2) La formation des enseignants du primaire de 1880
à 1905 : le cas de l'École Normale d'institutrices de
Châlons-sur-Marne :
La mission première des institutrices et instituteurs
de la fin du XIXème siècle est de sensibiliser leurs
élèves aux valeurs républicaines et à l'histoire de
leur pays de manière à en faire de futurs citoyens patriotes.
Sous la IIIème République, les membres du gouvernement
considèrent que pour élever l'enseignement du peuple, il faut
d'abord améliorer la formation des maîtresses et maîtres.
Jusqu'à présent délaissée par l'État, la
formation des instituteurs et institutrices dans les Écoles Normales
devient une priorité. Au cours des trois années de formation, les
formateurs veillent à la bonne morale des
élèves-maîtres. L'objectif est de recruter et former des
personnes portant en elles l'amour de leur patrie de manière à ce
qu'elles transmettent ensuite cet intérêt à leurs
élèves. Des critères de recrutement au contenu des cours,
en passant par les conférences pédagogiques, tout vise à
préparer les élèves-maîtresses et
élèves-maîtres à leurs futures missions civiques.
Le processus de scolarisation des filles s'entame
réellement en 1836 La scolarisation des filles s'opère à
deux niveaux, celui de l'école primaire et celui des Écoles
Normales. Afin d'ouvrir l'enseignement primaire aux filles, il est d'abord
nécessaire de former des institutrices. La loi GUIZOT de 1833 oblige
chaque département à entretenir une École Normale pour
garçons et délaisse les filles. Il faut attendre 1836 pour que
l'accès aux Écoles Normales pour les filles soit facilité.
En effet, la loi PELET du 23 juillet 1836 oblige chaque département
à entretenir une École Normale de filles. Suite à cette
loi, le nombre de candidates aux Écoles Normales augmente. De plus en
plus de filles issues de familles d'agriculteurs ou d'ouvriers se portent
candidates, comme en témoignent les procès verbaux dressés
par l'École Normale de Châlons-sur-Marne à partir de 1881.
La plupart sont issues de villages situés dans un rayon de cent
kilomètres autour de l'École Normale. Après avoir ouvert
l'accès au métier d'enseignant aux filles, le gouvernement leur
ouvre l'accès à l'école primaire. La loi FALLOUX
adoptée le 15 mars 1850 demande l'ouverture d'une école primaire
pour filles dans chaque commune de plus de huit cents habitants. La loi DURUY
du 10 avril 1867 encourage l'enseignement primaire féminin. Elle demande
aux communes de proposer des impositions réduites aux familles à
faibles revenus qui scolarisent leurs enfants. Peu à peu, le nombre
d'enfants fréquentant les écoles primaires augmente. À la
veille des lois scolaires de FERRY, une majorité des enfants
français fréquentent déjà l'école primaire.
Toutefois, les progrès de massification de l'école primaire sont
plus présents chez les garçons que les filles. La loi du 28
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mars 1882 rend l'école obligatoire pour tout enfant
âgé de six à treize ans, filles et garçons. La
mixité dans les classes étant peu répandue et face
à la massification de l'accès à l'école primaire
pour les filles il a été nécessaire de former davantage
d'institutrices. Afin d'accélérer le processus d'ouverture des
Écoles Normales pour filles, la loi Jules FERRY du 9 août 1879
rend obligatoire l'ouverture d'une École Normale de filles dans chaque
département dans un délais de quatre ans. C'est ainsi que
l'École Normale d'institutrices de Châlons-sur-Marne voit le
jour.
L'exemple de l'École Normale des institutrices de
Châlons-sur-Marne ouverte le 4 octobre 1880 va être utilisé
tout au long de ce développement pour nous permettre de comprendre
comment les élèves-maîtresses sont préparées
à former leurs élèves et à transmettre leur amour
pour la France. Mon choix s'est porté sur cette École Normale
afin de privilégier un exemple local. La difficile ouverture de
l'École Normale d'institutrices de Châlons-sur-Marne est
également révélatrice des contradictions de
l'époque. Projets et réalité s'opposent. Dès 1808,
sous le Premier Empire, un décret est adopté afin d'instaurer une
formation des enseignants contrôlée par l'État. Si la
première École Normale d'instituteurs ouvre en 1810 à
Strasbourg, elle demeure la seule infrastructure de formation des maîtres
jusque sous la Monarchie de Juillet. Face à ce retard, en 1833, le
Ministre de l'Instruction Publique François GUIZOT oblige chaque
département à entretenir une École Normale d'instituteurs.
Il étend cette mesure aux Écoles Normales d'institutrices.
Toutefois, cette nouvelle mesure ne suffit pas à développer un
système de formation efficace. En 1879, lors de l'arrivée au
Ministère de Jules FERRY, soixante-sept départements sont encore
dépourvus d'École Normale de filles. La formation des
maîtres, et notamment, la formation des institutrices peine donc à
se mettre en place. Si la Marne possède une École Normale de
garçons depuis 1838, elle ne possède toujours pas
d'équivalent pour les filles à cette date. Face à
l'augmentation de la fréquentation des écoles primaires, et
à l'aube des grandes lois scolaires l'amélioration de la
formation des instituteurs et institutrices devient une
nécessité. C'est pourquoi en 1879 Jules FERRY oblige chaque
département actuellement dépourvus d'École Normale de
filles ou de garçons d'ouvrir une infrastructure dans un délais
de quatre ans. L'École Normale d'institutrices de la Marne ouvre ses
portes l'année suivante.
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a- Les conditions de recrutement : Des
élèves-maîtresses devant être de
« bonne morale ».
Les candidates aux Écoles Normales doivent être
habilitées à enseigner pour être recrutées. Pour ce
faire, des règles strictes sont mises en place pour le recrutement des
élèves-maîtresses, et ce notamment comme en
témoignent les archives de l'École Normale des institutrices de
Châlons-sur-Marne. Tout d'abord, depuis 1816, tout aspirant au
métier d'enseignant doit fournir un « certificat de bonne vie et de
bonnes moeurs ». Ce certificat est délivré par le maire de
la commune dans laquelle habite l'aspirante à l'École Normale.
Pour qu'il soit accordé, la personne doit justifier une durée
minimale de trois ans de résidence dans ladite commune. Elle doit
également répondre aux critères de « bonne vie et de
bonnes moeurs ». Les fréquentations, le parcours scolaire et
l'engagement de cette personne dans sa commune sont pris en compte. Le
règlement des Écoles Normales du 2 juillet 1866 instaure un
nouveau certificat à fournir pour entrer en École Normale,
à savoir le certificat de moralité. Celui-ci est
délivré par les chefs des établissements scolaires
précédemment fréquenté par les candidates. Cette
procédure est maintenue sous la IIIème
République. Enfin, à partir de 1886, le Certificat d'Aptitude
Pédagogique doit être obtenu par l'ensemble des
élèves-maîtres et élèves-maîtresses
pour qu'ils soient titularisés.
Sous la IIIème République,
l'enquête visant à vérifier la bonne vie et les bonnes
moeurs des candidats aux Écoles Normales est confiée aux
inspecteurs académiques. Ils font part de leurs résultats lors de
la réunion de commission de surveillance. Ces réunions se
tiennent de manière régulière à l'École
Normale de Châlons-sur-Marne. Elles se tiennent en présence de la
directrice de l'École Normale, Madame GRANET, puis Madame BROCARD pour
notre période, et de l'inspecteur académique, Monsieur MAUCOURT.
L'inspection des dossiers des aspirantes a lieu en juillet, soit trois mois
avant la rentrée scolaire. Le 15 juillet 1881, par exemple, la
commission de surveillance se réunit pour établir la liste des
aspirantes à l'École Normale d'institutrices de
Châlons-sur-Marne pour l'année scolaire 1881-1882. Cette
séance se tient en présence de la directrice, de l'inspecteur
académique, de Monsieur MARSON et de Monsieur PELICIER (ordonnateur des
dépenses). La commission procède à l'examen de l'ensemble
de ces dossiers pour établir la liste des futures
élèves-maîtresses.
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Illustration 1: Liste des aspirantes pour l'année
1881-1882. 1T1840.
Un premier examen a été réalisé
par les inspecteurs primaires afin de vérifier les conditions morales de
ces aspirantes. Chaque dossier est donc accompagné du
procès-verbal individuel de l'enquête faite par les inspecteurs
académiques. Il est parfois arrivé que des aspirantes ne
répondent pas aux critères de bonne conduite et ne puissent donc
pas intégrer l'École Normale. Nous pouvons ici mentionner le cas
de Marguerite CHARLIER, aspirante à l'École Normale de
Châlons-sur-Marne pour l'année scolaire 1882-1883. Cette jeune
fille âgée de quinze ans n'a pas été retenue. Le
motif fourni est celui de non respect des règles de bonne conduite.
Aucun détail n'est fourni pour justifier le choix fait par la commission
de surveillance le 13 juillet 1882.
Outre le fait de devoir fournir certains certificats attestant
leur bonne moralité, les aspirantes à l'École Normale de
Châlons-sur-Marne sont recrutées à un âge
stratégique. Les aspirantes à
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l'École Normale ont entre quinze et seize ans. Cela
signifie donc qu'elle ont quitté l'école primaire moins de trois
ans avant leur recrutement. Elles ont donc encore en mémoire le
fonctionnement de l'enseignement et notamment les finalités de
l'enseignement de l'histoire et de la morale. Les aspirantes doivent
posséder le certificat d'études, certificat perçu comme
une récompense républicaine. Le fait de célébrer
celles et ceux qui réussissent cet examen de fin d'études
primaires permet de célébrer l'école et la
République qui lui a donné une place importante. Les aspirantes
ont donc obtenu ce certificat il y a deux ans en moyenne. L'âge minimal
d'entrée à l'École Normale est de seize ans. Il est
abaissé à quinze ans en 1888 face à une crise des
vocations. En recrutant des élèves-maîtresses si jeunes,
l'objectif est de recruter les meilleures élèves et ainsi
éviter qu'elles ne choisissent une autre orientation à la sortie
de l'école primaire. Cela permet également de recruter des jeunes
filles célibataires, sans vie de famille. Ces aspirantes peuvent donc se
consacrer entièrement à leur formation puis à leur
métier. La commission de surveillance de l'École Normale de
Châlons-sur-Marne vérifie si les aspirantes possèdent bien
l'âge minimal requis lorsqu'elle procède à l'examen des
dossiers. Lors de la commission du 15 juillet 1881, l'une des aspirantes
âgée de 14 ans seulement est automatiquement ajournée
puisqu'elle ne possède pas l'âge minimal requis18.
Enfin, pour intégrer l'École Normale
d'institutrices de Châlons-sur-Marne, les aspirantes doivent
réussir un concours. L'examen des dossiers vise à recruter des
élèves-maîtresses de « bonnes moeurs ».
L'obtention du concours vise à recruter des élèves de bon
niveau. Rappelons que les membres du gouvernement de la
IIIème République considèrent que pour
élever l'enseignement du peuple, il faut élever le niveau des
élèves-maîtresses. Afin de sélectionner les
meilleures élèves, l'École Normale de
Châlons-sur-Marne fait passer deux séries d'épreuves
à ses aspirantes. La première série vise à
établir la liste des élèves admissibles. Pour être
admissibles, les élèves doivent réussir une dictée
de vingt minutes, répondre aux questions qui suivent la dictée,
réussir l'épreuve d'écriture, réussir l'exercice de
composition française s'appuyant sur l'enseignement de la morale,
réussir l'épreuve d'arithmétique et enfin réussir
la composition de dessin. La seconde série d'épreuves permet de
choisir les élèves admises. Elle comporte des interrogations,
notamment sur l'histoire de la France, des résumés de
leçons, un examen de chant, et des exercices de gymnastique. Chaque
épreuve est notée de 0 à 20. Un classement est
établi à l'issue des épreuves. Les élèves
sont classées selon leur mérite.
18 Archives départementales, 1 T 1841, 15 juillet 1881.
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