Chapitre 2 - Les limites de l'externalisation
Les limites liées au processus d'externalisation sont
nombreuses. Elles touchent aussi bien à la question de la
souveraineté nationale, aux domaines économique et social
qu'à la culture française.
1 / Limites liées à la souveraineté
nationale
« La paix et la sécurité se
conquièrent et ne s'implorent pas. On n'a de droits que ceux qu'on sait
défendre. Tout individu qui se sait menacé prend ses dispositions
en conséquence, et, ces dispositions prises, vaque à ses
affaires, à la fois tranquillement et sur le qui-vive. Tout peuple
menacé fait de même. S'il ne le fait pas, par
lâcheté, et est écrasé demain, qu'il ne s'en prenne
qu'à lui. », Henry de Montherlant, L'Equinoxe de
septembre, 1938
A) La question de la perte de compétences
a) La réversibilité
Si on laisse de côté l'externalisation
définie comme un processus additionnel et que l'on prend
l'externalisation sous l'angle de la substitution, c'est-à-dire comme un
processus qui consiste à faire effectuer une tâche autrefois
accomplie en interne par un prestataire privé, alors la question de la
réversibilité se pose. En effet, l'acte par lequel on
délègue une compétence porte en lui le risque de perte de
cette compétence. C'est notamment le cas lorsque celle-ci
nécessite un savoir-faire rare. Ainsi, plus la fonction ou le service
externalisé s'avère technique, plus sa
réversibilité est faible. Tout l'enjeu de l'externalisation
consiste donc pour l'Etat à circonscrire les domaines où la
réversibilité est la plus forte possible.
Par ailleurs, cette question de la réversibilité
pose également problème aux prestataires privés. En effet,
les ESSD recrutent bien souvent d'anciens militaires en raison de leurs
compétences et de leur savoir-faire. Or, si l'on externalise
complètement certains services, alors même le secteur privé
ne pourra plus répondre aux besoins du ministère de la
Défense.
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Autrement dit, les prestataires privés n'ont aucun
intérêt à ce que l'armée perde des
compétences puisque cela reviendrait à « tuer la poule aux
oeufs d'or ». Un exemple souvent cité est celui du déminage.
Comme le note Philippe Chapleau : la formation initiale et continue d'un
spécialiste NEDEX (Neutralisation Enlèvement et Destruction
d'Explosifs) est exigeante, longue, coûteuse... Les nombreuses
sociétés spécialisées ont tout intérêt
à ce que cette formation reste dispensée au sein de
l'Institution. C'est pour elles l'assurance de recrutements de qualité
et d'économies sur la formation en interne. 176 » Toutefois, ce
problème de la réversibilité ne se pose pas si la
société privée en question décide de faire appel
à de la main-d'oeuvre étrangère...
b) Le coût de la ré-internalisation
Dans le cadre d'une démarche d'externalisation
réversible, il importe également de se demander si le coût
de la ré-internalisation de la fonction externalisée n'est pas
dissuasif. Le coût de la ré-internalisation n'est d'ailleurs pas
qu'un coût économique. En effet, dans le cadre de la
récupération en interne de fonctions externalisées, il
faut prendre en considération la formation du personnel, les structures,
l'équipement et le matériel... Comme le note l'ancien
député PS Michel Dasseux, « rebâtir un service qui
aurait été externalisé pendant dix ou vingt ans
représenterait une gageure, une mission quasiment
impossible.177 »
D'autre part, la question de la ré-internalisation se
révèle compliquée dans les domaines exigeant un haut
degré de technicité : transmissions, soutien médical,
ravitaillement en vol, informatique, maintenance des avions et des
systèmes radars... Comme nous l'avons mentionné auparavant,
l'externalisation du ravitaillement en vol en Grande-Bretagne a
été un fiasco. A l'opposé, l'externalisation du soutien
médical en Australie semble bien fonctionner. Le problème de la
ré-internalisation se pose donc sous la forme de la question suivante :
est-il raisonnable d'externaliser une fonction qu'il sera presque impossible de
ré-internaliser en raison de son degré de technicité ?
176 CHAPLEAU Philippe, Les nouveaux entrepreneurs de la
guerre - Des mercenaires aux sociétés militaires
privées, Editions Vuibert, Paris, 2011, p. 155.
177 Rapport d'information n° 3595, Sur
l'externalisation de certaines tâches relevant du ministère de la
Défense, Michel Dasseux, 12 février 2002, p. 32.
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Préconisation n°6 : les comparaisons
économiques doivent faire apparaître les coûts de
ré-internalisation du service concerné.
Préconisation n°7 : l'externalisation
au sein des forces armées ne doit pas être guidée par
l'urgence économique et la réalisation de gains financiers
immédiats. C'est pourquoi, il importe de se demander si ce qui est
intéressant à court terme présente un intérêt
sur le long terme. La véritable question à se poser n'est donc
pas : est-il judicieux d'externaliser aujourd'hui eu égard aux
conditions environnementales actuelles ? Mais plutôt : sera-t-il toujours
judicieux dans X années d'avoir externalisé aujourd'hui eu
égard aux conditions environnementales de demain ?
Préconisation n°8 : les contrats
d'externalisation doivent être suffisamment précis concernant la
possibilité d'une ré-internalisation. Cette
nécessité passe notamment par l'insertion de clauses facilitant
la ré-internalisation telles que les clauses de propriété
intellectuelle (propriété industrielle et propriété
littéraire & artistique).
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