3 OPTIONS CONCEPTUELLES :
3.1 DEVOLUTION ET INSTITUTIONNALISATION DES SAVOIRS :
Pour l'enseignant, l'acte de dévolution34
consiste en une mise en situation de « tiers exclu » afin de laisser
d'élève en relation avec le problème posé par la
situation d'enseignement-apprentissage (les savoirs). La dévolution
renvoie donc à l'autonomie de l'élève. Il est question de
la responsabilité offerte à l'élève de construire
lui-même son savoir, tant par son autonomie de fonctionnement, que par
son autonomie d'apprentissage (Bruner, 1996).
La dévolution opérante témoigne du sens
que l'élève parvient à mettre dans son activité.
L'acte de dévolution ne se décrète pas.
L'enseignant le construit par le séquençage de sa pratique
(chronogenèse35) et le sens qu'il propose dans ses
activités. C'est un acte lié à l'adidacticité de la
situation proposée. Cette responsabilisation permet à
l'élève de réguler sa démarche et valorise
l'institutionnalisation à venir.
Parce que c'est au milieu que l'élève est
confronté, plus qu'aux exigences de l'enseignant, la dévolution
permettrait de questionner l'apaisement du climat de classe, la relation
à l'échec et au statut de l'erreur.
Pour accepter la dévolution, il est important que
l'élève ait appris à évoluer sans pression
pédagogique directe. Ces compétences n'émergent pas
subitement mais se construisent patiemment. Ces compétences minimales
sont de l'ordre du méthodologiques et sociales de l'acceptation des
rôles sociaux. Elles convoquent la subjectivation de
l'élève. C'est la raison pour laquelle, notre étude
s'intéresse particulièrement à la C.M.S 2 de
collège en E.P.S (assumer des rôles sociaux, prendre des
responsabilités).
L'élève possède déjà des
compétences lors de l'entrée dans les apprentissages. Il a
également des représentations parfois solidement
ancrées. Et l'enseignant agit parfois en actant (Brousseau) la
présence des savoirs faire relatifs aux C.M.S. Aussi, le fait de les
enseigner pourrait être perçu comme peu utile. Mais cela reste un
pari ; celui que les élèves possèdent déjà
des repères suffisant pour apprendre les savoirs disciplinaires. Ce pari
est risqué. Sa perte nuit à la dévolution. D'ailleurs, les
C.M.S sont des savoirs référencés
35 Chronogenèse : Progression dans le savoir
proposé par le professeur et étudié par les
élèves.
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Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
disciplinairement dont il est attendu qu'ils soient
enseignés en même temps que les savoirs moteurs.
Nous pensons que les C.M.S sont des vecteurs de
dévolution, qu'elles optimisent l'institutionnalisation des
connaissances. Cela dans la mesure où leur inclusion aux situations
d'enseignement-apprentissage valorise l'adidacticité des milieux,
révélant ainsi, un niveau stratégique plus
élevé (et moins couteux) des procédures de
l'enseignant.
Lors du passage à l'évaluation, cet enseignement
des C.M.S pourrait présenter un intérêt. Lorsque
l'élève a été formé à la validation
de ses procédures, il a développé des attitudes propices
à la prise d'information sur lui, sur les autres. Ainsi,
l'évaluation peut être facilitée lorsque
l'élève est en mesure de produire des observations pertinentes et
étayées par les outils utilisés (fiches
d'évaluation du projet pédagogique, matériel (ressources
éducatives)). L'enseignant pourrait ainsi envisager une
dévolution opérante y compris en évaluation.
Il existe cependant un paradoxe dans le fait que pour mieux
transmettre, il faille se mettre en retrait. Cela demande à l'enseignant
de faire preuve de lâcher-prise. Le désir de transmettre de
l'enseignant pourrait être contrarié par le laisser-faire
supposé de la dévolution.
L'acte de dévolution est utile pour permettre à
l'élève de se sentir le véritable auteur des
compétences acquises. C'est le gage d'une motivation intrinsèque
et d'un gain narcissique qui serait particulièrement pertinent en
éducation prioritaire, ou avec des élèves à B.E.P.
En outre, la dévolution encourage à la formulation et à la
validation de ses stratégies d'action.
« La prise en compte "officielle" par
l'élève de l'objet de la connaissance et par le maître, de
l'apprentissage de l'élève est un phénomène social
très important et une phase essentielle du processus didactique : cette
double reconnaissance est l'objet de l'institutionnalisation.» (Brousseau
et al, 1998a, p.311)
« Les processus d'institutionnalisation et de
dévolution sont complémentaires (Margolinas, 1993), en effet, la
dévolution d'une situation adidactique n'a de sens, dans le cadre de la
théorie des situations, que si préexiste une intention
d'enseigner des savoirs et des connaissances, dont le processus
d'institutionnalisation gère la finalité didactique. »
(Margolinas & Laparra, 2008, p.7)
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Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
Notre projet procède en tentant de jouer sur les
rôles de l'enseignant, des élèves et la dévolution
(via les C.M.S) afin de permettre une meilleure
institutionnalisation*36 des savoirs pour tous les
élèves ; dépassant ainsi les limites de la
médiation de l'enseignant (qui ne peut pas agir sur tous en même
temps à lui seul).
Lors de l'institutionnalisation, l'élève/la
classe intègre la nouvelle connaissance à son patrimoine
symbolique. Il est aidé du professeur qui explicite le statut du savoir.
Les connaissances changent de statut. La nouvelle connaissance est
étiquetée « savoir officiel ». Chacun peut la retenir
et l'appliquer. C'est un temps faisant toujours l'objet d'une
négociation dans une dialectique autour du savoir recomposé.
Une institutionnalisation prématurée interrompt
la construction du sens, nuit à l'apprentissage, met le maître et
les élèves en difficulté. A l'inverse, trop tardive, elle
renforce les interprétations inexactes, ralentit l'apprentissage et
gêne les applications ultérieures.
Notre intention s'accompagne d'une précaution
nécessaire. Il faudra éviter les dérives d'une
dévolution favorisée par les C.M.S. En effet, selon Laparra et
Margolinas (2008)37 lorsque la dévolution se centre sur
l'activité déployée, le « faire » et les
attitudes des élèves (comme de l'enseignant), le risque est que
l'institutionnalisation des savoirs soit affaiblie en raison d'une mise
à l'arrière-plan des savoirs et des connaissances visées
(malgré un dispositif didactiquement pertinent).
« En mettant l'accent sur ce qui manquait à un
enseignement frontal des savoirs par trop dogmatique, en caricaturant
peut-être au passage les modalités de cet enseignement (il faut
parfois le faire pour faire « bouger le système »), les «
novateurs » n'imaginaient sans doute pas que les savoirs et les
connaissances pourraient ainsi devenir une sorte de décor aux
interactions entre le professeur et les élèves. »
(Margolinas & Laparra, 2008, p11)
L'enseignant au sein de situations adidactiques, va proposer
et gérer un milieu auquel l'élève va s'adapter. Lors de la
phase d'institutionnalisation, l'enseignant aura à gérer
l'arrêt de la dévolution.
En effet, l'institutionnalisation ne peut pas s'inscrire dans
une situation adidactique (Brousseau, 1998) qui consisterait à
écarter l'enseignant de la situation, en se tournant exclusivement vers
l'élève. La dévolution ne peut dont pas être
prolongée lors d'une phase d'institutionnalisation. Le rôle de
l'enseignant y est différent. Il « reprend la main ». Il
doit
36 * passage d'une connaissance de son rôle de moyen de
résolution d'une situation d'action, de formulation ou de preuve
à un nouveau rôle : celui de référence pour les
utilisations futures. La résolution de problème peut devenir
théorème ou méthode. C'est le processus dans et par lequel
le professeur signifie aux élèves les savoirs ou les pratiques
qu'il leur faut retenir comme les enjeux de l'apprentissage attendu.
(Brousseau, 1998, p311)
37 LAPARRA M & MARGOLINAS C. (2008). Quand la
dévolution prend le pas sur l'institutionnalisation. Actes du
colloque «Les didactiques et leur rapport à l'enseignement et
à la formation», Bordeaux
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Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
réapparaître. Comme le souligne Margolinas, lors
de la dévolution l'enseignant délègue la
responsabilité à l'élève alors que lors de
l'institutionnalisation, la responsabilité revient à l'enseignant
de transformer la connaissance de l'élève en un savoir
décontextualisé (Garenaux, 2013).
Notre ambition est d'observer qui de l'élève ou
de l'enseignant réclame l'arrêt de la dévolution
(ré-référencement de l'enseignant) par ses interventions
ou, à défaut, par (la lisibilité de) ses productions, la
motricité.
À ce moment, le professeur choisirait la manière
dont il aurait à revenir à l'aide d'interventions explicitant les
savoirs qui étaient attendus, d'ostensions qui pourraient compenser les
insuffisances de la dévolution ou la perte de sens que
l'élève injecte dans son activité.
L'enseignant, garant de la gestion de la situation,
identifierait les interventions pertinentes afin de produire les plus grands
effets possibles. À ce moment précis, il choisirait la
manière (classe entière, petit groupe, élève seul ;
évolution de la situation, variable, correction) dont son intervention
mettrait en valeur les connaissances utiles, les procédures
validées.
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