E) Le service étranger suisse
Acriter et fideliter15, devise de la Garde
suisse pontificale
Si pour beaucoup la Garde suisse pontificale n'est pas autre
chose qu'une originalité qu'ils regardent avec un oeil bienfaisant, un
peu à l'image des Welsh Guards protégeant le palais de
Buckingham à Londres, il faut rappeler qu'il s'agit là du dernier
vestige du mercenariat suisse. En effet, la Suisse était à
l'époque médiévale une contrée où
l'économie n'était pas aussi florissante qu'aujourd'hui. Celle-ci
reposait principalement sur l'agriculture, l'artisanat et le commerce. Or,
quand l'hiver arrivait chaque année, beaucoup d'hommes dont le
métier était l'élevage se retrouvaient sans emploi. C'est
pourquoi, les perspectives offertes par le mercenariat ne laissèrent pas
indifférents. D'ailleurs, les Suisses excellaient dans le combat
à pied. La victoire en 1315 à Morgarten (au sud de Zurich) de
quelque mille cinq cents paysans helvètes contre 4 000 à 8 000
soldats de l'armée des Habsbourg leur assura une solide
réputation.
Curieusement, ce ne sont pas des compagnies qui
géraient ces mercenaires mais les autorités publiques. En effet,
comme le rapporte Philippe Chapleau, « le service étranger
était une véritable affaire d'Etat, les cantons puis la
Confédération imposant un contrôle strict sur les
recrutements et se transformant eux-mêmes en entrepreneurs militaires qui
sous-traitaient les levées à des agents professionnels,
confiaient les unités à des capitaines et en retiraient des
profits substantiels. Ainsi, dans le Valais, les pensions
étrangères ont longtemps permis de ne pas lever
d'impôts.16 »
15 « Courage et fidélité ».
16 CHAPLEAU Philippe, Les nouveaux entrepreneurs
de la guerre : des mercenaires aux sociétés militaires
privées, Vuibert, Paris, 2011, p. 54-55.
19
Au final, la Suisse fut l'un des pays les plus pourvoyeurs de
mercenaires. On en retrouvait aussi bien en Italie, qu'en Espagne ou encore en
France. Dans ces conditions, il n'était pas rare que des mercenaires
suisses s'affrontassent. Ainsi, la bataille de Malplaquet, qui eut lieu en 1709
au cours de la guerre de Succession d'Espagne, vit s'affronter les troupes du
Royaume de France contre celles de la Grande Alliance (Archiduché
d'Autriche, Provinces-Unies, Royaume de Grande-Bretagne). Durant cette
bataille, huit mille mercenaires suisses périrent, par respect du
contrat signé.
F) Les corsaires
« L'homme né pour la liberté, sentant qu'on
cherche à l'asservir, aime souvent mieux se faire corsaire que de
devenir esclave. », Beaumarchais
Historiquement, la tradition corsaire serait anglaise et
remonterait à 1243. Le roi Henri III Plantagenêt aurait alors
accordé la première Letter of Marquee ou Lettre de
Course17. Toutefois, ce sera surtout aux XVe, XVIe et XVIIe
siècles que ce nouveau type de mercenariat fleurira.
Cependant, avant d'étudier la réalité de
ce phénomène, il convient de bien comprendre la différence
qui existe entre un corsaire et un pirate. Dans le cas de la course, le roi
délègue à un armateur le droit d'armer un bateau et un
équipage. Le corsaire est donc un mercenaire au sens noble du terme.
Pour reprendre la formule latine de Wolf, non privatum, sed publicum bellum
gerunt (« ils ne font pas leur guerre privée, mais la guerre
nationale à titre privée »). C'est pourquoi, une fois le
navire de course arrivé au port, un juge de paix répartissait le
butin entre le corsaire, l'armateur18 et le royaume. A
l'opposé, le pirate est un hors-la-loi des mers. Il n'a pas de pavillon
de nationalité et s'attaque aux navires de commerce dans son seul
intérêt.
Par ailleurs, il est possible de recenser deux raisons
à l'origine de la course. Tout d'abord, les corsaires étaient des
gens normaux, c'est-à-dire des marins ou des pêcheurs qui ne
17 CHAPLEAU Philippe, Les mercenaires : De
l'antiquité à nos jours, Editions Ouest-France, Rennes, p.
29.
18 Il arrivait parfois que le corsaire et l'armateur
fussent la seule et même personne (exemple : Robert Surcouf).
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pouvaient plus exercer leur activité habituelle en
temps de guerre et qui se reconvertissaient momentanément dans la chasse
au butin. Ensuite, le développement des corsaires fut principalement la
conséquence d'une volonté du pouvoir royal. En France, il faudra
attendre 1630 et Richelieu pour voir se créer une véritable
marine militaire. Auparavant, le roi de France faisait la guerre avec des
particuliers, moyennant un intéressement aux résultats. Ce fut le
cas de François Ier (1494-1547) qui, cherchant à briser le
monopole des Espagnols, aida l'armateur normand Jean Ango (1480-1551) à
armer des navires français. Toutefois, même en présence
d'une marine royale, Louis de Pontchartrain, Secrétaire d'Etat à
la Marine à partir de 1690, encouragera systématiquement la
guerre de course. En Angleterre, la reine Elisabeth (1533 - 1603) utilisa les
corsaires pour d'une part, ne pas ruiner le développement
économique de son pays dans l'établissement d'une flotte
gigantesque, et pour d'autre part, saper les fondements de la puissance
espagnole dont la richesse provenait principalement des cargaisons d'or du
Nouveau monde.
Il faut également rappeler que les corsaires n'avaient
pas mauvaise réputation comme ce fut le cas par la suite. Au contraire,
ils étaient vus comme des héros et récompensés
comme tels. Outre-Manche, Francis Drake (1545-1596) et Walter Raleigh
(1552-1618) furent anoblis par la reine et finirent vice-amiraux d'Angleterre.
S'agissant de la France, Jean Bart (1650-1702), célèbre corsaire
dunkerquois, fut décoré de l'ordre de Saint-Louis et termina sa
vie au rang de chef d'escadre de la Marine royale, soit l'équivalent
d'un contre-amiral aujourd'hui. Autre exemple, Robert Surcouf (1773-1827),
corsaire malouin, fut décoré de la légion d'honneur.
En conclusion, s'il est vrai que la course fut une
réussite économique19 qui permit de pallier l'absence
de marine royale, elle ne fut pas pour autant une réussite sur tous les
plans. D'un point de vue militaire, la course n'a jamais permis de remporter de
guerres, pour la bonne et simple raison que les corsaires s'attaquaient
principalement aux navires de commerce. D'autre part et d'un point de vue
éthique, la course fut critiquée par les philosophes des
Lumières et les autorités religieuses parce qu'elle frappait des
particuliers, c'est-à-dire des victimes innocentes.
19 Robert Surcouf fera vaciller l'économie
anglaise en capturant au total une cinquantaine de navires de commerce.
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