b- Le contenu des cours et le cadre de la formation :
Le cadre de la formation des instituteurs et des institutrices,
c'est-à-dire les Écoles Normales, ainsi que le contenu des cours
qui y sont enseignés contribuent eux aussi à l'apprentissage des
valeurs devant ensuite être transmises aux élèves
d'école primaire.
Le contexte d'ouverture de l'École Normale
d'institutrices de Châlons-sur-Marne qui intervient au moment où
de nombreuses Écoles Normales sont créées témoigne
de la massification de l'accès à l'école entamée
à la fin du XIXème siècle.
L'égalité est une des valeurs clés de la
IIIème République, valeur que les instituteurs et
institutrices doivent transmettre à leurs élèves. Une fois
arrivés au pouvoir en 1879, les Républicains ont fait en sorte
que l'école, lieu d'apprentissage des valeurs républicaines,
devienne à son tour une institution plus juste. Pour ce faire, les
membres du gouvernement se sont, en apparence, attachés à
développer l'égalité hommes, femmes face à
l'accès à l'éducation. En réalité, en
éduquant les filles, ils souhaitent qu'elles transmettent les valeurs
républicaines apprises à l'école à leurs futurs
enfants. Le discours prononcé par l'historien Pierre PONCIN lors de
l'inauguration du cours pour filles d'Abbeville le 15 décembre 1880
illustre cette idée :
« L'absence d'enseignement secondaire pour les femmes
entretient l'anarchie intellectuelle de la nation. La plupart des femmes sont
restées étrangères aux idées, aux sentiments de la
France républicaine et moderne. C'est l'institutrice française,
c'est la mère française qui formeront pour l'avenir une robuste
génération de citoyens et de soldats »19.
À cette époque encore, la femme est
perçue comme une génitrice, et plus particulièrement comme
une génitrice de futurs citoyens et soldats comme le souligne la
citation de René GOBLET :
« Père républicains, vous avez un devoir
à remplir ; c'est de donner une éducation solide, virile,
à vos filles ; faire des hommes, donner des citoyens à la patrie,
voilà la grande fonction de la femme, et, en
19 Archives départementales de la Somme 1T70, discours de
Pierre FONCIN à l'inauguration du cours pour jeunes filles d'Abbeville,
15 décembre 1880.
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même temps, sa grande responsabilité
»20.
L'École Normale d'institutrices de
Châlons-sur-Marne, comme toutes les Écoles Normales de la
IIIème République est encadrée par
l'État. Comme le mentionne le décret du 29 juillet
188121, l'École Normale primaire est placée sous la
tutelle du recteur d'académie et dirigée par une directrice,
Madame GRANET, puis Madame BROCARD, choisies par le Ministère de
l'Instruction Publique. En plus de choisir la directrice de l'École
Normale, l'État intervient pour financer le traitement du personnel de
l'École : professeures, économe, secrétaire, directrice...
L'État fournit également des subventions pour l'achat de livres
placés dans la bibliothèque pédagogique. Le
département de la Marne et la ville de Châlons-sur-Marne prennent
en charge l'entretien du bâtiment, les éventuels travaux, ainsi
que l'achat du matériel utilisé en classe, à l'internat ou
au réfectoire. L'État intervient donc pleinement dans la gestion
financière et matérielle de l'École Normale
d'institutrices de Châlons-sur-Marne. Désormais,
l'éducation est uniquement encadrée par l'État et non plus
encadrée par l'Église et l'État conjointement.
Concernant son architecture, l'École Normale
d'institutrices de Châlons-sur-Marne, comme la plupart des Écoles
Normales est construite sur deux étages. La normalisation des
bâtiments contribue elle aussi à l'enracinement du
caractère républicain du lieu. L'École Normale
d'institutrices possède une cour de récréation, un jardin.
Le bâtiment est en forme de H. L'École Normale d'institutrices de
Châlons-sur-Marne, à l'image de l'ensemble des Écoles
Normales possède un internat. Jules FERRY a rendu la
fréquentation de l'internat obligatoire pour les
élèves-maîtres et élèves-maîtresses en
formation. Ce procédé permet au personnel de l'École
Normale, c'est-à-dire aux agents de l'État de contrôler en
permanence les futurs maîtres et maîtresses. Cet encadrement
continu permet aux élèves-maîtresses de s'imprégner
du caractère républicain du lieu. Conformément au
décret du 29 juillet 1881, « l'internat est gratuit ». Les
sorties des élèves-maîtresses sont très
encadrées. Les documents d'archives de l'École Normale
d'institutrices de Châlons-sur-Marne montrent que les permissions se
limitent aux vacances scolaires et aux jours fériés. Le reste de
l'année scolaire, les élèves-maîtresses restent au
sein des locaux de l'École. Elles sont autorisées à y
sortir uniquement lors des sorties pédagogiques ou lors des promenades
hebdomadaires. Toutefois, les jeunes filles ne sont pas livrées à
elles-mêmes lors de ces sorties.
20 René GOBLET, Le Progrès de la Somme du
30 août 1881.
21 Décret du 29 juillet 1881 : « La
réorganisation républicaine des Écoles Normales primaires
».
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Elles sont systématiquement contrôlées par
des professeurs ou membres de la direction. Les promenades sont elles aussi
encadrées par le décret du 29 juillet 1881 qui précise que
:
« Tous les jeudis et tous les dimanches ainsi que les jours
de fêtes, les élèves-maîtres sont conduits en
promenade »22.
Les visites des personnes extérieures sont
autorisées uniquement au parloir et en présence d'une
maîtresse.
Outre le cadre très strict, le port de l'uniforme est
de rigueur au sein des Écoles Normales d'institutrices. Chaque
élève-maîtresse doit porter une tenue très
austère composée d'une robe noire en laine ou cachemire, une jupe
noire, un corsage uni, et en manteau de drap noir. Cette tenue n'est pas sans
rappeler l'habit religieux. Cet uniforme montre que les
élèves-maîtresses appartiennent à un ordre, non pas
religieux, mais laïc et républicain. Hugues LETHIERRY qualifie les
Écoles Normales d'institutrices de « couvents laïcs
»23. Cette expression s'explique par le port d'un uniforme
noir, très austère et par la vie des
élèves-maîtresses en un espace clos, surveillé et
coupé du reste de la société. L'uniforme doit
également être porté lors des promenades hebdomadaires
comme le stipule le décret du 29 juillet 1881 : « Tous les
élèves ont un costume d'uniforme pour les sorties et les
promenades. ». Il s'agit là de montrer à l'ensemble de la
société que les élèves-maîtres et
élèves-maîtresses respectent les traditions
républicaines. L'économe et la directrice de l'École
Normale ont pour mission d'inspecter chaque matin les tenues des
élèves-maîtresses. Le trousseau est à la charge de
la famille.
Les journées des élèves-maîtresses
de l'École Normale de Châlons-sur-Marne sont chargées.
D'après les documents d'archives, le lever des
élèves-maîtresses a lieu dès cinq heures du matin.
S'en suivent deux heures d'étude pendant lesquelles les
élèves-maîtresses peuvent travailler leurs cours. À
sept heures, les élèves-maîtresses se réunissent au
sein du réfectoire pour prendre leur petit déjeuner. S'en suivent
ensuite les tâches d'entretien de l'École Normale assurées
par les élèves. De huit heures à seize ans ont lieu les
cours entrecoupés par des récréations et par la pause du
déjeuner. Les cours du matin sont réservés à
l'enseignement des matières fondamentales telles que les sciences, le
français, les mathématiques, la morale et l'histoire. Entre seize
et dix-sept heures, les
22 Archives départementales de la Marne, 1 T 1841, 29
juillet 1881.
23 LETHIERRY, Hugues, Feu les écoles Normales (et les
IUFM), Paris, L'Harmattan, 1994.
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élèves se retrouvent généralement
pour leur cours de gymnastique. S'en suivent ensuite quatre heures
d'étude entrecoupées par le souper. Le coucher est prévu
à 21 heures pour l'ensemble des membres de l'École Normale. Ce
rythme laisse peu de temps libre, et peu d'opportunité de déroger
au cadre. L'objectif est de contraindre les
élèves-maîtresses à s'habituer à respecter un
cadre bien défini. Ce rythme est défini par la loi du 3
août 1881.
Le contenu des cours dispensés en Écoles
Normales est également encadré par la loi du 3 août 1881.
Cet arrêté prévoie vingt-neuf heures hebdomadaires pour les
élèves-maîtresses de première année,
vingt-sept heures pour les élèves de seconde année et
vingt-six heures pour les élèves de troisième
année. La première discipline mentionnée dans les
programmes de 1881 est l'instruction morale et civique. Cela montre
l'importance accordée à cette discipline dans la formation des
élèves-maîtresses. Une heure d'instruction morale et
civique est prévue par semaine pour les filles, contre deux heures pour
les garçons. Une heure est consacrée à la
pédagogie, une heure à la géographie et une heure aux
sciences naturelles. L'arithmétique, l'écriture et les travaux de
couture font l'objet de trois heures de cours hebdomadaires. Le chant, la
musique et la gymnastique occupent chacune les élèves durant deux
heures par semaine. Le dessin fait l'objet de quatre heures par semaine. La
littérature française donne lieu à six heures de cours
hebdomadaires. Dans ce programme, l'histoire occupe une place importante.
Quatre heures hebdomadaires sont consacrées à l'enseignement de
cette discipline. À l'École Normale d'institutrices de
Châlons-sur-Marne, les cours de dessin, de musique, de gymnastique et
d'arithmétique sont assurés par les maîtres de
l'École Normale d'instituteurs. Le faible nombre d'heures accordé
à ces disciplines ne leur permet pas de travailler dans un unique
établissement.
Cette répartition horaire suscite une
incohérence, à savoir le faible nombre d'heures consacré
à la pédagogie alors même que la mission principale des
enseignants est d'éduquer les élèves et de former des
futurs citoyens. Cela s'explique par le fait que les membres du gouvernement
considèrent à cette époque que la familiarisation valeurs
républicaines s'opère au quotidien à travers
l'apprentissage de l'histoire de France et à travers la vie en internat
dans un espace républicain notamment. La dimension pédagogique de
la formation des élèves-maîtresses de l'École
Normale de Châlons-sur-Marne est assurée par les
conférences pédagogiques mensuelles.
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