ANNEXE III « DYNAMIQUES MIGRATOIRES ET EXPLOSION
URBAINE
À BEYROUTH »
Extrait de KHOURY Gérard D. et MEOUCHY Nadine (dir.),
États et sociétés de l'Orient arabe en
quête d'avenir (1945 - 2005), Tome I « Fondements et sources
», Collection « Collectif », Librairie orientaliste Paul
Geuthner, 2006, 304 p., p. 284 - 289.
Les manifestations de l'explosion urbaine
contemporaine
Ainsi seul le Liban comptait en 1965 une majorité de
citadins (59%). Cette urbanisation était, d'ailleurs, relativement
récente. En 1959, selon le rapport de la Mission IRFED-Liban
initiée par le Président Fouad Chéhab, les citadins
représentaient un peu moins de la moitié de la population
libanaise : 49,8% à côté de 50,2% de ruraux. Durant les
années 1960, en une dizaine d'années, l'urbanisation du Liban
s'est nettement affirmée. La population urbaine du Liban a exactement
doublé entre 1959 et 1970, alors qu'il a fallu une vingtaine
d'années pour que l'ensemble de la population libanaise progresse dans
la même proportion. Il semble même que ce soit la capitale
libanaise qui ait accaparé l'essentiel de ce gonflement de la population
citadine, puisque l'agglomération beyrouthine a plus que doublé
entre 1959 et 1970, passant de 450.000 à 1.100.000 habitants. Ainsi, en
1970 Beyrouth et ses banlieues juxtaposaient des quartiers très
différenciés socialement (lotissements de villas luxueuses,
immeubles pour classes moyennes ou modestes, double « ceinture de
misère » constituée de bidonvilles peuplés
principalement d'étrangers). L'agglomération beyrouthine en 1970,
regroupait exactement 2,4 fois plus de personnes qu'en 1959, ou encore 3,6 fois
plus qu'en 1950, époque où Beyrouth ne comptait que 300.000
habitants.
À partir de 1975, le Liban traverse quinze
années de guerre qui vont déchirer le pays.
L'agglomération de Beyrouth, qui sera le principal foyer des
affrontements armés, va connaître des flux et des reflux de
population selon l'alternance de périodes d'accalmie ou de reprise des
combats plus ou moins intenses. Mais, même pendant les années de
guerre (1975-1990), la croissance de Beyrouth continue de façon de plus
en plus anarchique, en s'étalant sur la plaine littorale au Nord et au
Sud de Beyrouth, et surtout en annexant de nombreux villages de la partie
centrale du Mont-Liban. Dans les années 1990 et au début du
XXIe siècle, l'explosion du Grand Beyrouth se poursuit, au
point qu'en 2005, l'agglomération a atteint deux millions d'habitants,
soit la moitié de la population libanaise (...).
Les causes de l'explosion urbaine contemporaine
À Beyrouth les facteurs géopolitiques ont
joué un grand rôle, d'autant plus que la capitale libanaise a
toujours été la caisse de résonance de tous les conflits
régionaux. En 1975, 45% de la population de l'agglomération de
Beyrouth étaient des étrangers. On a pu distinguer cinq vagues
d'immigration qui ont grandement contribué au rapide accroissement de
Beyrouth et de ses banlieues depuis 1920. Il y eut
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d'abord l'immigration arménienne réalisée
dans des conditions dramatiques suite aux persécutions massives
organisées par les Turcs durant la première guerre mondiale. Ces
Arméniens ont obtenu la nationalité libanaise, à la
différence des Arméniens venus plus récemment de Syrie.
L'immigration kurde, à la différence de la vague
arménienne ou de la vague palestinienne de 1948, ne s'est pas
réalisée en catastrophe, mais par une infiltration lente et
continue. En 1975, les Kurdes étaient plus de 100.000 à Beyrouth,
soit beaucoup moins que les Palestiniens (400.000 au Liban, dont la
moitié dans l'agglomération beyrouthine). Après la vague
palestinienne de 1948, il y eut dans les années 1960 une
quatrième vague constituée par le retour au Liban des Libanais
d'Égypte, conséquence de la politique nationaliste de Nasser, et,
le retour des Libanais d'Afrique Noire, conséquence de
l'indépendance des pays africains en 1960. Enfin, la dernière
vague d'immigration est syrienne : en 1975, il y avait environ 500.000
travailleurs syriens au Liban, deux fois plus en 2005. Si la montagne libanaise
a toujours été au cours de l'Histoire une « montagne-refuge
», Beyrouth est devenue durant le XXe siècle une «
agglomération-refuge », en accueillant beaucoup d'étrangers,
mais aussi des Libanais venus des régions périphériques du
Liban, comme les chiites du Sud-Liban ou de la plaine intérieure de la
Beqaa. L'explosion urbaine contemporaine a donc eu de profondes
conséquences sur la composition des sociétés citadines.
Les conséquences de l'explosion urbaine
contemporaine
L'ancienne Beyrouth bi-confessionnelle (sunnite et grecque
orthodoxe), est devenue à la fin du XXe siècle le
miroir de toutes les communautés libanaises. Mais, parmi les Libanais
résidant dans la capitale libanaise, les plus nombreux sont depuis les
années 1960 les chiites et les maronites. Pour ces deux
communautés d'origine rurale il y a eu d'abord installation dans les
limites municipales de Beyrouth, puis dans les banlieues qui connaissent un
accroissement spectaculaire. La guerre de 1975-1990 a profondément
modifié la composition confessionnelle de la population de ces
banlieues. Avant 1975, régnait une certaine mixité
confessionnelle : dans la banlieue Sud à dominante chiite existaient des
quartiers chrétiens principalement maronites, tandis que dans la
banlieue Est à dominante chrétienne on trouvait des quartiers
chiites. Après 1975, la guerre avec son cortège
d'atrocités a provoqué une homogénéisation
confessionnelle des banlieues de Beyrouth et des principaux quartiers de la
capitale (...).
L'explosion urbaine contemporaine a accentué les
contrastes à l'intérieur du tissu urbain des villes du
Proche-Orient arabe. Si certains quartiers centraux des grandes
métropoles affichent avec ostentation un « urbanisme à
l'occidentale », cette modernité importée est en fait,
très limitée. Le reste de ces agglomérations est
caractérisé le plus souvent par un habitat assez médiocre,
qui se dégrade rapidement car il est mal entretenu. La taudification du
centre historique est un phénomène général que l'on
retrouve dans la plupart des villes arabes, du Maghreb au Mashrek.
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