Conclusion
Même si Aristote et Karl Marx ne représentent
qu'une partie de la philosophie, leur pensée a été assez
puissante pour exercer une influence majeure sur les esprits de notre temps. A
ce titre, le domaine de la défense est considéré en France
comme un bien insusceptible d'aliénation. Or, l'externalisation en fait
un bien comme un autre, c'est-à-dire un bien susceptible de
marchandisation. En d'autres termes, l'externalisation opère une «
désacralisation » de la défense, elle est une
négation de la verticalité. Pour reprendre la distinction
marxiste, il s'avère que dans le cadre des armées nationales, la
valeur de la défense est une valeur d'usage, tandis que dans le cadre de
l'externalisation, elle est une valeur d'échange.
197 MARX Karl, Le Capital, Livre I,
1ère section, Chapitre I, IV.
198 LEENHARDT Jacques, « La réification »,
Encyclopaedia Universalis 2011, 2011
199 MARX Karl, Le Capital, Livre I,
1ère section, Chapitre II.
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b) La critique catholique : la condamnation de
l'usure
Depuis l'origine, la religion catholique n'a cessé de
condamner l'usure, notion qui englobe à la fois l'usure et le prêt
à intérêt. Elle ne fait aucune différence entre une
prise d'intérêt supérieure au taux légal ou aux
usages commerciaux et une « simple » prise d'intérêt.
Cette position s'appuie à la fois sur la Bible et les écrits
papaux.
Dans l'Ancien Testament, plusieurs textes s'attaquent
clairement au prêt à intérêt : Deutéronome
23.19200, Exode 22.25201, Lévitique
25.35-37202, Ezéchiel 18.8-9203 et
22.12204. Dans le Nouveau Testament, les Evangiles reprennent cette
critique lors d'un épisode particulièrement significatif,
à savoir celui durant lequel Jésus chasse les marchands du Temple
avec un fouet et renverse leur table (Jean 2.13-16, Luc 19.45-46, Matthieu
21.1213205 et Marc 11.15-17).
S'agissant des vicaires de Rome, leur condamnation de l'usure
est une constante à travers les siècles. En 1311 au Concile de
Vienne, le pape Clément V (1260 - 1314) déclare nulle et vaine
toute la législation civile qui autorise l'usure. Il affirme que «
si quelqu'un tombe dans cette erreur d'oser audacieusement affirmer que ce
n'est pas un péché que de faire l'usure, nous
décrétons qu'il sera puni comme hérétique et nous
ordonnons à tous les ordinaires et inquisiteurs de procéder
vigoureusement contre tous ceux qui seront soupçonnés de cette
hérésie ». Cette critique du prêt à
intérêt sera redoublée au XIXe siècle,
période qui voit triompher la bourgeoisie au détriment de
l'aristocratie. En 1836, le pape Grégoire XVI (1765-
200 « Tu n'exigeras de ton frère aucun
intérêt ni pour argent, ni pour vivres, ni pour rien de ce qui se
prête à intérêt. »
201 « Si tu prêtes de l'argent à mon peuple,
au pauvre qui est avec toi, tu ne seras point à son égard comme
un créancier, tu n'exigeras de lui point d'intérêt.
»
202 « Si ton frère devient pauvre, et que sa main
fléchisse près de toi, tu le soutiendras; tu feras de même
pour celui qui est étranger et qui demeure dans le pays, afin qu'il vive
avec toi. Tu ne tireras de lui ni intérêt ni usure, tu craindras
ton Dieu, et ton frère vivra avec toi. Tu ne lui prêteras point
ton argent à intérêt, et tu ne lui prêteras point tes
vivres à usure. »
203 « qui ne prête pas à
intérêt et ne tire point d'usure, qui détourne sa main de
l'iniquité et juge selon la vérité entre un homme et un
autre, qui suit mes lois et observe mes ordonnances en agissant avec
fidélité, celui-là est juste, il vivra, dit le Seigneur,
l'Éternel. »
204 « Chez toi, l'on reçoit des présents
pour répandre le sang: tu exiges un intérêt et une usure,
tu dépouilles ton prochain par la violence, et moi, tu m'oublies, dit le
Seigneur, l'Éternel. »
205 « Jésus entra dans le temple de Dieu. Il
chassa tous ceux qui vendaient et qui achetaient dans le temple; il renversa
les tables des changeurs, et les sièges des vendeurs de pigeons. Et il
leur dit: Il est écrit: Ma maison sera appelée une maison de
prière. Mais vous, vous en faites une caverne de voleurs. »
117
1846) étend l'encyclique Vix Pervenit
206 du pape Benoît XIV (1675-1758) à l'Eglise
universelle. Il y est écrit : « L'espèce de
péché qu'on appelle usure, et qui réside dans le contrat
de prêt, consiste en ce qu'une personne, s'autorisant du prêt
même, qui par sa nature demande qu'on rende seulement autant qu'on a
reçu, exige qu'on lui rende plus qu'on a reçu et soutient
conséquemment qu'il lui est dû, en plus du capital, quelque
profit, en considération du prêt même. C'est pour cette
raison que tout profit de cette sorte qui excède le capital est illicite
et usuraire. » En 1891, c'est au tour du pape Léon XIII (1810-1903)
d'inscrire dans la célèbre encyclique Rerum Novarum les
mots suivants : « Une usure dévorante est venue ajouter encore au
mal. Condamnée à plusieurs reprises par le jugement de
l'Église, elle n'a cessé d'être pratiquée sous une
autre forme par des hommes avides de gain, et d'une insatiable
cupidité... ».
Au final, qu'il s'agisse des paroles christiques ou des
écrits ultérieurs de l'Eglise catholique romaine, la condamnation
de la logique de profit, dont l'usure n'est qu'un symptôme parmi
d'autres, est sans appel.
Par ailleurs, les pays où l'externalisation de la
Défense est la plus développée sont des pays où la
tradition catholique n'est pas majoritaire. En Angleterre et au Pays de Galles,
si 59,4% de la population est chrétienne207, la
majorité appartient aux Eglises protestantes (anglicans, baptistes,
piétistes, luthériens, méthodistes, pentecôtistes,
presbytériens...). Aux Etats-Unis, on compte 51,3% de protestants contre
23,9% de catholiques romains208. Dans ces conditions, il
apparaît intéressant d'étudier également les
rapports que le protestantisme entretient à l'argent.
206 Encyclique Vix Pervenit : sur l'usure et autres profits
malhonnêtes, 1745.
207 Office for National Statistics, 2011 Census, Key
Statistics for Local Authorities in England and Wales, 11 December
2012.
208 Pew Research Center, Major Religious Traditions in the
US, 2007.
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