C) Féodalité et mercenariat
« Plutôt la mort que la souillure. », devise des
ducs de Bretagne
Par féodalité, il faut entendre un
système politique pyramidal où le suzerain, à la
tête de seigneurs qui sont ses vassaux, n'a que très peu de
pouvoir. L'armée dont il dispose est affectée à sa
protection et à celle du territoire qui est sous son autorité
directe.
Chaque année, tout vassal doit à son suzerain
une période de service militaire de quarante jours (appelée
l'ost) et qui consiste en la fourniture de troupes armées. Or,
s'agissant des seigneurs de la « petite noblesse », l'ost
nécessitait de mobiliser la population de leur fief. C'est pour
éviter cette fuite des « forces vives » que les seigneurs
pouvaient remplacer ce service militaire par le paiement d'une somme qui
servait au suzerain à payer des mercenaires et à entretenir une
armée de métier.
Toutefois, c'est surtout durant la Guerre de Cent ans
(1337-1453) que l'on assista à la première institutionnalisation
du mercenariat avec la création des Grandes compagnies, ancêtres
des sociétés militaires privées. La plus
célèbre est sans doute la Compagnie blanche, constituée
par Arnaud de Cervole. François-Xavier de Sidos voit d'ailleurs en ce
personnage un précurseur car « jusque-là, l'offre avait
toujours suivi la demande, les unités mercenaires se formant pour
répondre à un besoin précis.13 » Les
Grandes compagnies opèrent donc un changement paradigmatique puisque
« l'offre devient disponible avant que le besoin ne s'en fasse
sentir.14 » Cette originalité, au fondement d'ailleurs
de tout commerce, servira de base au développement du mercenariat
moderne, à commencer par celui des condottieri.
13 SIDOS François-Xavier, Les soldats
libres. La grande aventure des mercenaires, Editions de l'Aencre, Paris,
2002, p. 87.
14 ROSI Jean-Didier, Privatisation de la
violence - Des mercenaires aux sociétés militaires
privées, Editions L'Harmattan, Paris, 2009, p. 27.
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D) La Renaissance italienne : la figure du
condottiere
Deux moines saluèrent John Hawkwood par les mots
suivants : « Allez en paix. » Et le condottiere de répondre :
« Gardez votre paix pour vous, car elle vous est plus nécessaire
qu'à moi, qui vis
de la guerre et dont c'est la vocation. »
Avant d'être le pays unifié que nous connaissons
depuis 1861, l'Italie a d'abord été un territoire partagé
entre des Cités-Etats parmi lesquelles il faut surtout retenir : le
Duché de Milan, la République de Venise, la République de
Florence, la République de Naples et les Etats pontificaux. En raison
des finances qui ne permettaient pas d'entretenir une troupe professionnelle
permanente et en raison de la population qui était insuffisamment
nombreuse pour former une armée citoyenne, l'appel aux condottieri
apparut, dès la fin du XIVe siècle, comme la seule solution
viable d'un point de vue économique et politique. En outre, il faut
noter que les employeurs des condottieri pouvaient être également
des personnes privées comme des corporations de commerçants.
Les condottieri sont venus renforcer le caractère
institutionnel du mercenariat en faisant de ce dernier un service à la
fois légal et commercial. En effet, le condottiere est lié
à son employeur par un contrat, la condotta, passé
devant un notaire. Cet acte notarié précise l'objectif de la
mission, sa durée, et le montant de la prestanza,
rétribution générale allouée au condottiere pour
recruter, entretenir et équiper ses hommes. Les effectifs sont
comptabilisés par « lances » (une lance équivaut
à six hommes). De plus, le condottiere est à la tête d'une
compania et son armée s'appelle d'ailleurs compania di
ventura (« compagnie d'aventure »). Par analogie, c'est le
même terme qui a donné en anglais venture («
entreprise commerciale »).
S'agissant du profil des condottieri, la plupart sont des
étrangers, le plus souvent français ou anglais. Toutefois,
à partir du XVe siècle, on retrouve davantage d'hommes issus de
la noblesse italienne. Certains sont encore célèbres aujourd'hui,
notamment parce qu'ils ont eu entre leurs mains un formidable pouvoir
politique, en sus de leur pouvoir militaire. Citons Francesco Sforza
(1401-1466), qui devint duc de Milan en 1450 (la ville restera aux mains des
Sforza jusqu'en 1535). De même, Sigismondo Malatesta (1417-1468), dont la
vie inspira une pièce de théâtre à Henry de
Montherlant, fut seigneur de Rimini, Cesa et Fano. Enfin,
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Cesare Borgia (1475-1507), auquel Machiavel fait souvent
référence comme « le prince idéal », eut un
poids politique tellement considérable que le Doge de Venise
écrira à son sujet : « Certains voudraient faire de Cesare
le roi de l'Italie, d'autres le voudraient faire empereur, parce qu'il
réussit de telle façon que nul n'aurait le courage de lui refuser
quoi que ce soit. »
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