a) Les acteurs en présence
· François
· 1 fille de 8 ans (elle se tient
seulement à proximité, sans intervenir)
· Moi-même
b) Le contexte et les faits observables
Les interactions présentées se déroulent
une semaine après la première séquence
présentée. Nous sommes en fin d'après-midi d'une
journée d'école, après l'achèvement des devoirs
scolaires et avant le souper. François est une fois de plus
installé dans le canapé dans la position que j'ai décrite
auparavant, mais sans sa console de jeux vidéo. Toutefois, deux autres
jeunes sont assis près de lui pour partager la
télévision.
MOI : « François, tu te
souviens de l'autre jour : quand j'avais dit que je voulais te reparler ?
» FRANÇOIS (mélodieusement) : «
Ben oui... »
MOI : « Tu vois, je n' t'ai pas
oublié ! »
J'adresse un clin d'oeil à François qui, tout
en restant silencieux, garde son regard fixé sur le mien sans autre
mimique faciale.
MOI : « Tu viens ?... Je
préfère t'en parler dans ta chambre car j'estime que ça ne
regarde pas les autres. »
FRANÇOIS (voix altérée
par un ton plaintif) : « Non pas maintenant, s'il vous plaît :
j'ai envie de regarder la fin... »
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MOI : « D'accord, ça va, pas de
souci. De toute façon nous n'allons pas tarder de passer à table.
Alors c'est mieux aussi qu'on se voie après le souper. C'est bon pour
toi comme ça ? »
FRANÇOIS : « OK... Ça
va... »
Après le souper je viens donc une seconde fois à
la rencontre de François au salon, tandis qu'il me
semble à nouveau en osmose audiovisuelle avec la
télévision. Je reste debout à l'extrémité
du
canapé d'où je l'aborde.
MOI : « Bon... François, tu
viens ? »
François, sans mot dire, se lève d'un seul bon
pour me suivre de suite.
Une fois que nous sommes entrés dans la chambre,
François s'installe sur sa couche et contre l'angle
mural dans lequel un coin de la tête de son lit
s'insère. Il saisit l'une de ses multiples peluches qu'il
plaque aussitôt contre lui, avant de rester
complètement immobile. Je m'assieds spontanément sur le
bord de son lit, à environ cinquante centimètres
de lui. Il me fixe de ses yeux dirigés du bas vers le
haut.
MOI : « Voilà... (soupir)
Alors, ça va ? »
FRANÇOIS : « Ça va !...
»
MOI : « Ne t'inquiète pas
François : je n'ai pas voulu te parler à part pour te faire des
reproches. »
FRANÇOIS (avec de la mélodie dans
la voix) : « Je sais... »
MOI : « Pourquoi penses-tu que je
voulais te voir alors ? »
FRANÇOIS : « Parce que je
t'avais dit que je suis aguik ?... »
MOI : « Bingo !... Et c'est quoi
''aguik'' pour toi ? »
FRANÇOIS : « Ben aguiiik... Tu
vois... C'est aguik ! »
MOI : « Tu dis ''aguik'' pour
''addict'', soit parce que tu es gêné d'en parler avec moi, soit
alors
pour me provoquer peut-être ?... »
Pas de réaction verbale de la part du garçon qui
me fixe de ses yeux.
MOI : « Qu'est-ce que ça veut
dire pour toi ''être addict'' ? »
FRANÇOIS : « Ben... Euh...
C'est aguik, c'est tout !... »
MOI : « Tu vois, François, je
crois que c'est déjà un mot un peu compliqué et qu'on
n'utilise pas
forcément tous les jours. Je vais te dire, moi, ce
que ça veut dire pour moi : ça veut dire être
dépendant ou être accroc à quelque chose
dont on ne peut pas se passer, parce que c'est plus fort
que nous. Comme ça, on peut être accroc au
chocolat, aux chiques et même - pourquoi pas - à sa
console de jeux vidéo ou aux jeux à plusieurs
sur Internet ou que sais-je encore ?... Maintenant, si
déjà tu connais le mot, je pense que tu l'as
entendu quelque part ou que quelqu'un t'as dit que tu
l'étais en te voyant jouer très souvent
à la DS pendant ton temps libre. Sinon, comment est-ce que tu
m'aurais sorti ce mot pendant que tu jouais à la DS
?... C'est que tu as bien gardé ce mot, là, dans
ta petite tête (j'appuie
l'extrémité de mon index sur son front) et que tu sais par
rapport à quoi il
s'utilise, non ? Je me trompe ? »
Silence pendant que le bénéficiaire me regarde
fixement avec un léger rictus à peine perceptible.
MOI : « C'est forcément
quelqu'un du Foyer qui t'as dit ça, parce que c'est au Foyer que tu
laisses
ta console. A moins que ce ne soit ton grand-père ?
»
FRANÇOIS : « Non...
»
MOI : « Dans ce cas c'est quelqu'un du
Foyer, autrement c'est pas possible ! »
FRANÇOIS : « Oui...
»
MOI : « Un éducateur ?
»
FRANÇOIS : « Non...
»
MOI : « Une éducatrice ?
»
FRANÇOIS : « Non...
»
MOI : « Bon !... C'est
forcément un enfant alors. »
FRANÇOIS (dans un rictus plus
prononcé que précédemment) : « Oui...
»
MOI (me frottant le menton entre l'index et le
pouce) : « Aha ! T'aime bien jouer aux devinettes
toi ? »
François me répond par un sourire avant de
déconnecter son regard du mien en baissant les yeux.
MOI (dans un sourire et interrogeant
brièvement) : « C'est qui ? »
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FRANÇOIS : « Caroline.
»
MOI : « Eh ben, moi, je trouve que
c'est méchant de la part de Caroline de te dire ça : c'est comme
si elle t'avait marqué sur le front : ''Je suis addict'', à
l'indélébile !... Moi, je peux constater que tu ne l'es pas, bien
que tu as tendance à abuser parfois avec la console, en restant dans un
coin sans
parler à personne, pendant que d'autres jouent ou
discutent ensemble dans le Foyer. Addict tu ne l'es pas et je vais t'expliquer
pourquoi... En fait, parce que tu vas à l'école et que tu fais
d'autres
activités comme les scouts, la piscine, le break ou
encore le Conseil communal des enfants, et tout ça sans ta console, mec
!... Est-ce que tu ne fais rien d'autre que penser aux jeux vidéo
pendant que tu participes à l'une ou l'autre des activités que je
viens de citer ? »
FRANÇOIS (débit de voix
mélodieux) : « Ben... Non... »
MOI : « Ben voilà !... Dans
ce cas tu n'es pas addict des jeux vidéo ou de ta DS. Si tu
l'étais vraiment, tu y penserais sans arrêt. »
Sourire pincé de François.
MOI : « Bon maintenant, si un jour
tu penses tout le temps à ta console et que cette pensée
t'empêche de faire les choses convenablement dans une autre
activité, alors là il faudra déjà plus
s'inquiéter de l'addiction. Tu comprends ? »
FRANÇOIS : « Ben oui...
»
MOI : « Moi ce que je peux te
conseiller c'est d'avoir le plus d'activités possible et de te faire le
plus d'amis possible dans la vraie vie, justement pour ne pas en arriver
à cette addiction. Une addiction, c'est comme une prison qui peut nous
couper des autres... En tout cas merci d'avoir accepté de discuter avec
moi ce soir (sourire et clin d'oeil à François de ma part)
. »
FRANÇOIS : « De rien...
»
MOI : « Non, je te rassure, François, tu n'es
pas aguik (sourire et clin d'oeil adressé de ma part à
l'enfant). Mais évite de le devenir en essayant de tenir compte de
ce que je viens de te dire. » François sourit
également.
MOI : « Allez, à plus. Et va
vite te laver maintenant. »
Je quitte la chambre pour aller vaquer à d'autres
tâches qui m'incombent.