11 DISCUSSION
Cette partie a vocation à répondre à nos
questions de recherche au regard des résultats
précédemment énoncés. A l'approche du terme de ce
travail et dans le cadre de l'ingénierie didactique, notre intention est
de recouper les interrogations autour de l'option théorique qui est la
nôtre, avec les résultats de l'expérimentation
menée.
Pour commencer, nous constatons que les deux cycles ont
produit des effets sur les apprentissages des élèves. Le cycle
où la C.M.S 2 a été incluse aux situations d'enseignement
semble cependant amplifier les effets observés.
11.1 PREMIERE QUESTION DE RECHERCHE :
Notre première question était relative à
la qualité de l'institutionnalisation, de la dévolution et de
l'efficience de la C.M.S 2 :
Rappel : L'institutionnalisation des
savoirs relatifs aux C.M.S peut-elle favoriser la dévolution et
l'institutionnalisation des savoirs nécessaires à l'acquisition
de la compétence attendue en natation de vitesse ? Les liens entre
savoirs moteurs et non moteurs favorisent-ils l'acquisition des
compétences attendues en E.P.S ?
Réponse à la question :
Au regard des résultats, nous constatons que
l'institutionnalisation, des savoirs relatifs aux C.M.S, a facilité
l'accès à la compétence attendue en natation de vitesse
pour le niveau 1. Cette tendance se manifeste particulièrement chez les
élèves à Besoins Educatifs Particuliers, ceux les plus en
difficulté en natation de vitesse.
Ainsi, la réponse à notre question peut être
affirmative.
Une action positive sur la dévolution :
La maîtrise des savoirs non-moteurs relatifs à la
C.M.S 2 semble améliorer la qualité de la dévolution
(augmentation du temps de pratique, d'autonomie, centration des
remédiations sur les apprentissages, baisse du volume de rappel sur la
consigne et de la pression pédagogique auprès des groupes ou de
la classe ; §10.2 et 10.3). Cette dernière permet à
l'enseignant de se dégager de la conduite de classe et de se centrer sur
les apprentissages à
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Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
faire réaliser. L'enseignant, moins occupé
à gérer la consigne, passe davantage de temps à faire
travailler ses élèves (Cf. entretien après-coup Jeanne,
§10.5). Malgré la « liberté » qu'il laisse aux
élèves, il parvient à composer avec son désir
d'emprise79 grâce à la lisibilité de
progrès qui le rassurent.
Renforcée, la dévolution favorise «
l'apprendre » des élèves sur « le faire ».
En valorisant la C.M.S 2 incluse aux situations, la
dévolution apaise le climat de classe et l'enseignant.
Le temps de pratique effective des élèves
augmente et permet davantage de répétitions, d'interactions avec
les milieux didactiques (§10.3).
En conséquence, les temps d'institutionnalisation
s'organisent davantage autour des connaissances que l'enseignant souhaite
valider chez ses élèves (Cf. nature des temps de fin de
séance des enseignants dans le cycle CMS 2 incluses).
L'inclusion des compétences méthodologiques et
sociales au sein des situations didactiques optimise le temps didactique au
sens où l'élève reçoit des occasions
supplémentaires de formuler, tester et valider des stratégies
d'action pour réussir.
La qualité de l'enseignement se joue autant dans la
proposition de milieu adidactique inclusif que dans la nature et la
qualité du retour de l'enseignant lors des phases de dévolution
et d'institutionnalisation.
Cette dévolution est une variable sensible. Au sens de
la didactique clinique, il est possible qu'elle représente un impossible
à supporter pour l'enseignant. Son désir d'emprise y est
attisé. Il est alors renvoyé à son histoire personnelle et
à sa contenance. Anticipée, cette difficulté est
réduite. L'enseignant s'apaise et réduit sa fatigue
professionnelle.
Une institutionnalisation perlée des
savoirs :
Nous remarquons que l'institutionnalisation devient parfois un
élément de différenciation. Lors du travail dans le cycle
C.M.S 2, les regroupements sont moins nombreux ; les variables sont
proposées aux petits groupes, et, au fur et à mesure de
l'atteinte des critères de réussite. Des temps
d'institutionnalisation s'intègrent aux temps de pratique des
élèves de manière perlée et officieuse.
Dans un contexte où l'élève autonome
reste immergé plus longtemps dans le milieu didactique, les pratiques
ostensives (Salin, 1999) de l'enseignant sont utilisées pour rappeler la
consigne ; des éléments d'institutionnalisation sont quant
à eux livrés pour renforcer la
79 Désir d'emprise : besoin de se sentir
responsable de quelque chose dans les apprentissages des
élèves.
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Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
validation des stratégies des élèves, et,
en conséquence, induire une évolution du travail donné.
Les élèves concernés sont en mesure
d'être à leur tour des ressources de la séance.
Ainsi, « Le maître que nous observons ne tombe
pas dans ce travers (celui de la passivité) : il intervient
judicieusement, sans empiéter sur les connaissances cruciales pour la
résolution du problème et la découverte des
procédures adéquates. » (Margolinas & Laparra, 2008,
p.6)
Explicitation du contrat didactique et
désir de l'enseignant :
Le manque de coordination entre dévolution et
institutionnalisation mais aussi la moindre présence de
dévolution affaiblissent le contrat didactique, dans la mesure
où, cela rend le projet didactique de l'enseignant flou aux yeux de
l'élève. L'implicite présent par nature dans le contrat
didactique envahi l'élève qui ne comprend pas ce qui est attendu
de lui. Si l'enseignant, ou la situation qu'il propose, n'explicite pas assez
ce qui est attendu, alors, l'élève questionne son investissement.
Il peut également s'éloigner d'une gestion de son activité
via son identité d'élève.
L'explicitation du projet didactique participe à
l'explicitation de la mise en avant du désir de transmettre de
l'enseignant (Girard, 1961), de ses intentions. Ainsi, si le désir
d'apprendre de l'élève s'oriente vers le désir d'enseigner
du professeur, cela génère l'investissement
d'élèves qui voient, enfin, quel sens injecter dans la pratique
qui leurs est proposée.
Selon M-F Carnus, le projet didactique renvoie au
déjà-là intentionnel de l'enseignant au sein duquel se
« niche » le désir d'enseigner. Le contrat met en scène
les désirs d'enseigner et d'apprendre à travers un jeu
d'influences et d'attentes réciproques entre enseignant et
élève(s).
C'est de la nature du désir de l'enseignant et de ce
qu'il s'autorise à en expliquer auprès des élèves
qu'il s'agit. Ainsi, selon que le désir se porte sur la performance ou
sur l`apprentissage, sur le maintien du calme ou sur la bienveillance,
l'élève transcrit dans son comportement la part de désir
identifié qu'il fait sien.
De l'orientation du désir et de l'intention de
l'enseignant dépend l'inclinaison de l'élève pour tout ou
partie de l'apprentissage ; son intérêt pour l'identité
d'élève.
L'engagement et l'investissement de l'élève
dépendrait-il de la nature du désir qu'il identifie chez son
professeur ?
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Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
Centration des enseignements sur les savoirs
à enseigner :
L'enseignant assujetti à l'institution est soumis au
paradoxe d'injonctions pas toujours réalisables. Se sentant en
difficulté avec la réalisation de la commande, il éprouve
non seulement du déplaisir, mais intensifie plus ou moins consciemment
sa centration sur ce que l'institution attend de lui : la transmission des
savoirs à enseigner.
Dans ces conditions, la centration sur les savoirs à
enseigner peut-être de nature à occulter une part des attentes des
élèves, et notamment celle liée au plaisir à agir,
à apprendre. Cette absence du plaisir, part vivante et dynamisante de la
transmission, désincorpore des savoirs que les élèves
peinent à référencer. L'expérience
répétée du déplaisir, ou encore, le manque de
plaisir amène l'élève à envisager l'acquisition des
savoirs comme une épreuve à valence négative.
Chez Serge, la prise en compte de l'élève est
permanente, mais, l'enseignant, pris dans la gestion de ses missions, valorise
davantage les savoirs à enseigner que les savoirs enseignés. Le
savoir à transmettre prend le pas sur le savoir retenu/appris par
l'élève ; le curriculum réel sur le curriculum
réalisé en raison de celui qui serait caché (Perrenoud,
1993b).
La réussite de l'enseignement se juge à
l'atteinte de la compétence attendue. Elle agit sur la valeur
professionnelle que l'enseignant s'accorde quotidiennement. Celle qui lui
serait accordée par les cadres d'inspection pédagogique
également.
Au sens d'Erwing Goffman (1974), l'enseignant, dès lors
qu'il se sent en difficulté dans l'exercice de sa mission, s'organise
pour gérer « la face » malgré la culpabilité
générer par son assujettissement.
La place de la performance motrice dans les
enseignements :
Cette proposition émerge à l'observation des
initiatives de Serge et de son discours (« les C.M.S manquantes »)
lors des temps d'institutionnalisation. Contraint à moins inclure les
C.M.S à ses situations, il se recentre sur la performance produite des
élèves plutôt que sur les contenus d'enseignement à
valoriser.
En conséquence, les déclarations d'apprentissage
de ses élèves sont qualitativement et quantitativement moins
élaborées que pour Jeanne.
La centration sur la performance (chez Serge), comme moyen
d'atteindre la compétence attendue, est un choix qui témoigne du
souci de faire réussir les élèves. Je comprends la
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Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
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centration sur la performance comme un moyen pour le
professeur de gérer la commande initiale des textes officiels :
l'atteinte de la compétence attendue.
En E.P.S, celui dont les ressources motrices sont puissantes,
celui qui est performant, accède plus facilement à la
réussite.
L'enseignant sous tension, pour éviter de « perdre
la face » va à l'essentiel. Cet essentiel qui fait également
écho à son déjà-là expérientiel
d'ancien sportif confirmé voire de haut niveau. Parce que la performance
renvoie plus vite à la notion de réussite (Chomsky, 1971b), il
cherche à voir, et organise prioritairement la performance de ses
élèves plutôt que leurs apprentissages car c'est elle qui
exprime la compétence atteinte. Il lui faut voir que ce qu'il propose
est utile aux élèves.
Ce faisant, il se recentre sur des situations d'enseignement
proches de la logique interne80 de l'A.P.S.A, plutôt que sur
l'originalité de situations d'apprentissage ciblant la réussite
des élèves. Une des conséquences de cette translation est
la valorisation de pratiques d'évaluation.
A mon sens, cette inclinaison éloigne
l'élève de la finalité de l'E.P.S (surtout celui en
difficulté) car, dans l'implicite, seuls les savoirs moteurs sont
considérés comme importants. Pourtant, les savoirs non moteurs
des C.M.S sont, eux aussi, disciplinaires (Cf. formulation des
compétences attendus).
La valorisation de la performance dans son enseignement
pourrait amener l'enseignant à se retourner tant sur ses tensions
professionnelles que personnelles, sur la manière dont il se sent
influencé (ou refuse de le ressentir) par sa condition
professionnelle.
Bien que la performance physique soit non négligeable,
faire réussir tous les élèves nécessite que
l'enseignant pense la réussite autrement. Cet « autrement »
fait « l'étendue, la richesse et la complexité de ses
missions »81 (Delignières & Garsault, 2004) ; il se
joue dans l'équilibre idéal que le professeur, seul et en
équipe, parvient à instaurer entre l'objet et le moyen de
l'E.P.S.
J'en déduis que lorsque l'enseignant néglige le
rôle de moyen des A.P.S.A, il tend à déshumaniser son
enseignement. Seuls ceux qui se reconnaissent dans l'enseignant seraient alors
tentés de « le suivre ». Ainsi, la présence de la
performance en E.P.S peut se penser au travers de l'objectivité avec
laquelle l'enseignant gère son assujettissement institutionnel.
80 Selon Pierre Parlebas, la logique interne «
intègre les règles constitutives, l'esprit et la signification
essentielle de l'activité physique et sportive »
PARLEBAS, P. (1981) Lexique commenté en sciences de
l'action motrice, Paris, INSEP
81 « Ce qui protège l'enseignant
d'éducation physique et sportive face aux entraîneurs et aux
brevetés d'Etat, ce n'est pas sa polyvalence : c'est l'étendue,
la richesse et la complexité de ses missions. »
Delignières et Garsault, 2004, Libre propos sur l'EP,
p180
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Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
De tout temps, la présence scolaire de l'E.P.S s'est
jouée dans des relations étroites d'interdépendances entre
l'institution, ses acteurs et ses agents.
La performance des corps a constamment été un
enjeu pour l'institution scolaire. Que ce soit pour la guerre, au plan
sanitaire, pour le rayonnement national ou encore aujourd'hui
l'adaptabilité sociale, la noosphère (avec des niveaux de
conscience à interroger) crée l'assujettissement des agents, afin
d'organiser celui des corporéités.
C'est avant tout les élèves performants qui
restent sensibles à un enseignement valorisant la performance.
L'inclusion de savoirs non moteurs, issus des rôles sociaux et de la
prise de responsabilité par les élèves, favorise la notion
d'effort, plutôt que celle de performance. Les élèves en
difficulté sont en mesure de mettre autant de sens que les autres dans
leur activité. Cela dès lors que l'enseignant intègre
qu'il a à se centrer sur ce que chacun pourrait être en mesure de
réaliser.
L'enseignant est responsable de cet équilibre fragile
et contingent qu'il installe. Centré sur les savoirs moteurs, il court
le risque d'affaiblir la qualité de la relation avec ses
élèves. Les élèves peuvent vivre l'enseignement de
manière anomique. Ils se démotivent. A l'inverse, si les
élèves perçoivent trop d'exigences, l'interaction
savoir-sujet s'affaiblit et l'élève se décentre des
savoirs visés (Cf. § 10.3 tableau 11 ; volume d'interventions
à caractère éducatif plus importants chez Serge).
L'épreuve des apprentissages :
La notion d'épreuve renvoie au mode d'accompagnement de
l'élève (Carnus, 2013), voire à la carence dans la
participation de celui qui sait, l'adulte, le parent, l'enseignant.
Le déséquilibre nécessaire à
l'apprendre est compliqué par des motivations qui s'érodent, des
résignations qui s'apprennent.
C'est la confiance et le sens de l'effort qui
s'éteignent lorsque l'encouragement intrinsèquement porté
par le milieu est absent (Cf. holding chez Winnicott ; Blanchard-Laville, C.
(2001) propose de s'orienter « vers un holding didactiquement bien
tempéré » (Ch12)). Pourquoi un élève
s'investirait, s'il s'ennuie ou connaît la vacuité de ses
efforts?
La forte valorisation de la réussite introduit un biais
en affaiblissant la valeur de l'effort consenti. La compétence est une
notion binaire et polychrone (« polychrone » au sens de Gwiazdzinski,
2012a). Elle s'inscrit dans une visée développementale.
Je suis compétent ou je ne le suis pas à ce
moment-là.
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Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
Pas besoin d'une autre forme d'échelle (sauf si
l'effort n'a pas la même valeur d'un élève à
l'autre).
Ne pouvant ignorer que le mérite des
élèves se lit au filtre de leurs besoins éducatifs
(particuliers ou non), les enseignants jouent surtout avec leur expertise pour
gérer la difficulté scolaire.
La primauté d'une reconnaissance de la réussite
sur celle des efforts réalisés induirait-elle un affaiblissement
de la confiance à celui qui sait, de la valeur du savoir ?
Tout apprentissage a un coût qui interroge l'affectif,
le sensible. Je pense que la qualité d'un apprentissage ne devrait pas
se juger à ce qu'a dû endurer celui qui l'a réalisé.
Le milieu didactique, parce qu'il organise les interactions
enseignant-élèves-savoirs est vecteur d'un apaisement qu'il
serait prometteur de rechercher. L'élève ne rechigne pas à
l'effort, il demande simplement à ce qu'il fasse écho à
son désir d'apprendre. Il cherche à ce qu'il ait un sens faisant
avant d'accepter l'inconfort lié à l'apprendre (à son
engagement).
En l'absence de sens, dans l'épreuve, l'inconfort
devient douleur.
Une réduction de
l'hétérogénéité à l'entrée
dans le cycle favorable à la finalité de l'E.P.S :
Nous constatons que la présence de la C.M.S 2 au sein
des situations permet, via la plus forte progression des élèves
en difficulté, d'homogénéiser le niveau d'atteinte de la
compétence attendue.
La dialectique créée entre savoirs moteurs et
savoirs non moteurs, à l'intérieur des situations incluant la
C.M.S 2, améliore l'effectivité de l'enseignement grâce
à la réduction de
l'hétérogénéité qu'elle propose, mais aussi,
parce que la compétence attendue est poursuivie dans sa
globalité.
L'articulation entre les savoirs issus de la C.M.S 2 et ceux
issus de la motricité de l'élève optimise à court
terme l'atteinte de la compétence attendue. S'il y a des effets
différés chez les élèves, nous pouvons faire
l'hypothèse qu'ils sont présents même s'il n'y a pas
simultanéité de leur expression. A long terme, nous pouvons donc
supposer (à vérifier) que cette articulation autour du pôle
des savoirs favorise l'atteinte de la finalité de l'E.P.S.
La présence de C.M.S au sein des situations crée
des conditions pour que l'élève soit acteur de ses
apprentissages.
Cette inclusion aux situations m'apparaît comme le gage
d'un renouvellement des pratiques enseignantes afin que, ressource de la
trajectoire d'apprentissage, le professeur accompagne l'élève en
déplacement vers la compétence visé, plus qu'il n'assiste
passivement à sa réussite ou à son échec.
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Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
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