2 / Le mercenariat : de l'Antiquité à
l'époque moderne
Le capitaine d'un bâtiment de la Royale Navy s'adressant
à Surcouf : « Vous, Français, vous vous battez pour
l'argent. Tandis que nous, Anglais, nous nous battons pour l'honneur ! »
Et Surcouf de répliquer : « Chacun se bat pour ce qui lui manque.
»
S'il arrive si souvent de considérer les
sociétés privées de services de sécurité et
de défense comme des formes actualisées de troupes mercenaires,
c'est avant tout parce que le mercenariat a longtemps été la
seule modalité d'externalisation au sein des forces armées.
Par ailleurs, lorsqu'on porte un regard d'historien sur ce
phénomène, on apprend deux choses. Tout d'abord, que le recours
à des forces armées privées remonte à
l'Antiquité et non à la seconde moitié du XXe
siècle. Ensuite, que le mercenariat, en plus d'être un
phénomène transhistorique, est également un
phénomène « transgéographique » puisqu'on en
retrouve des traces aussi bien en Egypte qu'au Japon.
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A) L'Egypte antique : berceau historique du
mercenariat
« Le Nil, au bruit plaintif de ses eaux endormies, Berce de
rêves doux le sommeil des momies. »,
Verlaine, « Nocturne parisien », Poèmes
saturniens, 1866
Si le mercenariat ne semble pas remonter avant
l'Antiquité, c'est selon le journaliste Philippe Chapleau parce les
sociétés primitives n'étaient pas en capacité de
conjuguer « l'industrialisation » (qui détermine le choix des
armes et les tactiques guerrières) et le commerce (qui induit
échanges et prestations tarifées).8 »
Pour autant, si cette explication permet de comprendre
pourquoi le mercenariat n'a pas pu voir le jour durant la Préhistoire
(dont la fin est estimée aux alentours de 3 500 ans avant la naissance
du Christ), elle ne dit pas pourquoi ce phénomène est d'abord
né en Egypte et pas dans une autre région du monde.
D'après certaines études, deux facteurs peuvent être
considérés sérieusement. Le premier facteur est lié
à la répartition de la population. Sous l'Ancien Empire (2815
à 2400 avant J.-C.), l'Egypte est une civilisation essentiellement
agricole et une importante partie des sujets du Pharaon est dévolue aux
travaux des champs. Peu d'hommes sont donc affectés à la
défense du royaume. Le second facteur quant à lui est d'ordre
économique. L'Egypte, parce qu'elle s'affirme comme la puissance la plus
riche de la région, attire la convoitise des pays voisins (Nubie, Libye
et Phénicie) et se heurte également à une autre puissance,
le royaume hittite (actuelle Turquie). C'est pourquoi, les pharaons vont
recourir massivement à des supplétifs étrangers pour
augmenter leurs effectifs militaires « nationaux ».
Ainsi, des milliers de soldats privés originaires du
Soudan, de Syrie et de Palestine servent dans l'armée de
Sésostris III, pharaon de 1881 à 1842 avant J.-C. Toutefois, ce
sont surtout les souverains du Nouvel Empire (1590-1085 avant J.-C.) qui ont
intensifié le recrutement de mercenaires, notamment Ramsès II
(1304-1236 avant J.-C.), qui n'a pas hésité à les
intégrer dans ses quatre corps d'armée. Etonnement, c'est
à l'époque où l'Egypte connaît une période de
régression appelée Basse époque (1085 - 333 avant J.-C.)
que le nombre de mercenaires
8 CHAPLEAU Philippe, Les nouveaux entrepreneurs de
la guerre - Des mercenaires aux sociétés militaires
privées, Editions Vuibert, Paris, 2011, p. 52.
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est le plus important. A ce titre, le pharaon Apriès,
en 569 avant J.-C., possède une armée qui compte 30 000
mercenaires grecs et cariens appartenant soit aux troupes d'élites, soit
aux équipages de rameurs de la flotte égyptienne. Il s'agit
là d'un nombre considérable car, à titre de comparaison,
l'armée d'Alexandre comptera, un peu plus de deux siècles plus
tard, « seulement » 27 300 hommes (24 000 fantassins et 3 300
cavaliers).
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