PARTIE 2 : Un droit public contraignant responsable du
retard de la France dans le développement des EMR
Le rapport de la mission d'études sur les
énergies marines renouvelables, réalisé à
l'initiative du Ministère de l'écologie et du Ministère
des finances, le dit lui-même : « les projets EMR sont soumis
à un ensemble complexe de règles juridiques, source probable de
retards sinon de contentieux. Ce cadre législatif et
réglementaire mériterait donc d'être simplifié, tout
en conservant un niveau élevé de protection de
l'environnement96 ». On constate en effet en France un nombre
élevé de barrières administratives freinant l'installation
de parcs EMR (Chap. I), cumulé à une volonté politique de
préservation de l'environnement, contraignante pour l'implantation des
projets EMR en France (Chap. II).
Chapitre I : les contraintes administratives relatives
aux énergies marines renouvelables
Il existe de nombreux textes en droit français traitant
des installations en milieu marin, lui permettant de disposer d'une
procédure détaillée qui devrait en principe favoriser
l'implantation de parcs EMR le long des littoraux français. Bien au
contraire, le droit français a créé un système
d'autorisations administratives stratifié et peu lisible, source de
désintérêt des investisseurs pour les énergies
marines renouvelables. Les candidats à l'exploitation d'EMR doivent en
effet remplir plusieurs conditions pour pouvoir exploiter des EMR (I), tandis
que la nature des zones où sont exploitées les installations EMR
nécessite l'obtention d'autorisations supplémentaires (II).
I. Les conditions à remplir par les candidats pour
exploiter des énergies marines renouvelables
Les candidats sont en premier lieu sélectionnés
suite à un appel d'offres (A) et doivent ensuite obtenir une
autorisation d'exploitation (B).
A. Le choix des candidats par procédure d'appel
d'offres
Chaque candidat est mis en concurrence au travers d'un appel
d'offres (1) défini par un
96 Rapport de la mission d'étude sur les énergies
marines renouvelables, mars 2013, p.4
38
cahier des charges (2) aboutissant à l'attribution de
sites dans lesquels seront construits les parcs EMR (3).
1) Procédure applicable aux appels d'offre
a) Textes applicables
Le système d'appel d'offres trouve son origine dans
une directive européenne de 1996 disposant en son article 4 que les
États membres peuvent choisir entre un système d'autorisations
et/ou d'appel d'offres concernant toutes les nouvelles installations de
production (Directive 96/92/CE du parlement européen et du conseil du 19
décembre 1996 concernant des règles communes pour le
marché intérieur de l'électricité). La directive a
été retranscrite dans le droit français par la loi du 10
février 2000 relative à la modernisation et au
développement du service public de
l'électricité97. Celle-ci prévoit que
l'autorisation d'exploiter doit être délivrée par le
ministre chargé de l'énergie (article 7) et que « lorsque
les capacités de production ne répondent pas aux objectifs de la
programmation pluriannuelle des investissements », le ministre
chargé de l'énergie peut recourir à la procédure
d'appel d'offres. Enfin, le décret de 4 décembre
200298 relatif à la procédure d'appel d'offres pour
les installations de production d'électricité, modifié par
le décret du 28 juin 201199, charge la Commission de
Régulation de l'Énergie (CRE) de mettre en oeuvre la
procédure d'appel d'offres.
b) Contenu des appels d'offres
Le décret de 2002 tel que modifié par le
décret de 2011 prévoit en premier lieu que le ministre
chargé de l'énergie doit transmettre à la CRE les
conditions d'appel d'offres qu'il a définies. Celles-ci sont
constituées des caractéristiques techniques des installations,
des conditions et de la durée d'exploitation, la coexistence des
installations avec d'autres activités économiques ainsi que de la
prise en compte de la protection de l'environnement (article 1). Ces conditions
donnent lieu en retour à la transmission par la CRE d'un projet cahier
des charges relatif à l'appel dans les 6 mois (article 2). Ce cahier
arrête toutes les conditions auxquelles les candidats doivent souscrire.
Lorsque l'installation est destinée à être mise en service
sur le domaine public maritime, une concession d'occupation du domaine public
maritime doit être délivrée (article 7-2). Il
97 Loi n°2000-108 du 10 février 2000
98 Décret n°2002-1434 du 4 décembre 2002
99 Décret n°2011-757 du 28 juin 2011
39
est précisé que l'appel d'offre doit être
transmis à l'Office des publications de l'Union Européenne pour
publication au Journal Officiel européen (article 5). La CRE classe
ensuite par ordre de préférence les candidats sous deux mois, qui
sont ensuite choisis par le ministre de l'énergie (article 16-3).
2) Contenu des cahiers des charges applicables aux
appels d'offres
Chaque appel d'offres est mis en oeuvre par un cahier des
charges répondant aux volontés exprimées par le ministre
de l'énergie. Les cahiers des charges prévoient chacun des
dispositions relatives à l'obligation de conformité des
installations aux normes existantes, l'obligation pour le candidat de fournir
un plan de sécurisation industrielle, un plan de gestion du risque, un
plan d'emploi et de formation, un plan de gestion des activités
déjà existantes, une évaluation des impacts
environnementaux ainsi qu'une évaluation précise du prix de
revente de l'électricité. Un exposé devra de plus
être fourni par le candidat garantissant sa solidité technique et
financière, celui-ci devant disposer de fonds propres d'un montant au
moins égal à 20% du coût total du projet. Il est
également pris en compte la capacité financière du
candidat à démanteler les installations. Enfin, il est
précisé que le candidat « s'engage à mettre en
service au moins 20% de la puissance totale de l'installation de production au
plus tard 6 ans après la notification de la décision par les
ministres compétents », porté à 50% de la puissance
sous 7 ans, et enfin la totalité de la puissance au plus tard 8 ans
après la notification.
Au regard de toutes ces conditions, les cahiers des charges
prévoient que les candidats seront choisis selon 3
critères100 : la note finale dépendra à 40% du
prix d'achat de l'électricité, à 40% de la qualité
du projet industriel et à 20% de la prise en compte des activités
existantes et de l'environnement.
3) Chronologie des appels d'offres lancés en
France
Le premier appel d'offres en matière d'éolien
offshore a été lancé en 2004,
sélectionnant la société Enertag, parmi 10 autres projets,
pour la construction d'une ferme éolienne de 21 turbines au large des
côtes de Veulette-sur-mer, en Normandie, pour une puissance totale de 105
MW. Cependant, 11 ans après, rien n'a encore été construit
en raison des difficultés administratives causées par de telles
installations en mer. Les avancées
100 Article 5.2 cahier des charges : « pondération
des critères »
40
technologiques cumulées aux contraintes
écologiques grandissantes ayant provoqué un regain
d'intérêt pour l'éolien offshore, un
deuxième appel d'offres a été lancé en 2011, de
plus grande envergure puisque destiné à installer des parcs
éoliens sur 5 sites (Fécamp, Courseulles-sur-mer, Saint-Nazaire,
Saint-Brieuc, Le Tréport), pour un total de 3000 MW101.
Celui-ci s'est traduit par l'attribution, le 6 avril 2012, des trois premiers
sites à Eolien Maritime France (EMF), dont les principaux actionnaires
sont EDF Énergies nouvelles, WPD et Dong Energie, et du site de
Saint-Brieuc au consortium européen composé d'Iberdrola et de la
filiale française d'Eole-RES. Seul le site du Tréport n'a pas
été attribué. Celui-ci n'ayant pas fait l'objet d'une
concurrence suffisante, il a abouti à une proposition de vente du prix
de l'électricité trop élevée comparée aux
autres sites. L'appel d'offre lancé en 2012 était destiné
à remédier à ce problème puisqu'il se cantonnait,
dans les mêmes conditions que le cahier des charges 2011, à
trouver des candidats sérieux sur le site du Tréport ainsi sur le
site de l'Ile d'Yeux-Noirmoutier (total : 1000 MW).
Si les projets de 6 sites éoliens ont bien
été lancés, ils ont déjà accumulé du
retard dans leur installation et ne représentent aujourd'hui que la
moitié de la puissance électrique produite attendue des
éoliennes en mer d'ici 2020, conformément aux engagements de la
France pris lors du Grenelle de l'environnement. Il est néanmoins
prévu qu'un appel d'offre pour l'éolien posé, ainsi qu'un
appel à manifestation d'intérêt pour l'éolien
flottant soit lancé en 2015, d'après la ministre de
l'écologie Ségolène Royal.
|