ici fondé, devant les juridictions internes et internationales, sur la nature de l'infraction.100(*) La CIJ y s'est inscrit l'a consolidé dans son Arrêt du 14 février 2002 où elle conclut à l'inexistence des immunités en droit international coutumier et pour des crimes contre l'humanité. Elle souligne qu' : « en droit international coutumier, les immunités reconnues au ministre des affaires étrangères ne lui sont pas accordées pour son avantage mais pour lui permettre de s'aquitter librement de ses fonctions pour le compte de l'Etat ».101(*) A la même occasion, la CIJ cite parmi les cas dans lesquels l'immunité des agents de l'Etat est exclue, celui où « l'Etat qu'ils représentent ou ont représenté décide de lever cette immunité »,102(*) hypothèse qui souligne le fait que l'immunité appartient non pas à l'agent mais à l'Etat représenté par le bénéficiaire. Dans l'Affaire du mandat d'arrêt, la CIJ a rappelé qu'il est de sans nul doute que « les immunités protègent l'intéressé contre tout acte d'autorité de la part d'un autre Etat qui ferait obstacle à l'exercice de ses fonctions ».103(*) En dépit donc de la consécration des immunités par nombreuses Constitutions, la CIJ a jugé que la personne qui en bénéficie « peut faire l'objet de poursuites pénales devant certaines juridictions pénales dès lors que celles-ci sont compétentes ». La CIJ a donc nuancé, très clairement, les poursuites qui peuvent être engagées devant la juridiction d'un Etat étranger104(*) et celles engagées devant une juridiction internationale. Cette question d'immunités devant la CPI se pose à ces jours avec acuité au regard du mandat d'Arrêt international décerné par la CPI contre le Président Omar Al-Bachir, Président encore en exercice. Qu'il suffise de rappeler que cela a conduit les Etats Africains, membres de l'UA, à hausser la voix en arguant que la CPI est en train de s'acharner contre les Chefs d'Etats Africains. Dans un communiqué de presse de l'UA.105(*)Les Etats Africains demandent à la CPI de surseoir aux poursuites contre les chefs d'Etats Africains en exercice. Ce qui est surprenant est que les Chefs Etats Africains oublient que les règles immunitaires ne constituent pas de normes de jus cogens106(*) parce que l'Etat peut y renoncer ou que des Etats, collectivement, peuvent y apporter y apporter les limites. Le fait donc, pour le crime d'avoir été commis par un individu-organe de l'Etat n'est pas une circonstance dirimante dans la détermination de la responsabilité de l'agent.107(*) D'ailleurs, la qualité officielle de la personne peut constituer une circonstance aggravante.108(*) * 91 Article 59, 87 et suivants du Statut de Rome de la CPI * 92 Cet article dispose : « Le Procureur peut enquêter sur le territoire d'un Etat : a) conformément aux dispositions du chapitre IX ; b) avec l'autorisation de la chambre préliminaire en vertu de l'article 57, §3, alinéa d ». * 93 P. K., KAMBALE., « Quelques considérations sur la compatibilité su Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale avec certains principes constitutionnels en Afrique francophone », in Revue de droit Africain. Doctrine et jurisprudence, Bruxelles, RDJA, 6ème année, n°21, Janvier 2002, p45. * 94 Cela a été affirmé par le Tribunal Constitutionnel de l'Equateur dans son avis consultatif du 21 février 2001 sur la compatibilité du Statut de Rome avec la Constitution de l'Equateur (Affaire n°0005-2002, 21 février 2001) ; Idem, p47. * 95 CPJI, Affaire du vapeur Wimbledon, France c. Allemagne, arrêt du 17 août 1923, série A, n° 1 ; cité par P. K. S., KAMBALE., Op. Cit., pp48-53. * 96Ibidem * 97P.K..S., KAMBALE., Op. Cit.,, pp53 à 54. * 98 TPIR, Affaire le Procureur c. Jean-Paul Akayezu, jugement du 02 septembre 1998. * 99 TPIY, Arrêt relatif à la requête de la République de Croatie aux fins d'examen de la décision de la Chambre de première instance II rendue le 18 juillet 1997 dans l'affaire Procureur c. Blaskic, aff N°IT-95-14-AR108bis, 29 octobre 1997, par. 38. * 100 J., VERHOEVEN (dir)., Le droit international des immunités : contestation ou consolidation ?, Bruxelles, Larcier, 2004, p198. * 101 CIJ, Affaire relative au mandat d'arrêt du 11 avril 2000, RDC c. Belgique, rôle général n°121, 14 février 2002, par. 58 ; voir www.icj-cij.org, consulté le 03 janvier 2014 à 15h45. * 102Idem, §61 * 103Ibidem. * 104 En vertu de la compétence universelle. Lire à ce sujet H.D., BOSLY., « La compétence universelle : la perspective de la procédure pénale », in Annales de Droit de Louvain, volume 64, 2004, n°1-2 et Revue de droit de l'ULB, volume 30, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp247 à 280. Voir également M., SINGLETON., « De l'atopie de l'incompétence universelle à l'utopie de la compétence universalisable », in Annales de Droit de Louvain, volume 64, 2004, n°1-2 et Revue de droit de l'ULB, volume 30, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp281 à 304. * 105 UA, Communiqué de presse n°177/2013 du 12 octobre 2013. * 106 J., VERHOEVEN., Op. Cit., p55. * 107 M., CHIAVARIO., Op. Cit., p160. * 108 Article 28 du Statut de la CPI précité |
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