C) Limites statutaires
Lorsqu'on décide d'externaliser un service ou une
fonction, il faut garder en mémoire le fait que le salarié
dépend du Code du travail alors que le militaire dépend du Code
de la défense.
a) La notion de sacrifice
S'agissant du statut général des militaires,
l'article L4111-1 du Code de la défense dispose que « l'état
militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller
jusqu'au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyalisme
et neutralité ». Le salarié, quant à lui, a «
seulement » une « obligation de loyauté à
l'égard de son employeur. » (article L1222-5 du Code du travail).
Cette différence concernant le degré d'engagement entre le
militaire et le salarié ne doit pas être prise à la
légère. En effet, on ne pourra jamais exiger du salarié
qu'il fasse preuve d'esprit de sacrifice. Or, le mode de fonctionnement de
l'armée l'impose, notamment parce que le militaire intervient en
situation d'urgence et de danger.
D'autre part, le civil déployé sur un
théâtre d'opération non pacifié devra accepter la
possibilité d'être tué. Or, « Comment faire cohabiter
dans ces conditions des personnels dont le statut prévoit explicitement
la nécessité de faire preuve d'esprit de sacrifice et des
salariés civils bénéficiant des 35 heures et du droit de
retrait en cas de danger grave et imminent ?185 »
185 Rapport d'information n° 3595, Sur
l'externalisation de certaines tâches relevant du ministère de la
Défense, Michel Dasseux, 12 février 2002, p. 37.
b) La question de la mobilité
109
La question de la mobilité doit également
être prise en compte. L'article L4121-5 du Code de la défense
précise que « les militaires peuvent être appelés
à servir en tout temps et en tout lieu. » A ce titre, on comptait
18 800 militaires déployés hors métropole en mai 2012,
dont 7 000 en OPEX186. Au total, environ 8,2 % des forces
armées françaises étaient stationnées en dehors de
l'Hexagone en 2012. Toutefois, ce pourcentage est supérieur si l'on
retire le nombre de militaires n'étant pas projetables. Dans tous les
cas, les interrogations de Michel Dasseux s'avèrent pertinentes : «
que se passerait-il en cas de refus de la part de civils de se rendre en
opération extérieure aux côtés des militaires ?
Quelles seraient les conséquences d'une grève, qui demeurerait
licite, de la part des employés civils ? Que devient, dans ces
conditions, le droit de retrait, ce droit individuel pour tout salarié
confronté à un péril immédiat de se retirer de son
lieu de travail ? Pourrait-on envisager une restriction, nécessairement
législative, des droits habituellement considérés comme
fondamentaux pour les employés des sociétés travaillant
pour la défense ? Une modification en ce sens de notre droit du travail
est difficilement imaginable.187 »
Les questions précédentes ne sont pas purement
théoriques. En effet, lors de la guerre du Kosovo (1999), des avions
ravitailleurs américains stationnés sur la base de Mont-de-Marsan
décollaient tous les matins très tôt. Dans ce cadre, les
pilotes devaient prendre leur petit-déjeuner vers une heure du matin.
Or, la société privée à laquelle l'Armée de
l'air avait décidé de confier la restauration fit valoir qu'un
tel horaire n'était pas prévu dans le contrat initial. Il y eut
donc une renégociation qui s'acheva par une surfacturation
particulièrement élevée de la prestation.
186 Ministère de la Défense, Les chiffres
clés de la défense, 2012
187 Rapport d'information n° 3595, Sur
l'externalisation de certaines tâches relevant du ministère de la
Défense, Michel Dasseux, 12 février 2002, p. 37.
110
Préconisation n° 11 : il faut
différencier le recours à des ESSD dans le cadre du
fonctionnement courant des armées de celui effectué dans le cadre
d'opérations militaires exécutées depuis la
Métropole ou un théâtre extérieur. Dans le dernier
cas, le ministère de la Défense ne peut se permettre aucune
défaillance. Or, les ESSD, aussi professionnelles soient-elles, ne
présenteront jamais le même niveau de garanties que les forces
armées et cela pour deux raisons principales : tout d'abord, toute
entreprise privée peut faire faillite, ce qui n'est pas le cas d'un Etat
; ensuite, les ESSD françaises sont régies par les principes du
Code du travail ( droit de retrait, droit de grève, semaine de 35
heures...) et non par ceux du Code de la défense (« esprit de
sacrifice », disponibilité « en tout temps et en tout lieu
»...). C'est pourquoi, il nous apparaît essentiel que les forces
armées françaises conservent les capacités humaines et
matérielles nécessaires à l'accomplissement autonome de
missions opérationnelles relevant de la souveraineté nationale.
Compte tenu des contraintes budgétaires pesant sur le ministère
de la Défense, cette autonomie ne pourra pas dépasser quelques
mois, durée à partir de laquelle il sera possible de recourir
à des prestataires privés.
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