B) Philosophie et catholicisme romain : la critique du
profit
« Comment ne rougis-tu pas de mettre tes soins à
amasser le plus d'argent possible et à rechercher la réputation
et les honneurs, tandis que de ta raison, de la vérité, de ton
âme qu'il faudrait perfectionner sans cesse, tu ne daignes pas en prendre
aucun soin ni souci ? », Apologie de Socrate, Platon
Aussi bien chez Aristote dans l'Antiquité que chez Marx
au XIXe siècle, la logique du profit est dénoncée, soit
parce qu'elle serait contraire à la nature, soit parce qu'elle
participerait à une déconstruction du lien social.
a) La critique philosophique : chrématistique
aristotélicienne et réification marxiste
La critique aristotélicienne : la
chrématistique comme processus contraire à la nature
Aristote est le premier philosophe grec (macédonien
pour être tout à fait exact) à avoir opéré
une critique de la logique du profit. Il distingue la valeur d'usage et la
valeur d'échange de l'argent. La première s'applique aux biens
destinés à la consommation du producteur, la seconde aux biens
destinés à l'échange. D'où deux formes
d'acquisition de la richesse : « l'une par les travaux et
l'économie rustiques, l'autre par le commerce ; la première est
indispensable et mérite des éloges, la deuxième par contre
[...] ne tient rien de la nature, mais tout de la convention. »
(Politique, livre I, 10).
Aristote dénonce ainsi le commerce dans la mesure
où il permet d'échanger des marchandises à un prix sans
rapport avec leur usage premier. Pour le philosophe, de telles transactions
sont contraires à la nature. En effet, l'argent n'étant pas une
chose vivante, il ne peut donner naissance à d'autre argent : l'argent
ne fait pas de petits, affirme-t-il.
Des siècles plus tard, Karl Marx reprend la distinction
opérée par Aristote mais y introduit une dimension historique et
une dimension sociale.
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La critique marxiste : l'échange comme entreprise
de déconstruction du lien social
Dans une perspective historique, Marx dénonce le
processus qui a abouti au « fétichisme de la
marchandise197 ». Il faut entendre par là le mouvement
de transformation des produits du travail en marchandises. Parallèlement
à ce processus apparaît un déclin de la valeur d'usage
(utilité) au profit de la valeur d'échange (valeur marchande).
Pour citer Jacques Leenhardt, « La constitution de la marchandise en tant
que telle va donc de pair avec la prédominance de la valeur
d'échange sur la valeur d'usage ; elle implique, d'autre part,
l'élaboration de l'équivalent général, la forme
`argent'.198 »
Dans une perspective sociale, Marx affirme que « Par
l'échange, les hommes se rapportent les uns aux autres comme
propriétaires privés de choses aliénables.199
» Ils se reconnaissent ainsi comme individus libres,
débarrassés des liens de dépendance qu'impose la
communauté primitive ou les formations sociales qui en
découlent.
Au final, dès lors que la forme marchande domine, les
rapports sociaux entre les gens se réduisent à des rapports
sociaux entre les choses. Il y a ainsi une réification des rapports
sociaux et une personnification des choses.
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