2.1.4 LA THEORIE DES SITUATIONS DIDACTIQUES :
La théorie des situations didactiques (Brousseau,
Balacheff, Cooper, & Sutherland, 1998b) servira de cadre théorique
à notre étude.
« La théorie des situations
mathématiques apparaît en 1970. Elle est née comme simple
méthode de description et d'interrogation mathématique des
dispositifs psychologiques et didactiques. » (Brousseau, 2011, p2)
Son intention est de modéliser les conditions sous
lesquelles les êtres humains produisent, communiquent et apprennent les
connaissances. Ces conditions sont modélisées par des
systèmes appelés situations, qui conduisent des agents en
interaction avec elles à manifester cette connaissance.
Les situations se distinguent par leur structure, leurs
règles, leur fonctionnement, les formes de connaissances produites, etc.
Une situation est l'ensemble des circonstances dans lesquelles une personne se
trouve, et des relations qui l'unissent à son milieu.
Une situation est non-didactique lorsqu'il n'y a pas
d'intentions déclarées de transmettre a priori.
Une situation est didactique lorsqu'un individu a l'intention
d'enseigner à un autre individu un savoir donné. L'enseignant
garde la responsabilité de la présentation du savoir.
L'environnement, le milieu de l'actant-élève y
est manipulé par l'actant-enseignant grâce à ses
intentions, sa compétence et ses obligations.
28 PERRENOUD P. (1993), « Curriculum : le formel, le
réel, le caché. », Université de Genève.
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C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
Nous nous attacherons surtout à parler des situations
adidactiques.
Une situation adidactique est la part d'une situation
didactique dans laquelle l'intention d'enseigner n'est pas explicite au regard
de l'élève. Le milieu est chargé des intentions.
L'élève a la responsabilité de construire ce qu'il a
à savoir (usage de la dévolution). Il réagit comme si la
situation était non didactique (absence d'actant-enseignant). C'est
à l'élève d'y prendre des décisions, d'engager des
stratégies, et d'entrer en activité.
Les situations adidactiques sont définies de la
manière suivante :
- « Le maître se refuse à intervenir
comme possesseur des connaissances qu'il veut voir apparaître.
L'élève sait bien que le problème a été
choisi pour lui faire acquérir une connaissance nouvelle mais il doit
savoir aussi que cette connaissance est entièrement justifiée par
la logique interne de la situation. » (Brousseau et al, 1998a,
p59)
- « dans les situations adidactiques, les
interactions des élèves avec le milieu sont supposées
suffisamment « prégnantes et adéquates » pour qu'ils
puissent construire des connaissances, formuler des stratégies d'action,
valider des savoirs en utilisant les rétroactions de ces milieux sans
que leur activité ne soit orientée par la nécessité
de satisfaire aux intentions supposées du professeur » (Sensevy,
2011)29
Dans l'acte d'enseignement, il faut qu'à un moment
donné le savoir soit rendu public. C'est le but de
l'institutionnalisation. Cette institutionnalisation relève de
l'enseignant. Il y confirme les savoirs que l'élève a
manipulés pour apprendre. Notre travail questionne les modalités
de cette institutionnalisation. L'enseignant se met en retrait puis
réapparaît dans des moments clés (pour
l'élève) pendant les situations et en dehors. Les occurrences de
l'enseignant pendant les situations nous intéressent
particulièrement. Cela notamment alors que notre intention est de jouer
sur l'adidacticité des situations.
Brousseau définit trois types de situations
adidactiques qui graduellement conduisent l'élève à
préciser les connaissances utilisées pour résoudre un
problème. Ces trois types de situations sont préparatoires
à l'institutionnalisation des connaissances :
- Les situations d'action : l'élève dialogue
avec la situation. Il se confronte au problème rencontré et juge
des actions qu'il met en place.
- Les situations de formulation : l'élève
explicite le moteur de son action à l'aide des outils dont il dispose,
qui lui sont fournis. La formulation est une validation empirique
(insuffisante).
29 SENSEVY, G. (2011). Le sens du savoir. Éléments
pour une théorie de l'action conjointe en didactique. Bruxelles : De
Boeck
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C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
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- Les situation de validation : l'élève par la
répétition, la mise à l'épreuve orale et/ou motrice
de ses solutions, surmonte la contradiction de ses pairs, du professeur, du
milieu et confirme la pertinence de ses procédures.
Nous formulons l'hypothèse qu'habituellement
l'enseignant, soucieux de la transmission des savoirs à enseigner et de
la maîtrise du déroulement du cours, privilégie les
situations d'action au détriment d'un équilibre avec celles de
formulation, de validation.
Dans cet intervalle, se jouerait la perte de sens
accordé aux activités par l'élève (qui serait dans
le faire alors qu'il demande à Être) ; se jouerait
également l'affaiblissement et l'efficience de temps
d'institutionnalisation prématurés (et donc de
référencement de la connaissance).
Le poids du contexte, le rôle de l'élève,
de l'enseignant mais aussi les modes de présentation des savoirs
(médiation, médiatisation) questionnent la nature et le niveau
requis de didactisme des situations pour optimiser les effets de
l'enseignement.
Notre projet se situe dans le champ de la validation d'une
option didactique. Il s'agit d'augmenter le niveau des relations entre
élèves (C.M.S 2 de collège) au contact des savoirs afin
que ces derniers les investissent, leurs donnent du sens. Aussi, les conditions
du problème posé doivent permettre que s'expriment le
questionnement sur la situation, et, le besoin des savoirs qui permettraient de
réussir. Cela suppose une évaluation préalable
précise des besoins éducatifs.
Cette délégation doit être pensée
pour éviter la dispersion des attentions et les perturbations. Le
truchement du pair, partenaire mais aussi la confrontation à une phase
d'exploration cadrée permettent à l'enseignant de choisir la part
de responsabilité de la consigne (dévolution*30) qu'il
transmet aux élèves.
Après avoir explorés les solutions possibles,
les élèves peuvent témoigner de ce qui leurs semble
fonctionner ou non. Ils reviennent vers l'enseignant. Le professeur est alors
référencé avec une légitimité
conférée par l'élève.
Pour Lacan et en didactique clinique, il est le « sujet
supposé savoir ». Cela tant en raison du fait qu'il soit l'auteur
de la situation, que parce qu'il est dépositaire des connaissances dont
l'élève identifie qu'elles lui permettront de réussir
pleinement. Cette question de la légitimité et du rôle de
l'enseignant est au coeur de mes préoccupations. Il s'agit
30 *« La dévolution est l'acte par lequel
l'enseignant fait accepter à l'élève la
responsabilité d'une situation d'apprentissage (adidactique) ou d'un
problème et accepte lui-même les même les
conséquences de ce transfert ». Le professeur fait en sorte que les
que les élèves assument leur part de responsabilité dans
l'apprentissage. (Brousseau, 1998, p303)
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Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
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de dépasser l'écho affectif de la pratique et de
la relation avec l'enseignant. Cela concerne d'autant plus les
élèves en difficulté scolaire qui «
attribue(nt) avant toute chose un sens émotionnel aux
activités et aux paroles qui lui sont proposées» (Therme
Pierre, 2002)31
L'activité de l'élève préside
à l'organisation de l'enseignement. Dans les situations de nature
adidactique, c'est la posture de l'enseignant et la sémiotique du savoir
dans le milieu qui changent. Cela favorise le glissement, la formulation et la
validation des stratégies. Le curseur va se déplacer davantage
sur la logique d'apprentissage que sur la logique interne de l'APSA. Cela
permet en retour l'étayage32 des élèves en
difficulté par ceux compétents, et, pour l'enseignant, une prise
de distance propice aux remédiations.
Au sens de Malabry (2011)33, notre ambition est
d'étudier comment des styles de médiation permettent au temps
d'enseignement et au temps d'apprentissage de s'équilibrer, se confondre
ou encore s'enrichir. Dans une approche pragmatique et
épistémologique, se sont sur les dimensions sémiotiques
(production, codification et communication des signes) des situations que nous
entendons jouer afin d'inclure le désir de l'enseignant dans les
fonctionnements des situations d'enseignement-apprentissage via la prise de
responsabilité et l'usage de rôles sociaux.
31 THERME P. (05/2002) L'élève et l'adolescent.
Perspectives psychologiques. INRP, Centre Alain SAVARY
32 Au sens de BRUNER, J.S. (1983). « Le rôle des
interactions de tutelles dans la résolution de problèmes ».
Le développement de l'enfant, savoir-faire savoir dire. Paris : PUF,
p.261-280
33 MALABRY Y. (2011) Colloque international INRP : Le travail
enseignant au XXIe siècle Perspectives croisées : didactiques et
didactique professionnelle, 16, 17 et 18 mars 2011
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