3.3.2.2 Le
modèle de la leçon ou la théorie pour l'action
À partir de la fin de XXème siècle, le
progrès des connaissances dans le domaine des sciences humaines et
sociales et son impact sur l'éducation et la formation des enseignants a
entrainé une prise de conscience des limites d'une pratique `'aveugle''.
Cela a marqué un tournant dans l'évolution de la
modélisation de la formation des enseignants de « la
leçon modèle » vers « le
modèle de la leçon ». Dans le nouveau paradigme dit du
modèle de la leçon, il ne s'agit plus de se conformer à
une action modèle par simple imitation ou reproduction. Il faut au
contraire partir d'un modèle théorique en tant que construction
mentale rationnelle pour rendre compte du réel, expliquer et justifier
l'action. En effet, « La théorie fonctionne
comme grille de lecture de l'expérience. Sans permettre de
tout prévoir et contrôler, elle aide au moins à donner du
sens, à formuler des hypothèses
interprétatives » Perrenoud (1993,13). Ici, la
prépondérance est accordée à la théorie
quant à son apport à l'efficacité dans la pratique ou dans
l'action.
3.3.2.3 Les limites
de « leçon modèle » et de
« modèle de la leçon »
En accordant l'ascendant à la théorie sur la
pratique à travers le paradigme du modèle de la leçon, si
l'on n'y prend garde, le glissement vers une propension à des
applications plates de théories eu égard à leur
caractère scientifique est vite réalisé. Cette inclination
vers « l'applicationnisme » ne saurait s'accommoder avec la
complexité, les contingences et le dynamisme qui caractérisent
les métiers de l'humain. Mêmes les lois dites universelles des
sciences physiques ne sont vérifiables ou reproductibles que dans les
conditions identiques de pression et de température qui ont servi de
base à leur formulation.
Dans le champ social, les faits humains ne se prêtent
pas à une telle répétition par lare-création de
conditions sociales identiques. Nous comprenons alors Perrenoud (1994)
lorsqu'il soutient que la pratique pédagogique en classe ne peut se
résumer à la mise en pratique d'une théorie, de
règles d'action ou de recettes car les situations pédagogiques
varient d'une classe à une autre, d'un contexte à un autre.
Cette réalité pose des difficultés
réelles à l'enseignant qui doit prendre instantanément des
`'micro-décisions'' diverses pour faire face par exemple au climat et
à la dynamique du groupe-classe, structurer les échanges et les
conduites individuelles d'une partie des élèves afin d'assurer
leur progression didactique.
Appliquer des théories dans l'action pédagogique
sans une réflexion sur et dans l'action non seulement à chaud
mais surtout à froid ne suffit pas pour faire un bon enseignant. Il en
est de même lorsque l'on se contente d'imiter l'expertise d'enseignants
chevronnés ou de chercher à se conformer à des
modèles d'action sans esprit critique.Pour Develay (1996, 76) :
« L'enseignement ne se réduit pas
à l'application d'une théorie, aussi élaborée
soit-elle ; une théorie est le plus souvent une modélisation
de pratique et celle-là ne peut épouser en totalité
celle-ci. L'enseignement ne peut résulter non plus d'une simple
imitation de pratiques existantes, par défaut d'adaptabilité
cette fois. L'enseignement résulte de la capacité, à
partir de principes fondateurs (une théorie de référence
certes), à résoudre des problèmes qui se posent... dans
l'urgence d'un temps qui ne s'interrompt pas pour laisser place à
quelque lecture salvatrice. »
Or, si l'articulation théorie-pratique n'est pas
pratiquée comme il se doit pendant la formation initiale dans les ENEP,
les élèves-maîtres peu préparés manqueront du
bagage nécessaire pour développer ultérieurement des
compétences professionnelles sur le terrain. Théorie et pratique,
réflexion et action occupent donc indéniablement chacune une
place capitale dans la formation des enseignants et aucune ne peut ou ne
devrait exclure l'autre. « La pratique informe la théorie,
la théorie donne forme à la pratique » Develay
(1996,88). Aussi, la formation des enseignants ne peut-elle atteindre
l'objectif final de produire des enseignants compétents que si le
rapport théorie-pratique est sérieusement prise en compte par les
modèles de formation en vigueur.
Segueda (2008) s'est intéressé à
l'articulation théorie-pratique dans la formation initiale des futurs
instituteurs au Burkina Faso. Partant de la vocation des ENEP à former
des praticiens réfléchis, il s'est posé la question de
savoir quelles pratiques de stages de terrain, en relation étroite avec
la théorie, il faut pour faire des sortants des ENEP des instituteurs
compétents. Ses investigations qui ont porté sur deux ENEP ont
abouti à la conclusion que le système d'organisation de la
formation initiale des enseignants du primaire ne permet pas une articulation
suffisante entre la théorie et la pratique.Pour expliquer cet
état des faits, il indexe la durée de la formation,
l'insuffisance d'encadrement et de suivi des stagiaires sur le terrain, le
manque de concertation entre les acteurs pour l'organisation du stage pratique,
l'exploitation insuffisante des écoles-annexes par les formateurs au
profit des stagiaires.
Pour l'auteur de cette étude la résolution de
ces insuffisances pourrait contribuer à améliorer la
qualité de la formation initiale des enseignants du primaire.Ce qui
n'est pas faux. Cependant, nous pensons qu'un pan important du problème
demeure non résolu car l'exploitation judicieuse des
écoles-annexes par les formateurs ne semblent toujours pas être
satisfaisante. Or, si l'articulation théorie-pratique n'est pas
pratiquée comme il se doit à l'interne dans les ENEP avant le
stage pratique, les élèves-maîtres peu
préparés auront très peu de chance de le réussir.
C'est pourquoi, notre réflexion s'inscrit dans le prolongement de celle
de Segueda pour examiner la problématique de l'articulation
théorie-pratique dès la première année, en essayant
cette fois-ci d'élargir le champ d'étude à toutes les ENEP
ayant des écoles annexes.Au regard de l'importance de la formation
pratique dans la formation initiale des enseignants, les écoles annexes
doivent occuper une place de choix dans les ENEP car elles ont un rôle
crucial à y jouer. Elles doivent être exploitées à
bon escient par les différents acteurs pour assurer une bonne liaison
théorie-pratique.
C'est à ce prix que l'on pourrait espérer jeter
les bases solides de praticiens réflexifs en chaque
élève-maître et les préparer ainsi à mieux
réussir leur stage pratique sur le terrain et les rendre aptes
à poursuivre ultérieurement leur développement
professionnel.
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