c- Les enjeux civiques des conférences
pédagogiques :
Pour apprendre aux futurs maîtres et maîtresses
à enseigner et à transmettre les valeurs républicaines
ainsi qu'à former des futurs citoyens, les Écoles Normales
départementales organisent mensuellement des conférences
pédagogiques auxquelles participent le personnel de l'École
Normale ainsi que ses élèves. Des instituteurs et institutrices
déjà en poste peuvent également assister à ces
conférences.
Chaque École Normale a pour obligation d'organiser des
conférences pédagogiques pour son personnel et ses
élèves-maîtresses. Une conférence est
organisée chaque mois entre le mois de novembre et le mois de juin. Les
conférences n'ont pas lieu en juillet car cette période est
réservée aux examens de passage. De la même manière,
aucune conférence n'est organisée en août et septembre,
période de vacances. Le cycle des conférences reprend seulement
au mois de novembre, soit un mois après la rentrée scolaire.
D'ordinaire la première conférence de l'année scolaire
prend la forme d'une réunion de présentation des
thématiques qui seront abordées tout au long de l'année.
Le choix des thématiques revient aux directeurs et directrices des
Écoles Normales. Bien souvent, ils proposent des thèmes proches
de ceux abordés dans les autres Écoles Normales de manière
à ce qu'il y est une certaine cohérence dans la formation des
différents instituteurs et institutrices. Ces conférences
permettent d'offrir une dimension didactique et pédagogique à la
formation des futurs instituteurs et institutrices. En effet, comme nous
l'avons souligné précédemment, la pédagogie semble
en marge dans les contenus des programmes des Écoles Normales.
L'objectif de ces conférences pédagogiques
organisées dans toute la France est d'homogénéiser et de
renforcer l'identité de l'instruction publique. Elles permettent de
créer un esprit de corps. Le fait que chaque
élève-maître, et chaque maître et maîtresse en
poste puisse assister aux conférences pédagogiques leur permet de
se retrouver et d'échanger sur les finalités de leur
enseignement. Le 30 juin 1829, le Conseil royal de l'instruction publique a
voté un arrêté offrant la possibilité à tout
instituteur d'école primaire protestante d'assister : « à
des conférences ayant pour but le perfectionnement des méthodes
d'enseignement primaire ». Le terme de conférences
pédagogiques apparaît en 1837, sous la Monarchie de Juillet et
sous le Ministère de François GUIZOT. À cette
époque, elles sont assurées par les inspecteurs primaires. Elles
sont l'occasion pour les maîtresses et maîtres de nouer des liens
avec leur hiérarchie autour de valeurs communes. L'arrêté
du 10 février 1837 prévoie une conférence une fois par
mois dans le semestre
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d'hiver et deux fois par mois dans le semestre
d'été. Toutefois, dès les premières
conférences des problèmes sont dénoncés. Le manque
d'organisation est reproché. Le coût des conférences fait
également l'objet de critiques et a contribué à leur
suppression. C'est pourquoi elles sont peu à peu
délaissées, puis abandonnées sous la Seconde
République. Elles sont rétablies par l'arrêté du 5
juin 1880 proposé par Jules FERRY. Cette réhabilitation a
nécessité une réorganisation complète des
conférences pédagogiques afin d'affiner leurs finalités et
de les rendre plus efficaces. Selon Jules FERRY, les conférences
pédagogiques doivent permettre aux instituteurs et institutrices de :
« discuter en commun les questions de méthode, les
procédés et les livres ».
Jules FERRY mentionne dans cet arrêté qu'il
conçoit la conférence pédagogique comme :
« une comparaison des expériences individuelles,
une critique des procédés en usage, une mise en valeur de ceux
qui comportent une part d'originalité »24.
Ces conférences doivent donc être un lieu
d'échanges dans lesquels les maîtres et maîtresses, et les
élèves-maîtres, élèves-maîtresses sont
pleinement acteurs. Ils ne doivent pas se contenter d'assister à la
conférence, mais doivent s'y impliquer. Ils prennent la parole pour
échanger leurs expériences, leurs points de vue, leurs
méthodes et notamment les manières utilisées pour former
des futurs citoyens.
Ces conférences mensuelles sont également
l'occasion de nouer des relations de fraternité entre instituteurs et
institutrices. Le gouvernement républicain intervient dans les
conférences pédagogiques car il souhaite créer une culture
commune avec des valeurs et des idéaux communs à l'ensemble du
corps enseignant.
Un cahier tenu par l'École Normale d'institutrices de
Châlons-sur-Marne regroupant les procès verbaux et comptes-rendus
des conférences pédagogiques ayant eu lieu à
l'École Normale entre 1881 et 1893 nous permet de prendre connaissance
du contenu de celles-ci. Par exemple, le 18 février 188925
les élèves-maîtresses ainsi que les enseignantes, les
maîtresses-adjointes, les membres de la direction sont réunis pour
assister à une conférence pédagogique qui a pour
thème :
24 Arrêté du 5 juin 1880.
25 Carton 1T1866, Conférences pédagogiques, photo
6079, annexes.
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«Un pédagogue contemporain a dit : «
L'instituteur a deux sujets à étudier : les élèves
et lui-même, deux buts à poursuivre : leur éducation et la
sienne ». Quelles conclusions pratiques peut-on tirer de cette
pensée ?». Cette conférence se déroule sous la
présidence de Madame BONNET, directrice de l'École Normale
d'institutrices à cette date. Les interventions sont
réalisées par Madame la Directrice ainsi que par
différents membres du personnel dont Madame BROCARD professeur, Madame
BIDAULT, professeur, Madame MARCHAND, professeur, ainsi que l'économe et
la secrétaire de l'École Normale. À l'issue de chaque
conférence, la secrétaire dresse une analyse du rapport ainsi
qu'un procès-verbal résumant le contenu de la séance. Le
procès-verbal reprend le plan de la séance et note les
éléments d'analyse apportés par les participants. La
première partie de la conférence du 18 février 1889 porte
sur : « la nécessité de connaître l'enfant pour le
diriger ». Dans cette partie, les intervenants conseillent aux
élèves-maîtresses de prendre le temps de «
connaître les aptitudes intellectuelles et morales de
l'élève ». Cette citation montre bien, une nouvelle fois,
l'importance accordée à la morale des élèves.
Celle-ci est en effet au coeur de leur formation de futurs citoyens.
La seconde partie de la conférence porte sur la «
nécessité pour l'instituteur de se connaître lui-même
». Les intervenants abordent ici l'importance du comportement et de la
posture à adopter en tant qu'enseignante. Ils rappellent qu'en premier
lieu l'élève-maîtresse doit : « s'interroger pour
savoir si elle a les qualités essentielles de l'éducatrice
». Il leur est également conseillé de procéder
régulièrement à « leur examen de conscience »,
c'est-à-dire à vérifier s'ils sont eux-mêmes de
bonne morale et s'ils constituent bien un bon exemple à suivre pour
leurs élèves. Rappelons que le maître et la maîtresse
doivent quotidiennement être des modèles civiques et moraux pour
les élèves qu'ils forment.
La troisième partie de cette conférence
s'intitule « l'éducation de l'élève est le but de
l'école ». Cette formulation rappelle bien que l'école a un
rôle éducatif et qu'il ne s'agit pas de former des élites,
mais qu'il s'agit de former des citoyens responsables et éduqués.
Il est également rappelé au cours de cette conférence que,
bien souvent, les parents voient en l'école un lieu d'instruction. Or,
la priorité de l'école et de l'institutrice est en premier lieu
d'éduquer, de former les futurs citoyens et seulement ensuite
d'instruire les élèves. Il est rappelé que : «
l'institutrice doit veiller au développement moral de ses
élèves ». La quatrième partie est consacrée
à « la nécessité pour le maître de se
perfectionner ». Au cours de cette partie, il est rappelé aux
institutrices qu'elles doivent elles aussi travailler à leur
éducation personnelle. L'enseignement de la morale contribue à ce
perfectionnement individuel comme le souligne un intervenant de la
conférence du 18 février
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1889 : « L'enseignement moral profite autant à
celui qui le donne qu'à ceux qui le reçoivent ». Le double
intérêt de l'enseignement de la morale est ici mis en valeur.
La conférence du 20 mars 1890 soulève la
problématique de l'enseignement en milieu rural. En effet, en milieu
rural, les effectifs réduits des élèves entraînent
le regroupement de différents niveaux de classes en un groupe. Ces
rassemblements nécessitent l'utilisation de nouvelles pédagogies
pour assurer l'enseignement et l'éducation des élèves. Les
intervenants rappellent les avantages et les inconvénients des classes
à plusieurs niveaux. Ils mentionnent que cette méthode peut
être utilisée notamment pour les cours de « morale,
d'histoire, de géographie, de leçons de choses ». Cette
méthode pédagogique, issue de la tradition lassallienne permet
notamment de développer certaines valeurs chez les élèves
telles que la solidarité ou la fraternité. En effet, les
élèves plus âgés vont ainsi venir en aide aux
élèves les plus jeunes. Ils vont ainsi leur apporter leurs
connaissances et leurs savoir-vivre. Dans les cours d'enseignement moral, les
élèves apprennent notamment ce qu'est la fraternité, la
solidarité. L'institutrice doit partir d'un cas concret, qui est
familier aux élèves pour leur inculquer cette notion. Elle doit
ensuite leur apprendre à appliquer cette valeur dans leur vie
quotidienne. L'enseignement à plusieurs niveaux dans une même
classe constitue un cas concret pour les élèves pour appliquer
cette valeur qu'est la fraternité. Cette méthode est donc
bénéfique aux élèves les plus jeunes mais
également aux élèves les plus âgés.
L'enseignement dans des classes à plusieurs niveaux permet aux plus
âgés de réactiver leurs connaissances. Cela leur permet de
mieux s'approprier les connaissances et valeurs évoquées en
classe.
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