G) Le mercenariat : un phénomène «
transgéographique »
« Si vous n'avez pas été rônin sept
fois, vous ne pourrez revendiquer le titre véritable de samouraï.
Trébuchez et tombez sept fois, mais relevez-vous à la
huitième. », Yamamoto Jocho, Hagakure, 1706-1709
Si le mercenariat est un phénomène qui traverse
les temps, il traverse également les continents.
Le cas du Japon à l'époque
féodale20 est particulièrement intéressant. En
effet, le Yamato est célèbre pour sa tradition guerrière,
également appelée bushido ou « voie du guerrier
». Comme au Moyen Age français, l'autorité militaire
suprême (le shogun) est à la tête de seigneurs (les
daimyo). Ces seigneurs vivent dans des fiefs et disposent de troupes
armées. Cependant, tous les guerriers professionnels japonais ne sont
pas des samuraï, certains sont aussi des ronin,
c'est-à-dire des samuraï sans maître.
Plusieurs raisons expliquent l'apparition des ronin dans
le paysage traditionnel japonais.
Tout d'abord, le ronin pouvait avoir
été exclu du clan pour faute grave. Il était alors
considéré comme un hors-la-loi (heimon). Cette
dégradation avait lieu lors d'une cérémonie
(monzen-barai) où le samurai se voyait supprimer sa
solde, confisquer ses sabres21, et conduire à la porte du
château dans lequel il avait servi.
Le ronin pouvait également se retrouver dans
cette situation soit parce qu'il ne trouvait plus d'emploi, soit à la
suite de la destruction de la famille de son seigneur (par défaite
militaire ou disgrâce impériale). Alors libéré de
ses engagements, il menait une vie d'errance, se lançant sur les routes
où il pouvait devenir aussi bien un bandit qu'un redresseur de torts au
service des faibles, ou encore un combattant lançant des défis
aux experts en arts martiaux (on parlait alors de musha-shugyo, «
l'errance du samuraï » ou « la quête du guerrier
»22).
20 La féodalité au Japon dura sept
siècles. Elle commença avec l'ère Kamakura en 1185 et se
termina à la fin de l'ère Edo en 1868 avec la restauration
Meiji.
21 Les samurai portaient traditionnellement une
paire de sabres appelée daisho, « grand, petit » : un
sabre long (katana ou o-dachi) associé à un
sabre court (wakizashi ou ko-dachi).
22 Ce fut le cas notamment de Miyamoto Musashi
(1584-1645), célèbre auteur du traité de stratégie
Go rin no sho (Traité des cinq roues).
22
D'autres ronin devinrent également gardes du
corps (yojimbo23), gardiens de temples ou de villages qui,
dans l'insécurité permanente, arrivaient parfois à se
payer leurs services24.
Enfin, le ronin pouvait devenir un mercenaire
(watari-kashi). Ainsi, lorsque Toyotomi Hideyori, fils de Toyotomi
Hideyoshi25, eut à défendre en novembre 1614 son
château d'Osaka, il engagea des dizaines de milliers de ronin
pour renforcer ses troupes.
Pour terminer sur ce sujet, le statut de ronin, qui
pouvait mener parfois à celui de mercenaire, était le plus
souvent le fruit de circonstances indépendantes de la volonté du
samuraï qu'un choix propre. Toutefois, cette situation pouvait
être recherchée par certains car il s'agissait d'une
expérience que tout bon samuraï se devait de vivre au
cours de sa vie, fidèle au proverbe Shichi ten hakki («
tomber sept fois et se relever huit »).
En conclusion, cette première approche historique a
permis de voir que si le mercenariat n'était pas consubstantiel à
la guerre elle-même, il pouvait tout de même se prévaloir de
5 000 ans d'existence. En outre, si l'émergence des Etats-nations
à partir de la fin du XVIIIe siècle a pu faire croire que le
temps des mercenaires appartenait au passé, il faut souligner, à
l'instar de Walter Bruyère-Ostells 26 , que la pratique du
mercenariat ne s'éteint pas après la Révolution. Elle
demeure, mais on préfère parler de « régiments
étrangers » ou de « légions ».
23 Yojimbo (1961) est aussi un film
d'Akira Kurosawa racontant l'histoire d'un ronin (joué par Toshiro
Mifune) arrivant dans une petite ville où deux clans mafieux s'opposent
pour gagner le pouvoir. Le ronin, par sa ruse et ses qualités
de bretteur, parvient à se faire engager par les deux partis, les fait
s'entretuer et ramène finalement la paix dans le village.
24 Sur ce sujet Akira Kurosawa réalisa
également un film : Les Sept Samouraïs (1954), qui
inspirera six ans plus tard Les Sept Mercenaires (1960) de John
Sturges.
25 Toyotomi Hideyoshi (1536-1598) fut le
deuxième des trois unificateurs du Japon durant la période
Sengoku : Oda Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi et Tokugawa Ieyasu.
26 BRUYERE-OSTELLS Walter, Histoire des
mercenaires - De 1789 à nos jours, Editions Tallandier, Paris,
2011
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