b) Les bellatores ou la noblesse
d'épée
Selon Georges Dumézil, la Révolution de 1789 a
entraîné « la ruine du système trifonctionnel »
fondé sur la distinction entre oratores (ceux qui prient -
clergé), bellatores (ceux qui combattent - la noblesse) et
laboratores (ceux qui travaillent - le Tiers état). Toutefois,
l'inconscient collectif attache encore aujourd'hui l'idée de noblesse au
métier des armes, comme si l'armée n'avait jamais cessé de
revêtir une spécificité particulière.
La structure tripartite des sociétés
indo-européennes
Dans son ouvrage le plus célèbre
(L'Idéologie tripartie des Indo-Européens, 1958),
Georges Dumézil montre que l'ensemble des sociétés
indo-européennes a adopté une conception commune de la structure
sociale fondée sur la hiérarchisation de trois fonctions. La
classification indienne sert de base, on distingue donc : une première
fonction, confiée aux
189 MACHIAVEL Nicolas, Le Prince, Chapitre XII,
« Combien de sortes d'armées il y a, et des soldats mercenaires
», Editions Garnier-Flammarion, Paris, 1980, pp. 141 et suivantes.
190 Op. cit., Chapitre XII, « Des troupes auxiliaires, des
troupes mixtes, des troupes propres au prince »
113
brahmanes (prêtres) ; une deuxième
fonction, exercée par les kshatriya (guerriers) ; une
troisième fonction, qui est celle des vaishya
(commerçants et artisans). Cette trifonctionnalité «
renvoie à une dimension `idéologique' qui organise toutes les
nuances des différentes applications sur la distinction entre le
sacré, la force physique et la fécondité.191
»
L'exercice du métier des armes sous l'Ancien
Régime : privilège de la noblesse
Dans l'Ancien Régime, seule la classe des
bellatores est constituée uniquement de nobles. A ce titre, il
leur est interdit « de se livrer au commerce - le maniement de l'argent
est avilissant - d'exercer un métier manuel, particulièrement un
métier mécanique, réputé ignoble. [...] Une
ordonnance de 1560 fait défense `à tous gentilshommes ou
officiers de justice le fait et trafic de marchandises, et de prendre ou de
tenir ferme, par eux ou personne interposée, à peine [...]
d'être privés des privilèges de noblesse et imposés
à la taille'. Et c'est là la menace la plus grave pour un
gentilhomme : être inscrit sur les rôles de la taille est la marque
même de la roture.192 »
Par comparaison, il est intéressant de voir que cette
pratique de la dérogeance imposant aux nobles d'observer un genre de vie
sous peine de perdre leur qualité n'a pas eu lieu outre-Manche. En
effet, « l'Angleterre n'a connu ni préjugés ni
règlements quant au genre de vie de l'aristocratie193 ».
C'est pourquoi, la noblesse française reste encore aujourd'hui
étroitement associée au maniement de l'épée.
L'étude du pourcentage d'admis aux concours194 de l'ESM
Saint-Cyr présentant un nom à particule195 suffit
à s'en convaincre. Alors qu'il y avait en 2002, selon Régis
Valette196, 100 000 personnes d'origine noble (soit 0,2% de la
population française), 8,5% d'admis aux concours 2010 de l'ESM Saint-Cyr
portaient un nom à particule.
191 LETONTURIER Eric, « L'Idéologie tripartie des
Indo-Européens », Encyclopaedia Universalis 2011, 2011
192 MARIN Solange, « Dérogeance »,
Encyclopaedia Universalis 2011, 2011
193 Op. cit.
194 Nous nous sommes intéressés aux quatre
concours suivants (année 2010) : Concours Bac+3, Concours ESM
Scientifique, Concours ESM Sciences-Eco et Concours ESM Lettres.
195 Remarque importante, la particule n'est pas la marque
d'une ascendance noble. D'ailleurs, la plupart des noms à particule ne
sont pas nobles, même si 90% des nobles portent une particule. Ainsi,
selon Régis Valette, 0,4% de la population française en 2002
porte un nom à particule pour moins de 0,2% de familles
françaises d'origine authentiquement noble.
196 VALETTE Régis, Catalogue de la noblesse
française au XXIe siècle, Editions Robert Laffont, Paris,
2002
114
|