B. L'ambitieuse réponse des Robo-advisors
Le modèle classique de la gestion bancaire a
été remis en cause par les changements évoqués
précédemment, justifiant la mise en place d'un nouveau standard
sociétal basé sur l'innovation technologique. Plusieurs
sociétés ont alors vu le jour, au sein de ce nouvel environnement
économique et social, avec pour objectif de repenser les services
bancaires par le biais de la technologie. Celles-ci furent regroupées au
sein d'une catégorie hétérogène nommée
« FinTech », terme issu de la combinaison de « finance » et
de « technologie ». Parmi tous les types de sociétés
présentes au sein de cette catégorie, les membres du CFA
Institute, association mondiale des professionnels de l'investissement, ont
jugé que les robo-advisors sont ceux qui ont le potentiel de
perturbation du marché le plus important à court et moyen
terme9. De la même façon, ils estiment que son impact
sera positif pour les investisseurs aisés, que ce soit en termes de
coût, de conseil et de diversité de l'offre.
Bien qu'internet ait donné accès à
quiconque au monde de l'investissement boursier et financier autonome, la
plupart des individus ne sont pas avertis en ce qui concerne la finance et
n'ont donc pas les connaissances nécessaires à une prise de
position avisée. De fait, la démocratisation du marché est
de façade, puisque leurs options d'investissements restent
limitées à des produits souvent peu efficients en termes de
rendement. La conséquence la plus apparente sur le marché de
l'épargne français étant la prédominance du fonds
en euros, certes sécuritaire mais également de moins en moins
rémunérateur.
Pour pallier à cette méconnaissance, la
population fortunée fait appel depuis de nombreuses années
à des gestionnaires d'actifs, des banquiers privés ou encore des
conseillers indépendants qui leur offrent un conseil sur leurs
placements financiers. Cependant, en raison des conditions d'investissements
minimales exigées par ceux-ci, le conseil financier reste fermé
au grand public. Les plateformes de conseil en investissement
automatisées, plus laconiquement appelées « robo-advisors
» ont pour objectif de combler l'écart de conseil existant entre la
population fortunée et les autres. A cet effet, le robot-conseiller ne
doit pas être confondu avec un simple gadget numérique. C'est au
contraire un prestataire de conseils financiers qui a vocation à
remplacer le conseiller physique dans toute la chaîne de valeur de
l'investissement financier. Il offre un modèle de placement financier
différent et plus largement accessible, sans pour autant négliger
le service fourni.
9CFA Institute - Fintech Survey Report, avril 2016
20
Un robo-advisors est ainsi une interface d'investissement
numérique et automatique qui fournit à l'investisseur un
accès simple aux marchés financiers agrémenté d'une
expérience client ergonomique et interactive. Tout ceci à un
coût inférieur à celui des conseillers traditionnels. La
relation entre le client et le robo-advisors commence
généralement par un questionnaire court visant à
connaître la situation personnelle de l'individu, sa connaissance du
monde et des produits financiers, son attitude vis-à-vis du risque tout
autant que ses objectifs, en conformité avec ce qui est prévu par
la directive MIFID 2. L'ensemble des informations transmises permet de
classifier l'investisseur, par le biais d'un algorithme, afin de
déterminer un risque acceptable pour cet individu. Ensuite, la
plateforme génère une allocation d'actifs automatique en fonction
du profil de risque établi et de l'état des marchés
financiers. Cette étape est réalisée différemment
entre les robo-advisors, si certains adoptent le « 100% technologique
» en proposant une allocation élaborée par le biais d'un
algorithme, d'autres préfèrent conserver la méthode
traditionnelle en constituant une équipe de spécialistes des
marchés financiers qui composent les portefeuilles types selon leur
approche personnelle, les théories financières et les
modèles mathématiques connus. Les portefeuilles ainsi
constitués sont généralement composés de fonds ETF,
reflet de la gestion passive prônée par les robo-advisors.
1) Une gestion automatisée du portefeuille
financier
? Une rationalisation du processus d'investissement
basée sur la théorie moderne du portefeuille
La caractéristique particulièrement mise en
avant lors de la présentation d'un robo-advisors concerne la gestion
algorithmique du portefeuille d'investissement. Comme énoncé
ci-dessus, la plupart des robo-advisors disposent d'un algorithme qui
génère automatiquement une allocation d'actifs selon
différents critères établis en amont. Si la plupart des
robo-advisors ont un algorithme qui leur est propre, la base théorique
utilisée est toujours la même : « la théorie moderne
du portefeuille ». Développée par Harry Markowitz en 1954,
elle permet de déterminer un processus de sélection de titres
permettant d'obtenir un portefeuille efficient. L'efficience se
définissant comme la maximisation de la rentabilité d'un
portefeuille pour un risque donné ou, de la même façon, la
minimisation du risque pour une rentabilité fixe.
La base de la théorie de Markowitz repose sur la
diversification10. Le raisonnement est intuitif, si deux titres
varient de façon opposée dans le temps, alors la baisse de valeur
du premier pourra être
10« Portfolio Selection: Efficient Diversification of
Investments » Harry Markowitz - 1955
21
compensée par la hausse de valeur du second qui
survient simultanément, permettant ainsi de supprimer au moins
partiellement la perte initialement subie sur le portefeuille. La
diversification permet donc d'éliminer le risque spécifique, qui
correspond au risque inhérent à l'activité d'exploitation
et au mode de gestion d'une entreprise, indépendamment de l'influence du
marché. Si nous possédons une multitude de titres sur des
secteurs différents et avec des modes de gestion variés, alors
les risques inhérents à chaque société seront
noyés dans la masse. Grace à cet effet, le risque d'un
portefeuille diversifié est inférieur à la moyenne
pondérée des risques de chaque titre inclus dans le portefeuille,
c'est ce qu'on appelle le gain de diversification. L'avis qui résulte de
cette observation est que l'allocation d'actifs ne doit pas aboutir à la
sélection individuelle de titres mais doit au contraire reposer sur une
étude des corrélations existantes entre les différents
titres présents sur le marché : plus la corrélation est
faible ou négative entre les titres sélectionnés, plus le
gain de diversification est important et, par conséquent, plus le risque
spécifique est réduit.
L'application pratique de la théorie moderne du
portefeuille permet d'identifier les allocations efficientes au sens de
Markowitz. L'ensemble de ces allocations peut être
représenté graphiquement sous la forme d'une courbe nommée
« frontière efficiente ».
Frontière efficiente de
Markowitz
22
L'algorithme est l'outil qui va constituer la frontière
efficiente, en fonction des données qui lui seront transmises, au sein
des robo-advisors. Les réponses aux questionnaires vont permettre
à l'algorithme de déterminer le risque accepté par
l'investisseur et ainsi de situer son positionnement sur la frontière
efficiente. Bien que le modèle de Markowitz soit sujet à
certaines limites, les observations réalisées par cette
théorie ont inspiré un certain nombre de modèles
mathématiques, le plus connu étant le « CAPM
»11, qui sont aujourd'hui effectivement utilisés par les
robo-advisors, comme en atteste le discours d'un employé de Yomoni, l'un
des principaux robo-advisors français : « Nous nous basons sur un
backtest rentabilité/volatilité construit sur 70 ans sur toutes
les classes d'actifs pour développer nos modèles
mathématiques. Notre philosophie d'investissement est quantitative :
nous couvrons le maximum de zones géographiques par classes d'actifs
pour assurer une diversification à moindre coût, ce qui nous
permet de réduire les chocs systémiques (comme les crises ou les
stress de marché). »
Raffaele Zenti, co-fondateur du site AdviseOnly a ainsi fait
une recherche, synthétisée dans le graphique ci-dessous, pour
déterminer les algorithmes utilisés par les
robo-advisors12 :
Méthodologie des robo-advisors pour la
construction de portefeuilles
11Capital Asset Pricing Model - modèle
introduit par Jack Treynor, William Sharpe, John Lintner et Jan Mossin
indépendamment, en poursuivant les travaux initiaux de Harry Markowitz
sur la diversification et la théorie moderne du portefeuille
12« Roboadvisors like a Commodore VI0? Apparently,
according to this quick survey... » - Raffaele Zenti - 14 mai 2016
23
? Les avantages d'une telle gestion
Comparativement à un investisseur particulier qui n'est
pas aidé dans son allocation par un conseiller financier, le changement
est radical puisqu'il est empiriquement prouvé que nos biais
comportementaux jouent un rôle primordial dans nos décisions
d'investissement et conduisent le plus souvent à un impact
négatif sur le rendement à long terme :
- Nous avons naturellement tendance à
sous-pondérer l'importance des informations qui ne confortent pas notre
vision et à tenir compte uniquement des preuves qui confortent notre
vision des choses ;
- Notre volonté de chercher une explication à
toute chose et d'occulter le caractère aléatoire d'une variation
future nous conduit à utiliser les probabilités de façon
inadéquate ;
- Notre comportement naturel est généralement
moutonnier et conformiste, nécessitant d'aller contre sa nature pour
pouvoir se forger un jugement propre ;
- Nous possédons des barrières psychologiques,
au-dessus ou en dessous desquelles on ne souhaite pas acheter, ou vendre, en
dehors de toute rationalité ;
- Nous sommes soumis à l'effet « ticket de loterie
» qui nous conduit à favoriser une probabilité faible de
faire un gain élevé plutôt que de fortes
probabilités de faire un gain modeste, alors même que le second
ticket aurait une espérance de gain pondérée plus forte
;
- Etc...
Ainsi, l'un des biais les plus commentés et
étudiés est celui de surpondérer les
événements récents plutôt que les tendances de long
terme, ce qui pousse les épargnants à investir et à
désinvestir au plus mauvais moment. L'investisseur lambda a ainsi la
fâcheuse tendance d'acheter lorsque le marché a connu une
croissance excessive et vend lorsque le marché baisse alors que la
probabilité d'un retournement augmente. Il est possible de voir cet
effet comportemental de façon très prononcée dans le
graphique ci-dessous, dont la courbe orange représente la performance
des bourses mondiales et l'histogramme bleu les flux nets vers les fonds en
actions.
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Corrélation entre l'évolution des indices
mondiaux et les flux nets d'investissement en fonds
actions
De plus, même si l'investisseur se sent confiant quant
aux possibilités du conseiller humain de surmonter ses biais cognitifs
naturels, les incitations financières de ce dernier ne sont pas toujours
en phase avec le bénéfice du client. Ainsi, certains conseillers
orientent leurs clients vers des produits qui se conforment à leur
propre intérêt financier. Mon expérience personnelle en
banque de détail me permet de confirmer ce fait.
Notre comportement naturel et les incitations personnelles du
conseiller nous mènent donc à un mauvais « market
timing13 ». L'utilisation d'un programme numérique
supprime cela puisque celui-ci n'est soumis à aucun biais
émotionnel, il se base sur des données objectives sans en
sous-pondérer ou surpondérer aucune. Il convient cependant d'y
énoncer une limite : le programme à l'origine de l'algorithme est
créé par l'homme, il peut donc intégrer certains biais qui
nous caractérise.
13Le Market timing vise à étudier
l'évolution d'un marché, ou d'un actif, pour déterminer
à quel moment l'investisseur doit intervenir.
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