3) Répondre au défi posé par
l'absence de rendement
Depuis quelques années, nous faisons face à une
absence de rendement des produits financiers induite par des taux directeurs et
d'emprunt d'Etat situés à des niveaux historiquement faibles.
Pour certains observateurs, la cause de ce phénomène est à
mettre à l'actif des mesures non conventionnelles des banques centrales.
Cependant, l'analyse de l'historique des taux nous permet de confirmer que cet
état de fait n'est que la résultante de trois décennies de
baisse progressive (cf. voir annexe 1). Le pouvoir des institutions
monétaires est limité aux taux de court terme. Ce qui
définit réellement le taux long est l'anticipation des agents
économiques sur la croissance potentielle de l'économie ainsi que
l'inflation ou encore la politique économique. Les taux courts ne sont
que conjoncturels tandis que les taux longs sont structurels. Le fait que nous
constations une chute tendancielle des taux longs sur les deux dernières
décennies implique que la faiblesse actuelle des taux est, avant tout,
le symptôme d'un déséquilibre entre l'épargne et
l'investissement mondial qui a entrainé un recul du taux
d'intérêt d'équilibre (ou « taux naturel »), qui
fait coïncider épargne et investissement en situation de plein
emploi.
Dans un premier temps, ce déséquilibre s'est
expliqué par l'excès d'épargne à l'échelle
mondiale, imputé aux pays émergents et aux pays producteurs de
pétrole du Moyen-Orient, lesquels auraient, dès la fin des
années 1990, accumulé des réserves de change. Ce
phénomène serait soutenu aujourd'hui par le vieillissement de la
population : à ce titre, Mourtaza Asad-Syed, co-fondateur de Yomoni
explique que « aujourd'hui, l'Etat emprunte à taux négatifs
à 5 ans en Suisse, au Japon, en Allemagne, en Autriche, au Danemark, en
Suède, aux Pays-Bas, en Belgique et en France ! Ces pays ont une
caractéristique commune : leur population âgée. Leur
âge médian est en effet de plus de 40 ans et leur âge moyen
est de 43 ans, alors qu'au sein de l'OCDE les pays anglo-saxons (Etats-Unis,
Royaume-Uni, Canada, Australie, etc.) qui ont des moyennes d'âge
inférieures à 40 ans (38 ans en moyenne) affichent toujours des
taux d'intérêts positifs. C'est assez logique. Un pays dont la
population est jeune va avoir une préférence pour
l'immédiateté, la liquidité. Les taux
d'intérêts seront alors élevés et les rares
ménages qui épargnent voient leur sacrifice fortement
récompensé. En revanche, une population plus âgée va
davantage privilégier la sécurité et ne pas se soucier de
consommation immédiate. En effet, il est légitime lorsqu'on est
dans la force de l'âge d'anticiper qu'il sera progressivement plus
difficile de subvenir à ses besoins par son labeur et de
sécuriser ses revenus futurs avec son épargne d'aujourd'hui. Ce
n'est pas tant les flux d'épargne qui sont plus importants
qu'auparavant, c'est bien leur préférence pour la
sécurité. Ce sont donc les
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cohortes démographiques massives qui épargnent
pour leur retraite qui alimentent cette tendance, qui va donc
durer encore plusieurs années en Europe et enfoncer davantage les taux
longs »7.
La crise, en instaurant un climat pessimiste à travers
le monde, a contribué à dégrader les perspectives de
croissance à long terme. Il est abondamment prouvé qu'une
récession profonde a un impact durable sur le potentiel de croissance.
Et qui dit dégradation du potentiel de croissance dit baisse du
rendement des capitaux et donc de la volonté d'investir. Cette tendance
a accentué l'écart entre l'épargne et l'investissement.
Les politiques ultra-accommodantes d'assouplissement quantitatif misent en
place par un certains nombres de pays n'ont rien arrangé. Les rachats
opérés ainsi que la baisse des taux directeurs ont
entrainé une chute brutale des taux courts. Cette politique s'est
accompagnée d'une stratégie de communication indiquant que leurs
taux directeurs resteraient bas pendant une période prolongée. Ce
faisant, les banques centrales ont cherché à influencer les
anticipations des investisseurs en matière de taux
d'intérêt courts à terme et, donc, les taux
d'intérêt à moyen et long terme. Car comme nous le savons,
le taux long est une moyenne des taux courts anticipés, ainsi si une
variation du taux court est perçue comme durable, elle aura un impact
sur le taux long.
Comme nous pouvons le voir sur le graphique ci-dessous, la
baisse des taux d'intérêt à un impact direct sur le
rendement des fonds en euros, qui ne cesse de chuter depuis une dizaine
d'années, passant de 4,1% à 2,3% actuellement. Les
évolutions du rendement des fonds en euros sont étroitement
liées à celles des obligations. En effet, les fonds en euros ont
toujours été composés principalement d'emprunts d'Etat et
d'obligations d'entreprises privées. L'actif des assureurs correspondant
à la répartition de leur fonds en euros, est investi, en moyenne,
autour de 70 % en obligations, 20% en actions, 3% en immobilier, 5% en
trésorerie et 2% en actifs divers. Ces proportions sont quasiment
inchangées depuis une vingtaine d'années. Les assureurs
investissent donc l'épargne nouvelle sur des obligations faiblement
rentables. En conséquence, le rendement des fonds en euros diminue. Dans
un contexte de taux d'intérêt négatifs appelé
à se prolonger, il est donc inévitable que le rendement des fonds
en euros poursuive sa contraction.
7« La Longue Vue #9 - Le prix de la sécurité
» - 5 août 2016
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Rendement8 des supports euros entre 2006
et 2015
Tous les économistes s'accordent à dire que le
fonds en euros est voué à l'extinction dans cet environnement de
taux bas. La chute de son rendement est pourtant freinée volontairement
par les assureurs dans une logique commerciale et aurait dû être
bien plus forte ces dernières années. L'objectif d'une telle
démarche et de conserver voire d'obtenir un avantage compétitif
de rendement sur leurs concurrents afin de capter un maximum d'encours tant
qu'il est encore temps. Ils puissent donc dans leur réserve technique et
vendent leurs anciennes obligations, bien plus rémunératrices et
donc valorisées, pour pouvoir rémunérer les
épargnants au-delà de leur capacité de long terme. En
agissant ainsi, ils ont une vision de court terme que le législateur
souhaite d'ailleurs endiguer. C'est en ce sens que la loi Sapin 2 en France
tente de forcer les assureurs à enlever le frein à main qui
retient le rendement des fonds en euros malgré l'inexorable pente.
L'épargne financière des ménages
français est composée majoritairement de l'assurance-vie,
à plus de 37% ! Or les encours d'assurance-vie sont investis à
84% en supports euros, ce qui ne représente pas moins de 1 300 milliard
d'euros, soit autant que l'ensemble des liquidités détenues par
les ménages français en 2015. La transition du fonds en euros
revêt donc une importance capitale dans une optique de gestion
financière.
8 Net de chargements de gestion et brut de
prélèvements sociaux
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Principaux encours financiers nets des ménages
(encours annuels nets, en milliards d'euros)
Les acteurs du marché essayent aujourd'hui d'inverser
la tendance en pressant les épargnants à opter pour un maximum
d'unités de compte, investies sur des supports plus risqués et
donc plus rémunérateurs, qui permettent d'adoucir la chute des
rendements. Nous notons à cet effet que la proportion de placements
annuels à destination des unités de compte ne fait
qu'accroître au détriment du fonds en euros (cf. graphique
ci-dessous).
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Flux de placements annuels à destination des
contrats d'assurance vie (flux annuels nets en milliards d'euros ; CAC 40 en
points)
Il est donc nécessaire de changer de vecteur
d'investissement financier et de prendre plus de risque pour dégager un
rendement. Nous assistons, à cet effet, à une course aux produits
alternatifs depuis un certain temps, qui n'est pas dénuée de
risques.
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